...

Membre de l'Académie nationale de médecine française, le médecin hospitalier Philippe Bruniaux - natif d'Arbois où a vécu et travaillé le grand scientifique franc-comtois, président de l'association Pasteur patrimoine arboisien (PPA) et membre de la Société française d'histoire de la médecine - est un spécialiste reconnu de Louis Pasteur. Il signe, avec "Louis Pasteur, l'artiste!", un beau livre richement illustré, qui met en exergue les talents artistiques de Louis Pasteur. Pour Le journal du Médecin, il croque le portrait caché, plutôt que craché, de ce grand homme de science. Le Journal du Médecin: Que révèlent le dessin, le pastel, du scientifique Pasteur chez l'artiste? Dr Philippe Bruniaux: Chez Pasteur, qui était myope, la pratique du dessin et du pastel révèle une volonté d'avoir un regard très précis. Par ailleurs, cette activité artistique lui a permis de s'introduire dans la bonne société arboisienne, mais ensuite également dans celle de Besançon. Le pastel lui a procuré - au début, en tout cas - une forme d'ascension sociale, même si le père de Pasteur n'était pas aussi pauvre qu'on le décrit généralement. Ensuite, l'une des qualités de l'artiste portraitiste, c'est la patience: aussi bien la patience du côté de celui qui se fait dessiner, que du dessinateur. Au-delà de cette qualité s'ajoute une certaine rapidité, notamment dans le cas du portrait dit du "Petit page", un petit garçon qui n'a pas pu poser des heures durant. Cette rapidité du trait d'exécution s'inscrit dans une certaine patience, laquelle fut aussi le cadre de ses découvertes scientifiques. Ce qui est également à souligner, c'est que même dans le domaine artistique Pasteur en voulait toujours plus: il a eu deux professeurs de dessin durant ses études à Besançon. Il est dans cette démarche de toujours chercher à s'améliorer, d'être le meilleur et de comprendre les choses. Voyez-vous un rapprochement entre l'atelier et le laboratoire? Je fais cette comparaison au début du livre: ce sont, dans les deux cas, des lieux de bouillonnement des idées, de création, de vie au milieu d'objets ou d'instruments. Et puis le laboratoire possède également le côté 'atelier de la Renaissance', peuplé de collaborateurs. Ajoutons que dans certains ateliers de peinture, même à l'époque, il y avait, je pense, des "apothicaires" ou des "alchimistes", une création matérielle de couleurs, on y trouvait un aspect en rapport avec la chimie. L'art du pastel qu'il pratique majoritairement a une influence sur son côté scientifique? Pasteur n'a pratiqué quasiment que le pastel, on ne lui connaît pas de peintures. Le pastel est une matière qui se travaillait un peu plus facilement que la peinture à l'huile, qui n'avait pas la même durée de temps de séchage, qui se révélait également beaucoup moins chère que la peinture à l'huile et qui, au 19e siècle, était plutôt utilisé pour les portraits de bourgeois, puisque tous les aristocrates, eux, se faisaient portraiturer avec des huiles et non au pastel... pour se distinguer. Ce qui est étonnant, c'est qu'après cette période de création artistique au pastel durant sa jeunesse, il n'a plus jamais redessiné de manière artistique. Le seul dessin dans ses cahiers de laboratoire est celui de sa femme qui allaite. Pasteur n'a ensuite pas continué à dessiner autrement que scientifiquement. Il y a comme une forme de dichotomie. Néanmoins, créer au pastel, cela revient à porter un regard sur l'humain, à aller dans la profondeur des choses. Finalement, ce qu'il appréciait dans l'art, c'était le côté échappatoire par rapport à sa carrière scientifique et ses recherches. Pasteur a, tout à long de sa carrière scientifique, souvent visité les musées d'art. Quand il découvre Dresde en 1852 - au coeur de la révolution scientifique et industrielle, avec ses mines et ses machines à vapeur -, dans sa recherche de l'acide racémique, Pasteur n'oublie pas d'aller visiter la Galerie des maîtres-anciens. Comment expliquer qu'à part ce dessin de sa femme qui allaite Jeanne, son premier enfant, en 1850, il met fin à sa "carrière" artistique ? Il tourne la page : sa vie n'est plus que consacrée à la science. Pasteur a d'ailleurs réalisé ce dernier dessin artistique sur la page de garde d'un cahier de laboratoire...Le grand peintre historique Jean-Léon Gérôme, franc-comtois comme Pasteur, dit de ce dernier, quand il arrête le dessin artistique, "ça fait un concurrent en moins"... Il le dit aussi parce que c'était Louis Pasteur... et donc il le flatte (il sourit). Son père était lui-même doué, à voir le Grognard laboureur exposé au musée de Dole... Oui. Ce tableau révèle une ambiance, un regard intime sur ce grognard. Le fils de pasteur a aussi peint des paysages. Quant au petit-fils, il a donné dans l'abstraction. Louis Pasteur fait donc partie d'une lignée... À l'époque, dans les années 1830-1840, le dessin était une matière très enseignée: les jeunes au collège se voyaient prodiguer des cours de dessin avant les autres matières. L'enseignement de l'art était très important, plus même que la musique. On compare souvent Victor Hugo et Louis Pasteur, les deux grandes figures de l'histoire française du 19e : ils se ressemblaient, pas politiquement, mais physiquement, sont tous deux Francs-Comtois et ont chacun développé un talent pour l'art pictural... Dans certaines familles, la littérature, la lecture, le dessin faisaient partie de cette volonté de progresser, de s'élever socialement. N'oublions pas non plus que Pasteur fut professeur à l'école des Beaux-arts. Il y utilise son versant scientifique afin de prodiguer des conseils aux architectes et aux peintres: il s'est proposé d'appliquer ses connaissances scientifiques aux beaux-arts, expliquant aux peintres comment un vernis vieillit et les couleurs s'équilibrent, et aux architectes les techniques de chauffage, notamment. C'est l'époque où il travaille sur les fermentations, les maladies du vin à Arbois. Mais il prend le temps de rester connecté aux matières artistiques, en devenant professeur aux Beaux-arts de Paris de 1863 à 1867.