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L' oeuvre au Louvre, voilà sans doute ce qui a du taraudé Picasso une partie de sa très longue carrière artistique. Au travers de plus de 165 tableaux, céramiques, sculptures, dessins et lithographies rehaussés de plus de 400 documents, l'exposition Les Louvre de Picasso étudie les rapports harmonieux, et parfois conflictuels, que Picasso a entretenus avec ce temple de l'histoire de l'art. Pour se faire, dans ce qui ressemble à un livre en trois dimensions dont les murs-pages sont d'ailleurs blancs, deux parcours: l'un chronologique rappelle La galerie du temps, permanente au musée lensois, l'autre, qui chemine en parallèle, place les oeuvres de Picasso dans le contexte des différents départements du Louvre, synthétiquement reconstitué. Le premier donc, permet de comprendre - témoignages, lettres, photographies, mais aussi toiles et autres formes artistiques à l'appui - les métamorphoses subies, notamment par ses visites au Louvre, par Picasso, mais aussi par le musée lui-même au cours du 20e siècle. Une relation tumultueuse qui commence quasi par un vol, celui perpétré au Louvre par le secrétaire d'Apollinaire, un Belge! , de deux statuettes ibériques, l'écrivain offrant l'une d'elles à Picasso. Elles sont montrées ici, non loin d'un registre du greffe de la Cour d'appel de Paris relatant l'épisode et les faits, et d'un très rare dessin de Picasso le montrant en visite à l'Exposition universelle de 1900 sur fond de tour Eiffel, en compagnie de son ami Manuel Pallarès. Un peu plus loin dans ce parcours chronologique, le portrait de Gustave Coquiot au cours de la Période bleue de l'artiste, magnifique oeuvre chatoyante et premier tableau accueilli par le musée en 1933. Il est un peu plus tard question de grande Histoire, lorsque Picasso est promu, à titre honorifique en 1936, directeur du musée du Prado par une République espagnole moribonde, tandis que durant la guerre, en 1942, Christian Dotremont rédige un poème appelant à la nomination du génie ibérique comme conservateur.. du Louvre! Un musée sous la botte allemande à l'époque et qui conserve notamment un buste de femme cubiste (encre et gouache) spolié au collectionneur Alphonse Kahn, mis au séquestre de l'institution muséale par l'occupant. Autre découverte, aux côtés d' Une femme au chapeau de 1935, d'une tête de femme de 1907 (pré-cubiste), et d'une Coiffeuse d'un cubisme radical cette fois de 1911 (tous prêtés par le Centre Pompidou), des études pour un projet de plafond pour le Louvre jamais réalisé, proposé par le peintre au conservateur Georges Salles, alors que son ami Georges Braque avait quant à lui déjà concrétisé le sien. Ou l'on découvre également l'attrait de Picasso pour les moulages en plâtres de L'esclave rebelle et un autre mourant signés Michel Ange, qui sont pour lui une source d'inspiration après guerre à Antibes. Un Picasso qui voit son nom s'inscrire parmi les donateurs du Louvre (une oeuvre rare de 1908 le voit dans un dessin - période Demoiselles d'Avignon - s'adonner au collage et placer les mots Au Louvre tirés d'un journal. Cela s'intitule... Le rêve). Une reconnaissance acquise grâce à la donation par l'artiste de la toile Le rocking-chair datée de 1943. 12 ans plus tard, l'exposition qui lui consacre le Musée des Arts Décoratifs, alors antenne du Louvre, divise: certains crient au sacrilège, d'autres au scandale de ne pas la voir intégrer le Louvre. C'est fait en 71 à l'occasion de son 90e anniversaire, qui voit huit de ses oeuvres - dont une magnifique Fillette au cerceau cubiste de 1919 montrée également ou ce Grand nu à la draperie qui, quatre années plus tard, le voit revenir à des formules classiques... et donc, au Louvre - s'accrocher aux cotés des maîtres anciens qu'il admire tant. A sa mort, sa collection personnelle, offerte au musée, permet d'admirer son éclectisme entre un Lenain, un Chardin, un Corot voire des contemporains comme Matisse ( Tulipes et huîtres sur fond noir) ou une figure anthropomorphe de Papouasie acquise en 1944 et d'un cubisme épuré. Malheureusement, il y a aussi dans le lot les oeuvres des dernières années de l'artiste... En un demi-siècle, le Louvre a proposé une vingtaine d'expositions temporaires incluant des oeuvres de Picasso: Picasso Ingres notamment, et, surtout, une confrontation avec les maîtres qui permet, pour l'illustrer, de découvrir à nouveau au Louvre-Lens une oeuvre pointilliste rare, pas la meilleure c'est sûr, qui s'inspire du Retour du baptême de Le Nain. Mis en parallèle de cette évocation, le second parcours se veut plus esthétique, forme comme des chapelles latérales qui communiquent face à la nef centrale que constitue le premier récit. Les parallèles entre l'histoire de l'art et des civilisations et l'oeil de l'artiste sont fascinants: le portrait d'un garçon ou la figure sur un linceul peint datant de l'Égypte ancienne mais romaine mis en regard d'un autoportrait crayonné de 1908 ou d'une lithographie d'un portrait d'un jeune garçon en 45 sont saisissant de ressemblances. Comme la tête de taureau de 1942 qui surplombe celle originaire d'Irak de - 2600 avant notre Ère ou les pendentifs de Syrie, plus jeunes d'un millénaire et mis en regard des médailles épurées conçues par Picasso à la fin des années soixante. Dans la section consacrée aux Antiquités grecques, étrusques et romaines, on peut notamment admirer un miroir étrusque sculpté dans du bronze, confronté à trois nus gravés dans le hêtre qui présentent la même forme, aux côtés notamment d'une stèle funéraire attique vieille de 5.000 ans placée face à une toile sanguine de Trois femmes à la fontaine signée par Picasso en 1921 au début de sa période néoclassique. Et une rareté: les études classiques du tout jeune Pablo en 1895 à l'académie de Barcelone qui "croque" la Vénus de Milo. D'ailleurs, le Département des arts graphiques témoigne de son art du dessin: comparaison est faite entre des images de mains d'Andréa del Sarto au cours de la Renaissance italienne et trois dessins de la même partie du corps par Picasso, disproportionnées, dans son retour à l'ordre en 1921. Enfin dans ce très beau parcours qui montre à la fois un Picasso intime, secret, puisant dans l'histoire de l'art tout en effaçant les traces de ces inspirations en ogre qui dévore et digère tout (notamment en sculpture où il ravit le mouvement vu chez Degas), le Département des peintures offre un panorama éloquent de ses influences les plus prégnantes qu'il s'agisse de Murillo, Boucher, un Manet évidement espagnol, ou Ingres ( Le bain turc), et les réinterprétations qu'en réalise Picasso, comme dans le cas de L'enlèvement des sabines de Poussin. Et s'agissant du Déjeuner sur l'herbe de Manet (par parenthèse, on croise peu d'impressionnistes dans son panthéon personnel), il multiplie les recherches au début des années 60, le représentant dix fois sous diverses formes: une série intéressante, à défaut d'être subjuguante, par un génie vieillissant qui commence à radoter. Double Portrait magnifique et original à la fois de l'artiste et du Louvre dans un double cheminement et une double confrontation donnant à voir les échanges, les évolutions de leur relation et de leur art réciproque qui est celui, identique, de... montrer. Un art multiforme chez Picasso comme dans le cas du musée. Bref, l'oeuvre et le Louvre...