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Le lecteur assidu du journal du Médecin sait probablement ce qu'est la déprescription. Pour celles et ceux qui auraient raté le train, Fabrice Berna clarifie ses objectifs. "La déprescription peut avoir deux objectifs: arrêter les médicaments inutiles ou réduire à la dose minimale efficace des médicaments. Ce n'est en aucun cas arrêter des médicaments dans le but de faire des économies. Ce n'est pas non plus une position antimédicaments."La déprescription en est encore à ses prémices. "De manière générale, il y a de nombreuses études qui abordent le bien-fondé de commencer un traitement médicamenteux. Il y en a déjà beaucoup moins qui interrogent le bien-fondé de maintenir un traitement au long cours. Enfin, le nombre d'études qui s'intéressent à l'arrêt des médicaments est quasi inexistant", analyse le Pr Berna. "La question qui se pose, c'est à quoi sert un médicament?", ajoute Pierre Oswlad. "Est-ce que ça sert à traiter un symptôme? Est-ce ce qu'attend un patient de son traitement? Globalement, ce que veut un patient, c'est aller bien. La déprescription, c'est aussi et peut-être en grande partie le fait d'établir un lien avec le patient pour définir ce qui est important pour lui. Est-ce que le médicament qu'on lui prescrit répond réellement à ses besoins?" Et le Dr Pierre Oswald de citer un cas vécu en exemple. "Un patient souffre de dépression résistante. Le traitement prescrit fonctionne puisqu'il se sent mieux. Cependant, il évoque aussi un problème qui est apparu et qui est, pour lui, aussi important que la dépression dont il souffrait: il est constipé. Cela est dû au traitement antidépresseur qu'il a reçu. Mais aucun psychiatre ne lui a posé la question de la constipation. Et le patient était gêné d'aborder cette question avec un psychiatre. Pour moi, c'est l'exemple parfait de l'inadéquation entre la diminution des symptômes et les besoins du patient."On n'enseigne pas (encore) la déprescription sur les bancs universitaires. Le Pr Berna explique comment il est devenu davantage proactif et évoque maintenant assez tôt l'option d'une décroissance même minimaliste aux patients qui ont bien récupéré de leur épisode psychotique aigu, en particulier s'ils se plaignent d'effets secondaires. "Cela a été un cheminement de pensée. Un jour, je me suis posé la question - comme tous les psychiatres je pense - de savoir quelle serait ma réaction si je devais prendre les médicaments que je prescris à mes patients. Évidemment, j'opterais pour l'arrêt du traitement. La grande majorité des patients avec schizophrénie arrêtent leur traitement de façon brutale: trois quarts des patients arrêtent leur traitement un an et demi après une hospitalisation. Ils sont déjà deux tiers dans ce cas six mois après l'hospitalisation. L'objectif est donc de collaborer avec le patient, d'évoquer avec lui la possibilité de diminuer la dose pour arriver à le stabiliser pour diminuer les effets secondaires."Le Dr Oswald rend hommage au Pr Berna qui a mis des mots sur le vécu du psychiatre. "C'est un questionnement qu'il faut avoir avec le patient, en consultation. Cela permet d'établir un lien de confiance avec le patient. J'en reviens à ma question de tout à l'heure: pourquoi prescrit-on tel ou tel médicament? Dans le cadre d'un antipsychotique, est-ce pour sédater ou pour faire régresser certains symptômes? On donne parfois des antipsychotiques pour sédater le patient et non pas pour qu'il puisse continuer à accomplir ses tâches quotidiennes."Tous les férus de faits divers et autres inconditionnels de Christophe Hondelatte connaissent la chanson: si tel individu avait été soigné, avait suivi son traitement, il n'aurait pas commis tel acte, parfois irréparable. Est-ce que la commission d'un acte répréhensible est dans la tête d'un psychiatre lorsqu'il décide de diminuer la dose d'un antipsychotique pour un patient schizophrène dangereux? "Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs, et quand il y a un risque médico-légal, on ne va pas tenter l'impossible. On choisit les patients à qui on propose la déprescription. On choisit aussi le moment propice. Avec certains patients, on y va plus doucement", répond le psychiatre français. Et de citer l'exemple d'un patient sexagénaire qui avait séjourné plusieurs fois dans des unités pour patients dangereux. "Il avait toujours un potentiel de dangerosité, mais il avait aussi des effets secondaires très nets dus à son traitement. Toujours est-il que j'ai considéré qu'il valait mieux qu'il ait des tremblements plutôt qu'autre chose. Mais je pensais à sa place. Lui se plaignait de ses effets secondaires, et je ne savais pas, en réalité, ce qu'il se passerait si je baissait sa dose. J'ai diminué la dose par deux. Pas en une fois. Millimètre par millimètre. Nous avons assuré des éléments de sécurité avec son épouse. Et résultat, aujourd'hui, sa qualité de vie est améliorée et le risque de dangerosité n'a pas augmenté.""Si l'on pouvait diminuer les risques de passage à l'acte ou de récidive chez les patients qui ont commis des actes répréhensibles par le simple fait de réduire la symptomatologie, cela se saurait", estime Pierre Oswald, qui va même plus loin : "C'est peut-être justement chez ces patients que l'on peut tenter la déprescription, car le risque n'est pas lié à leur symptomatologie. C'est contre-intuitif et il n'est pas facile de s'y mettre, mais c'est justement chez ces patients qu'il faut agir pour qu'ils aient vraiment toutes leurs compétences cognitives pour intégrer des nouveaux apprentissages qui les mèneront justement à une diminution du risque de récidive."Concernant la frilosité des prestataires peu enclins à entamer un processus de déprescription, le Dr Oswald pense qu'il faut pouvoir prendre des risques. "C'est quelque chose qui me heurte parfois, et qui m'énerve aussi. Nous avons du mal à prendre des risques. À l'hôpital comme ailleurs. Le premier embêté en cas de rechute, ce n'est pas le soignant ou l'institution, mais le patient. Le médecin est rarement embêté à partir du moment où il fait bien son travail."La déprescription ne touche pas que les antipsychotropes et les benzodiazépines. Les gériatres et les pharmaciens hospitaliers par exemple pratiquent la déprescription depuis longtemps, notamment dans un souci de "nettoyer les ordonnances" des patients polymédiqués. Un travail qui peut être réalisé en amont, avec la participation des patients. "C'est évident. On a l'impression que, en gros, tant que le corps peut supporter le médicament, on le conserve. Et quand un organe commence à défaillir, on réagit. Il faut se poser la question avant", avise le Pr Berna. "Chaque ordonnance doit être une nouvelle ordonnance. À chaque fois, il faut se poser la question de la validité, questionner notre routine, et ne pas renouveler une ordonnance sans réfléchir. C'est un travail important, notamment en médecine générale.""C'est un processus qui prend du temps", ajoute Pierre Oswald. "Renouveler prend moins de temps que réévaluer l'intérêt du médicament. C'est un peu idéaliste, mais je pense qu'il faut revoir la collaboration entre le prescripteur et le prestataire qui renouvelle la prescription. Le spécialiste qui fait le bilan et le généraliste qui renouvelle les prescriptions, c'est bien, mais ce n'est pas idéal. Il faudrait établir une checklist de points auxquels il faut être attentif. Il faut réévaluer fréquemment. Il y a lieu de réinventer de meilleures collaborations entre les différentes lignes de soins pour que justement ce renouvellement puisse être l'occasion d'une réévaluation aussi succincte soit-elle.""Tout comme l'on aborde les effets indésirables, il faut pouvoir inclure la déprescripion dans la relation avec le patient", conclut le médecin bruxellois. De son côté, Fabrice Berna estime qu'il faut inclure un module de déprescrition dans la formation des soignants. "Ce n'est pas un sujet que nous avons abordé durant nos études. Il n'est pas courant d'aborder la déprescription. Des outils existent et l'hôpital doit également participer, notamment au nettoyage des ordonnances avant que les patients ne sortent de leurs murs."