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Le journal du Médecin:Votre nouveau livre, intitulé Fenua (voir ci-contre) est une sorte de voyage en étoile de mer? Oui, en effet puisque je pars d'un point pour y revenir à chaque fois, à savoir la Polynésie Pourquoi ce choix d'insister d'abord davantage sur la figure de Pierre Loti que sur celle de Gauguin? Est-ce parce que le premier était un écrivain? Je n'ai pas cette impression, pas plus que d'appuyer davantage sur la figure de Segalen. Tous ces livres sans fiction sont issus du projet "Abracadabra", lequel débute en 1860. Il s'agissait d'abord de développer l'idée que sans Loti il n'y pas Gauguin à Tahiti. Vous pointez le côté paradis terrestre écorné de la Polynésie. Malheureusement comme un peu partout sur la planète: abîmé du point de vue des paysages par l'industrialisation, par la vie occidentale. Et tout particulièrement en Polynésie française par ces 30 ans d'essais nucléaires qui, non seulement, ont bouleversé les paysages, mais également toute la vie. Mais, avant cela, au moment de la guerre, l'on voit apparaître les habitations en parpaings, les toits en tôle ... et les plantations de cocotiers alignés en rang d'oignons. Le fait d'être fumeur vous permet-il de convoquer plus facilement les fantômes comme vous le faites dans vos romans? Peut-être que pour certains écrivains, et pour moi en particulier, la cigarette est un rituel chamanique: dans de nombreuses civilisations, la relation avec les esprits passe par la fumée. Par ailleurs, il se fait qu'actuellement je me suis plongé, dans l'optique du prochain livre, dans un texte de Tolstoï sur le tabac. L'imparfait est-il le temps des fantômes? Absolument, car c'est le temps de la durée. Ce livre est écrit complètement au passé comme s'il était écrit beaucoup plus tard, comme des années après. Or, ce n'est pas vrai, parce que Fenua court jusque décembre 2020. L'événement le plus récent du livre c'est la dernière condamnation de Gaston Flosse. Et donc c'est écrit réellement dans la foulée. j'utilise beaucoup de futur antérieur dans ce livre, puisqu'il est écrit comme si c'était loin dans le passé ce qui explique son utilisation conséquente. Un futur antérieur que l'on confond parfois avec le conditionnel. On sent que vous écrivez pour la postérité de ce projet de douze romans débuté il y 25 ans qui prend pour point d'ancrage l'année 1860, effectue deux tours du monde sur les traces de grandes figures, notamment littéraires.... Voilà. Puisque je voudrais qu'il soit au final réuni dans sa globalité. C'est un peu la difficulté suicidaire. Dans mon esprit, c'est en fait destiné à être lu beaucoup plus tard que cette rentrée. Le côté contradictoire: c'est de la SF! J'ai débuté ce projet voici 25 ans, et il reste dix ans et j'aurai pu ne jamais publier ces livres avant que le projet soit complètement terminé dans dix ans. Mais je suis bien conscient qu'il me faut de la presse maintenant. Vous jouez à votre propre fantôme se faisant? Absolument. C'est destiné à être lu de manière posthume... mais en même temps je sais que la gloire anthume a du bon. Seriez-vous un écrivain du sillage? Très certainement. Je n'écris jamais sur un lieu que je n'ai pas vu et ce projet global consiste en deux tours du monde: dans un sens, puis dans l'autre, le demi-tour s'effectuant au niveau du livre qui prend pour décor la France, "Taba-Taba". Le but est de naviguer dans les anciens sillages. Vous êtes un peu comme une mouette suivant des vaisseaux fantômes? Oui, ce sont des livres d'enquêteur sur les traces de. Ce qui relie aussi fortement ces ouvrages entre eux c'est la présence de l'eau: la mer ou le fleuve. Ce projet fleuve justement serait-il une sorte de mémoire de l'eau? C'est en tout cas le signe d'un goût pour la navigation. Dès que je me trouve sur quelque chose qui flotte, je me sens mieux. Que ce soit une barque, une pirogue ou un navire, avec un goût prononcé pour la navigation fluviale. Pour Equatoria, le roman africain, j'avais remonté l'Ogooué à bord d'une pirogue ; j'ai navigué sur le Mékong, sur l'Amazone où j'ai connu le bonheur absolu que de remonter le fleuve sur des bateaux en bois de 50 mètres. La beauté de la navigation fluviale, c'est de combiner le temps et l'espace? Oui, à mes yeux, il s'agit d'une bibliothèque flottante... Jeune, vous avez vécu dans un lazaret en Bretagne, évoqué dans Taba-Taba. Vous concernant c'est plutôt la parabole du paralytique: étant jeune, c'était plutôt lève-toi et "marge" du fait de cette malformation qui vous a entravé durant votre enfance. Je me demandais s'il y avait un lien entre votre maladie osseuse et le fait que vous soyez hypermnésique? Je n'en sais rien. Cette immobilisation tout de même très longue, puisque la première fois cela a duré un an et demi sur le dos, a peut-être joué un rôle. Je ne sais si c'est un hasard, ou si cette solitude aussi longue et la privation de toute activité hormis la lecture a favorisé le développement de cette faculté. Depuis vous marchez beaucoup au point de devenir un écrivain "à la marche"? Je ne suis pas non plus un si bon marcheur. En tout cas un globe-auteur? Oui, mais la plupart du temps par l'usage de moyens de transport. La navigation fluviale vous relie également à votre enfance immobile: vous pouvez être à l'horizontale sur le bateau et quand même bouger... Voilà et le monde défile et l'on peut lire et fumer tout en étant immobile.