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Une édition qui a choisi une approche moins muséale, ou "withe cube" selon les mots de la directrice artistique Anne-Françoise Lesuisse, en désignant comme centres névralgiques les bâtiments en voie de restauration des anciennes menuiseries de la ville de Liège d'une part, et l'ancien magasin Décathlon de l'autre, tous deux situés au coeur de la cité historique et encore Ardente. Dans le premier, trois expositions : la première, au rez-de-chaussée, voit divers artistes interroger la question des images à l'heure des écrans. Intitulée " Me, Myself and I", elle interroge l'exhibitionnisme... quasi ou réellement pornographique dans le cas du couple Émilie Brout et Maxime Marion qui met en exergue ses ébats d'une manière ont ne peut plus sexplicites (ça s'appelle d'ailleurs "Sextape"), ou filme sa vie amoureuse de la façon la plus impersonnelle dans le but de répondre aux critères, lénifiants cette fois, de la banque d'images Shutterstock. De tout : l'avatar de l'artiste Arvida Byström qui invente un conte contemporain chatoyant. Et du rien dans le cas de celui de Molly Soda qui elle se représente reproduite cent fois en train de danser différemment sur une même musique. Au sous-sol, Grégory Chatonsky imagine qu'une machine conçoit notre monde à partir des données trouvées sur le net. Une installation énorme et une sidérante réflexion sur la notion de mémoire. Plus sidérant encore, le travail de Laia Abril qui ouvre le deuxième chapitre de son " Histoire de la misogynie", consacré cette fois au viol. Des photos d'objets, de vêtements évoquent la culture du viol dans les sociétés anciennes ou contemporaines : la lapidation dans le passé ou l'obligation pour la violée encore aujourd'hui d'épouser son violeur (Russie, Irak, Bahreïn notamment). Des photos de robes traditionnelles ou évocatrices illustrent le viol que constitue par exemple le mariage forcé dans le cas de la Kirgyze Alina. Venues du passé pas toujours lointain hélas, la photo de la " bride de la mégère ", camisole du visage utilisée durant la période médiévale en Grande-Bretagne afin d'empêcher les femmes de " jacasser " ou de cet "appareil de vérité phallique" afin de déterminer si un homme qui veut échapper au service militaire en Tchécoslovaquie est réellement homosexuel : utilisé après la Deuxième Guerre, il est encore en usage en Tchéquie et reste une option aux États-Unis. Évoqué aussi les viols comme arme de guerre utilisée par les Serbes en Bosnie, au détriment de plus de 50.000 femmes bosniaques. Cette expo se conclut sur un objet véritable : une boite représentant un cas de viol en suspend, alors qu'aux États-Unis une agression sexuelle est commise toutes les 73 secondes ! Une photo de string explique encore pourquoi en 2018 en Espagne, un homme de 27 ans a été acquitté parce que sa victime de 17 ans portait ce genre de sous-vêtement (lequel, c'est implicite dans le jugement, est bien sûr une incitation au viol...). Le rapport image texte est ici tout à fait éloquent, comme d'ailleurs dans l'installation Mare Clausum de l'association britannique Forensic Architecture & Forensic Oceanography qui investit dans la défense des droits humains. Dans Mare Clausum, elle filme en 2018 l'ONG Sea Watch face aux gardes-côtes libyens, laquelle tente de sauver des migrants à la dérive au large de ce pays africain en guerre. Poignant. On ne pouvait rêver mieux que l'ancien bâtiment de Décathlon situé en Feronstrée pour dénoncer les dérives du capitalisme : dans ce gigantesque espace, le curateur Ilan Weiss a invité les artistes Camille Dufour et Rafaël Klepfisch a développé leur concept des sept péchés du capitalisme : au travers de sept écrans qui diffusent une superposition d'extraits (on voit Ben Laden, Snowden, Bezos, de la pornographie, de la guerre, des abattoirs...), l'orgueil, la gourmandise, l'envie, la colère, l'avarice, la paresse et la luxure sont ainsi évoquées, mais de manière contemporaine. À coté, le cabinet de curiosité économique imaginé par le laboratoire sauvage " Désorceler la finance " (Camille Lamy et Amandine Faugère) vise à mettre à bas le mantra " il n'y a pas d'autres alternatives ". Au milieu de la jungle des interventions présentées au sein de leur " Cabinet des curiosités économiques ", pointons l' After Microsoft de Goldin et Senneby : l'image de la colline devenue le symbole début nonante des écrans d'accueil Microsoft, les bannières militantes de Ed Hall anglais luttant pour une pension d'état décente pour tous, la secte des brûleurs de billets anglaise, les fascinants logarithmes de trading disruptifs du collectif RYBN ou, toujours digitales, les constellations de lobbys européens dans Vi(c)e organique de Fabrice Sabatier, deux installations montrées au ZKM de Karlsruhe l'an dernier. À côté d'installations amusantes, comme la cravate du DRH d'Air France déshabillé par les manifestants il y a quelques années, ou la boîte de jeu Trump (basée sur son émission télévisée de télé-réalité, The Apprentice), du supplément du Financial Times How to spend, ou de la chaussure du meilleur employé Décathlon (sorte de soulier d'or), ce manifeste par son côté touffu et souvent noyé par les slogans, a des airs de manifestation brandissant une foultitude de pancartes, ce qui fait perdre à son propos quelque peu de sa pertinence. Outre ses expos phares, la biennale se décline au travers de dix autres lieux, dont des galeries : Les Drapiers, située rue Hors-Château, montre par exemple l'oeuvre de Jean-Luc Petit, déjà présent en plein air à la Menuiserie, qui, à l'aide de scories de l'industrie métallurgie de Liège, il est liégeois, réalise à partir de la fonte, des oeuvres traces abstraites qui dans le procédé et le résultat évoque une Marthe Wéry un peu " rouillée "... La Space Collection présente quant à elle le travail d'un autre Liégeois récemment disparu Pierre Houcmant : un travail photographique du début basé sur le miroir, un autre des dernières années intitulé justement Faux-semblants, qui présente les photos de jumeaux en fait le même sujet photoshopé : il rappelle le Freaks de Tod Browning ou la série sur la gémellité de la photographe Diane Arbus.