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"M a véritable angoisse était de devoir faire des choix éthiques et de pratiquer une médecine dégradée. Ça, je ne sais pas comment j'aurais pu le faire, quelles ressources j'aurais pu mobiliser pour passer au-dessus de cela. Jusqu'à présent je n'ai jamais dû le faire. Si j'étais un jour confrontée à l'obligation de choix éthiques - par manque de place, de ressources matérielles ou médicamenteuses -, je ne sais pas comment j'arriverais à le surmonter, ce ne serait plus le même métier." Ce témoignage, celui du Dr Sabrina Joachim, aux soins intensifs de l'Hôpital de la Citadelle à Liège, à nos confrères du Soir, des dizaines de praticiens en livrent un semblable ces jours-ci. Et si même la courbe a cessé de monter, de nombreux services restent en friction. C'est dans ce contexte que la Ligue des usagers des services de santé (Luss) réaffirme clairement son refus du tri ou de la sélection des patients à quelque niveau que ce soit. "La Luss et les associations de patients se battent depuis plus de 20 ans pour un meilleur accès aux soins pour tous, elles militent pour que chaque citoyen, quel que soit son origine, son âge, son sexe ou son état de santé soit soigné d'une manière digne. Tout citoyen doit avoir accès aux soins de santé en Belgique qu'il soit patient chronique, patient atteint de maladie rare, en situation de handicap ou atteint par le Covid-19", explique Fabrizio Cantelli, directeur de l'organisation. La Luss demande aux ministres Vandenbroucke, Morreale et Maron, respectivement ministres fédéraux et régionaux de la Santé, qu'ils expriment clairement un refus catégorique du scénario de tri et de sélection des patients. Alors que des consignes de ne pas hospitaliser certains patients ont été officiellement données lors de la première vague de Covid-19, en mars-avril, la Luss réaffirme que "les droits humains fondamentaux et la loi relative aux droits du patient de 2002 sont pleinement d'actualité aujourd'hui". Cette loi offre un "cadre clair et efficace qui favorise le respect des volontés exprimées par les personnes, le dialogue, la coopération entre patients et soignants. La Luss s'oppose catégoriquement à ce que la loi relative aux droits du patient soit niée, minimisée ou enfreinte de manière directe ou indirecte. "Nous resterons vigilants", promet ou menace Fabrizio Cantelli, pour qui "l'urgence et le prétendu moindre mal ne peuvent pas être des excuses pour tous les manquements, des mois après le déclenchement de la crise. Tout doit être mis en oeuvre pour éviter un tri des patients! La sélection des patients n'est pas une réponse acceptable face au scénario-catastrophe de saturation des hôpitaux".La Luss invite à continuer à mettre des solutions d'urgence et des mesures exceptionnelles en place. Certes, l'organisation de la solidarité et de la coopération entre hôpitaux, même d'abord assez chaotique, est à mettre au crédit des autorités sanitaires. " Cependant, il est urgent que les autorités publiques continuent à investir proactivement pour éviter le pire en soutenant massivement les différents acteurs du système de santé."Les associations de patients et la Luss se proposent comme partenaires pour explorer toutes pistes d'action. Et il y aura du travail de démocratie à pratiquer sur le terrain. Une étude de l'UCL montre en effet que les sentiments des Belges sur la solidarité à appliquer dans cette crise sont souvent complexes. Les scientifiques ont sondé les intentions des Belges pour la priorité à donner quand nous disposerons d'un vaccin. Résultat? Lorsqu'il s'agit de prioriser des stratégies du meilleur au pire, trois publics prioritaires se démarquent: "les personnes plus fragiles ayant des maladies sous-jacentes, puis les professions essentielles et enfin les personnes de plus de 60 ans. Les autres stratégies comme le fait de donner le vaccin de manière aléatoire, un système de 'premier-arrivé premier-servi' ou un accès selon la capacité à payer n'ont clairement pas été retenues par les personnes interrogées", explique Sandy Tubeuf, économiste de la santé à l'UCLouvain. Cependant, quand les chercheurs fournissent des chiffres précis, les uns vaccineraient en premier ceux qui diffusent le virus alors que les autres mettent en premier les personnes avec une comorbidité. sur un échantillon représentatif de 2.000 Belges (18-80 ans), afin de déterminer les préférences de la population sur qui devrait être vacciné en premier. Piquant: il apparaît que les choix de la population ne sont pas liés à leurs propres intérêts. Enfin, 78% des enquêtés pensent que la décision ultime du choix du public prioritaire pour recevoir le vaccin contre le Covid-19 devrait être prise par les experts scientifiques et non par le gouvernement (10%) ou la population (12%).