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Pansements, médicaments, emballages, textiles, peintures, ciment... les microplastiques et nanomatériaux sont partout: 5,25 trillions de particules de plastique circuleraient dans les eaux de surface des océans et la pandémie du Covid-19 a sans doute encore aggravé la situation. Cette pollution est de plus en plus considérée comme une bombe à retardement prête à exploser, s'ajoutant aux diverses menaces qui pèsent sur la santé et l'environnement. Les scientifiques s'en émeuvent, la Commission européenne a fait des plastiques une priorité. Le projet Horizon 2020 Imptox (auquel participe Sciensano) a par exemple été lancé le 1er avril dernier pour étudier le rôle complexe des micro- et nanoplastiques combinés aux contaminants environnementaux sur la sécurité alimentaire et la santé humaine, en mettant l'accent sur l'allergie et l'asthme. En France, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) et l'ANR (Agence nationale de recherche) ont organisé, le 20 mai dernier, une rencontre scientifique sur les microplastiques et nanomatériaux. "Pour agir, il faut comprendre, a noté Roger Genet (Anses) en introduction à la journée. " La plupart des agences constatent l'absence de connaissances alors qu'il faut répondre aux inquiétudes des citoyens. L'EFSA vient par exemple d'estimer que le dioxyde de titane n'est plus sûr. Les données nouvelles sur la toxicologie sont indispensables pour prendre des décisions par rapport aux risques auxquels nous sommes exposés. De plus en plus de publications montrent depuis plusieurs années une surexposition, des concentrations croissantes en micro- ou nanoplastiques à l'échelle planétaire. Il s'agit d'une nouvelle exposition aux conséquences inconnues, nous avons donc besoin de projets de recherche."Jérôme Rose (CNRS) a présenté l'approche "Safer by Design": "C'est un nouveau paradigme, il faut évaluer la toxicité à toutes les étapes du cycle de vie des produits nanométriques depuis leur production jusqu'à leur dégradation: sous quelle forme se fait le relargage des nanoparticules et par quel mode d'action? Caractériser les nanomatériaux dans les matrices n'est pas facile, nous devons développer de nouveaux outils à l'échelle microscopique et nanométrique (3D), certains permettent déjà de localiser les nanoparticules dans les poumons et dans les racines des plantes, par exemple ." Dès lors, limiter les risques doit commencer dès la conception des matériaux. Des chercheurs ont ainsi testé la stratégie des 3 R: Remplacer, Réduire et éviter le Relargage. " Remplacer par exemple le Cadmium par l'Indium, un peu moins toxique, travailler sur la coque pour éviter le relargage... Malheureusement, le concept 'Safer by Design' est assez compliqué à mettre en oeuvre par les industriels", nuance-t-il. D'aucuns estiment cependant que l'impact sanitaire et environnemental des nanomatériaux/particules est lacunaire malgré des usages déjà largement répandus et courants et que rien n'a changé depuis l'amiante: le développement des usages a précédé les connaissances sur la toxicité et les recherches d'impact à moyen ou long terme. Évoquer l'impact des microplastiques et nanomatériaux sur la santé humaine c'est parler de leur présence dans les aliments et l'eau de consommation. L'extrême complexité du problème repose sur la diversité de provenance (activités humaines, maritimes, décharges, stations d'épuration...), la diversité des formes (fragments, mousses, sphères, films, fibres, granules), la diversité de composition (polymères, bioplastiques, additifs...). " Ce qui, in fine, donne naissance à un cocktail de contaminants mal caractérisés. L'exposition de l'homme se fait via trois voies: la respiration (la principale), l'alimentation et la peau. C'est une thématique émergente qui nécessite d'harmoniser les méthodes d'analyse", a précisé Guillaume Duflos (Anses). Fabrice Nesslany (Ifremer) résume la situation en mettant en garde: " On a démontré la possibilité de franchissement de barrières biologiques, de persistance et d'accumulation dans les organismes. Cela a permis de prendre la mesure de la problématique toxicologique et écotoxicologique des nanomatériaux, avec la présomption que le passage de la matière à des dimensions nanométriques puisse faire apparaître des propriétés inattendues et souvent différente des mêmes matériaux à l'échelle micro-macroscopique. Les effets délétères sont divers et la pléthore de résultats toxicologiques doit être interprétée avec précaution. Néanmoins, il y a des hotspots: le potentiel cancérogène-génotoxique, la toxicité sur le système immunitaire et les phénomènes neurotoxiques au niveau central et périphérique avec une préoccupation pour le développement du système nerveux, ou des effets toxiques sur la reproduction et le développement. Pour les expositions par voie alimentaire, on notera également un questionnement sur l'impact vis-à-vis du microbiote ou sur la tolérance orale, encore insuffisamment investigué." Enfin, Pascale Fabre (CNRS) a pointé la principale difficulté de toutes ces recherches: la fragmentation due essentiellement à l'effet des rayons solaires et les effets de ces sous-produits dans l'environnement. " Biodégradable ne veut pas dire grand chose: tout dépend du milieu (pour l'instant aucune de ces matières n'est biodégradable dans les océans) et du temps". Voilà pourquoi il faut considérer les plastiques (et les nanomatériaux) dans l'ensemble de leur cycle de vie, et ne pas se limiter à l'endroit où on les jette, comme le plaident certains industriels.