Portrait, en couleurs, du Dr Alexandra De Grave, qui a choisi de délaisser la blouse pour la toile... blanche.
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Après dix ans de pratique médicale, Alexandra De Grave a choisi en 2006 de réorienter sa carrière de médecin vers une carrière artistique fructueuse de peintre, qui la voit participer à nombre d'expositions nationales et internationales et présenter actuellement son dernier projet pictural dans une nouvelle galerie ouverte à Tongres. Le journal du Médecin: quel est votre parcours professionnel? Alexandra De Grave: "Je n'ai jamais pratiqué comme généraliste, mais j'ai fait ce qui s'appelait à l'époque le brevet de médecine aiguë. J'ai donc travaillé aux urgences en me disant que ce serait un travail stimulant, où je me sentirais utile et qui me correspondrait, mais c'était assez stressant. C'est une période très intense de se lancer dans la pratique en tant que jeune médecin. La sensation de ne pas tout maîtriser peut être déstabilisante au début, mais j'aimais ce métier et j'ai adoré mes études."Vous vous êtes ensuite dirigée vers le dépistage du cancer? Oui. Le dépistage du cancer du sein, après avoir suivi un DES en Santé publique. J'oeuvrais alors plutôt dans la stratégie organisationnelle. Ensuite, nous avons mis en place le programme de dépistage du cancer du côlon qui n'existait pas à l'époque en Wallonie. Pendant cette période, j'ai déménagé de Bruxelles à Dottignies, tout en travaillant au Centre de coordination pour le dépistage des cancers dans les bâtiments de la Fondation contre le cancer. Je me suis inscrite dans un programme en éthique médicale à Lille, mais vu le nombre limité d'inscrits, la formation n'a pas eu lieu. J'ai toujours été intéressée par l'art et je me suis alors dit: "Et si j'entreprenais une formation totalement différente de la médecine?" J'ai suivi des cours d'art plastique à Lille. Le premier jour, j'ai dû dessiner trois objets, et j'ai adoré... Ce fut une révélation, un autre monde s'ouvrait, une vie parallèle, créative. Quand débute votre carrière d'artiste? Il y a un peu plus de 15 ans. Au fur et à mesure, ces cours ont pris de plus en plus de place dans mon esprit. Je travaillais toujours au Centre, tout en essayant de peindre. J'ai commencé à peindre sur le coin de la table de la cuisine, puis j'ai installé un petit endroit dans une cave et, finalement, j'ai investi mon bureau. J'ai ensuite ressenti le besoin de me plonger complètement dans la peinture. J'ai réfléchi pendant un an, durant lequel je me disais: "Tu ne vas quand même pas abandonner ce métier?" Ceux qui m'ont le mieux compris, ce sont les médecins qui ont fait leurs études en même temps que moi et mes proches. J'ai participé à ma première exposition collective à Fernelmont. Et puis, de fil en aiguille, cela s'est enclenché, avec des hauts et des bas, jusqu'à trouver mon rythme entre des expositions en Belgique et à l'étranger, et plusieurs collaborations avec des galeries d'art. Votre peinture utilise-t-elle la technique du pochoir? Non, mais on me pose parfois la question. Jusqu'au covid, il n'y avait pas dans ma peinture cet aspect organique actuel, lié à la nature. Je me situais beaucoup plus dans l'abstraction. Jusqu'en 2011, les couleurs étaient remisées dans le fond, je les recouvrais avec des gris, cherchant à faire du clair-obscur. La série "Grandeur nature" est née durant le covid: nous étions coincés à la maison, j'étais inquiète et je ressentais le besoin d'être dans la nature pour échapper à tout cela. J'ai créé une sorte d'herbier géant qui a envahi mon atelier et j'ai développé une technique pour créer des empreintes organiques dans ma peinture. Je suis fort imprégnée par tout ce qui se passe dans le monde, et mon travail est finalement une sorte d'inversion, de rendu inversé: au plus la situation est difficile, au plus ma peinture se veut joyeuse, en résistance. Cette nouvelle série intitulée "Échappée belle" est une manière de créer un monde onirique préservé des tumultes du monde. Je suis bénévole chez Amnesty, et c'est comme si j'entendais la voix de toutes ces personnes emprisonnées, en Iran par exemple. Je me sens impuissante face à cela mais j'ai envie d'agir, alors je peins... ce qui ne sert à rien. (elle rit) Mais c'est ma manière d'inventer un monde plus beau. Vous n'éprouvez aucun regret à voir votre mari pratiquer son métier de médecin? Non, j'ai trouvé un autre chemin, et nous aimons tous les deux ce que nous faisons. La peinture serait-elle une sorte de catharsis pour vous? Je peins en premier lieu pour moi, pas pour plaire. Je cherche l'émerveillement, et je tente de déposer ce sentiment dans ma peinture. On peut s'émerveiller chaque jour de détails minuscules. Mon travail de peintre me rend beaucoup plus attentive à toutes ces petites choses qui sont si belles, parfois insignifiantes, mais en même temps magnifiques comme le vol d'un papillon, l'éclosion d'un bourgeon. Voyez-vous un lien avec la médecine dans votre oeuvre? N'y aurait-il pas un côté organique et vitaliste en lien avec la médecine? Au début, j'ai eu le sentiment qu'il y avait un lien... mais inversé. À mes yeux, peindre, c'est la passion, la vie, l'envie et tenter de répondre à celle-ci. Dans ma peinture, j'ai envie justement de transmettre la lumière, la force de la vie, la joie. Tandis que prendre soin, la plupart du temps, trouve son origine dans un élément problématique, en tout cas un déficit de santé, mais tend vers une amélioration de celle-ci et donc de la vie en général. On pourrait y voir un lien mais très éloigné et abstrait avec mon travail, qui peut s'apparenter à un acte de résistance: je prends ce qui ne va pas et je l'insère dans mes tableaux, mais pour le transmuter en une expression de joie existentielle. Les personnes qui sont touchées par mon travail disent ressentir cette joie. Votre peinture se voudrait-elle dès lors curative, curative pour vous et pour les autres? Transformer le négatif en positif me fascine. Et en effet, lorsque je suis dans l'atelier occupée à peindre, j'ai l'impression de créer un autre monde et j'aime m'y plonger.