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L e journal du Médecin : Tout d'abord, comment va votre santé ? Vous toussez fort... Comment diable avez-vous attrapé le virus ? Dr Philippe Devos : Je ne le saurai jamais. C'est peut-être mon épouse ou peut-être moi l'importateur du machin. De toute façon, peu importe. C'est là, c'est là. On sait qu'il y a 30% de porteurs asymptomatiques. Ma préoccupation est plus de n'avoir à mon tour infecté personne. Vous aviez annoncé récemment que de nombreux médecins et soignants seraient infectés et que certains mourraient. Quel message à vos confrères ? Rassurant ou inquiétant ? Il n'y a pas que moi qui l'ai annoncé : les chiffres chinois rapportent que 50% des médecins ont été infectés ; chez les Italiens, que 30% des médecins l'ont été dans les trois premières semaines. C'est une réalité. Certains de mes confrères me parlaient des masques comme si c'était un gri-gri magique. Ce n'est pas le cas. Le risque zéro n'existe que lorsqu'on est confiné à la maison. Quant au décès, l'Ordre des médecins français a eu le courage de communiquer sur cette état de fait : ils ont aussi écrit qu'il fallait voir la réalité en face. Les autorités sanitaires italiennes ont publié ce jour qu'ils déploraient le décès d'un 18e médecin. C'est peu par rapport au nombre total de morts, mais évidemment, c'est 18 fois trop pour quelqu'un qui exerce son métier. Il est important d'être conscient des risques car la priorité doit être de protéger les médecins des groupes à risques (on n'est pas tous jeunes) et de maintenir la pression sur le gouvernement pour qu'il nous donne les moyens de nous protéger. Là est le message principal. Ce qui apparaît d'emblée comme un scandale d'État, c'est le manque de masques et de tests. Vous partagez cet avis ? Doit-on rapatrier nos capacités industrielles à cet égard en Europe ? C'est la démonstration du risque de la délocalisation à tout prix. Demain, il faudra repenser le fonctionnement de nos sociétés. Aujourd'hui, la Belgique dépend du bon vouloir de pays voisins pour protéger ses médecins, pour avoir du matériel vital et même pour avoir des médicaments. Que se passera-t-il si ces pays producteurs sont touchés par un pic majeur et qu'ils priorisent leur propre approvisionnement avant l'export ? Je pense dès lors que oui, il faut ramener des capacités en Europe et même en Belgique car le scenario italien a montré que même la solidarité européenne n'est pas garantie. Et si c'est trop tard pour ce pic, cela pourrait tout de même être utile dans l'hypothèse d'un second pic. De quoi médecins et soignants ont-ils besoin en ce moment ? De soutien. Plus sérieusement, de matériel de protection avant tout. Ensuite nous avons besoin qu'on nous rassure sur les solutions trouvées au risque de pénuries de matériel de ventilation et au risque de pénuries de médicaments. Actuellement, les réponses qu'on reçoit sont trop vagues. Plusieurs " écoles " existent dans le monde pour vaincre le virus : confinement, " herd immunity " (immunité grégaire), dépistage massif et confinement des seuls infectés. Quelle est la meilleure solution, selon vous ? Dans l'urgence, le confinement était la meilleure des solutions. Mais il faudra en sortir. On voit qu'en Corée du Sud, ils y sont parvenus par du dépistage rapide et massif. Il faut qu'on ait les moyens technologiques locaux de pouvoir le faire. On revient sur le problème de la délocalisation. Apparemment, la Belgique s'en sort plutôt bien. À quoi cela est-il dû ? Je préférerais répondre à cette question dans dix jours... Car on verra à ce moment-là si effectivement on s'en sort bien. Nous avons mis en place un bouquet de mesures : fermeture rapide des écoles, confinement de tous les rhumes, télédiagnostic (nous sommes les seuls au monde à avoir fait cela), sensibilisation de la population afin qu'elle respecte les mesures, etc. Mais aussi arrêt des admissions programmées bien en avance qui a pu éviter des infections croisées entre patients à l'hôpital (très décrit en Italie)... Quand on fait "tapis" et qu'on met plein de choses en place, il est difficile de dire ce qui a marché. Mais nous n'avions pas le choix. Alors que plusieurs tests cliniques sont en marche dans les prochaines cinq semaines, faut-il attendre leur verdict ? Le jdM avait annoncé que l'équipe du Dr Raoult utilise d'ores et déjà, pour les patients infectés au Covid-19, un traitement par association hydroxychloroquine + azithromycine. En tant que malade vous-même et pour tous les malades, prendriez-vous cette association médicamenteuse faute de mieux considérant que les effets secondaires sont peu de chose à côte du décès du patient ? L'hydroxychloroquine est déjà utilisée chez tous les hospitalisés. La priorité est que l'approvisionnement de l'étranger se maintienne jusqu'à la fin de cette crise pour les hôpitaux. J'espère que l'État va trouver des solutions pour cela. Je n'ai toujours pas compris pourquoi on ne pourrait pas réorienter notre industrie chimique et pharmaceutique pour devenir producteurs ! Si j'étais un patient suffisamment grave que pour être hospitalisé, je le prendrais oui. D'autant que mon ECG est normal (je dois faire un contrôle cardiaque annuel dans le cadre de mon sport, la plongée sous-marine). Pour l'azithromycine, il y a moins de preuve et la pénurie est marquée. Mais en désespoir de cause, on finit par tout essayer. Il faut aller voir les publications des Chinois : ils ont essayé des dizaines et dizaines de molécules durant leur période difficile. Serons-nous davantage prêts pour la prochaine pandémie ? Ah ! Eh bien, j'espère que tout ce qu'on fait maintenant ne sera pas vain ! J'espère qu'on a désormais compris qu'il faut considérer cette menace au moins autant que le terrorisme. Quand on voit combien le terrorisme a changé le fonctionnement de nombreux systèmes, j'espère que nous tirerons les leçons de ce drame.