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On n'a jamais observé un pareil écart entre l'optimisme béat des marchés boursiers et la profonde déprime de l'économie. Tel est en substance le message de nombreux commentateurs, avec un mélange d'incompréhension et d'appréhension. L'investisseur particulier doit-il s'en inquiéter et rester sur le qui-vive au jour le jour ? Soyons clair : ce serait vain. Pour autant, il n'est pas inutile de faire le point, quitte à afficher un léger parti-pris en glanant les éléments rassurants mis en lumière dans les nombreuses études récemment publiées sur le sujet. On ne saurait évidemment occulter la réalité : du fait du confinement, l'économie a, au niveau mondial, subi un effondrement sans précédent. Dans ses dernières " perspectives économiques ", l'OCDE prévoit pour cette année un recul du PIB de 9 % dans la zone euro et de 7,3 % aux États-Unis. On pourrait qualifier ces évolutions de replis s'il s'agissait du bénéfice réalisé par une entreprise. Pour le PIB, c'est-à-dire l'ensemble des richesses produites sur l'année par un pays, il s'agit plutôt de la chute d'Icare ! La comparaison est en effet édifiante avec la " grande crise financière " de (2008 et) 2009. Cette dernière année, le PIB avait reculé de 2,5 % à peine aux États-Unis et de 4,3 % dans l'Union européenne. Encore s'agit-il là du scénario optimiste de l'OCDE. Ce serait pire si une 2e vague de Covid-19 survenait avant la fin de l'année, un spectre souvent agité depuis que de nouveaux cas sont apparus en Chine. Ce serait pire... mais pas tant que cela, puisque l'OCDE avance alors -11,5 % pour la zone euro et -8,5 % pour les États-Unis. Voilà qui est presque rassurant... Sous réserve de cette hypothétique seconde vague, le pire est aujourd'hui passé, relève Keith Wade, chief economist du gestionnaire d'actifs britannique Schroders, qui prend notamment à témoin la stabilisation des prix des matières premières. Pour sa part, la banque UBS y va même d'un vibrant " la récession mondiale est terminée ! " Parmi les preuves retenues : le rebond du marché du travail aux États-Unis. Pour rappel, pas moins de 39 millions d'Américains avaient perdu leur emploi en neuf semaines, soit grosso modo entre la mi-mars et la mi-mai, le taux de chômage atteignant alors 14,7 %, au plus haut depuis les années 30. Heureuse surprise quand le Labor Department fit les comptes pour l'ensemble du mois de mai : le pays a créé 2,5 millions d'emplois et le taux de chômage est revenu à 13,3 %. Ce redressement beaucoup plus rapide qu'attendu a clairement fait forte impression. Même si les perspectives économiques dressées au même moment par la Fed, la banque centrale américaine, ont aussitôt jeté un froid... Quelle forme aura la reprise ? C'est la grande question ! Le V désigne un rebond rapide menant au niveau antérieur. UBS avance cette hypothèse... mais s'attend à un affaiblissement ultérieur. Dès lors, il s'agirait plutôt d'un scénario très noir : la forme du L ; on a compris que l'économie aurait du mal à se redresser. Personne n'avance ce scénario. Reste le U : on rebondit, mais il faudra un certain temps pour revenir au niveau antérieur. C'est l'opinion la plus répandue. En tout cas, il faut que la demande redémarre vigoureusement. En France, après une chute de l'ordre de 30 % en mars, tant pour l'activité économique que pour les dépenses des ménages, le recul est attendu à -12 et -5 % respectivement en juin. C'est bien, mais pas suffisant. Les ménages vont-ils se venger du confinement en dépensant avec entrain ou, apeurés par les conséquences de la crise, vont-ils gonfler leur épargne de précaution ? C'est aujourd'hui LA question, qui conditionne la reprise de l'économie. Aspect positif : pour éviter des licenciements massifs, les États européens ont subsidié des millions d'emplois. Avec pour conséquence une baisse moyenne de 2 % seulement du revenu des ménages cette année, projette la Banque nationale de Belgique (BNB). Aspect négatif : le citoyen sera-t-il pour autant rassuré, alors que cette même BNB évoque la perte de 185.000 emplois, tandis que l'assureur-crédit Euler Hermès place la barre à 320.000 ? Si le consommateur est prié de dépenser, que doit penser l'investisseur en actions ? Il n'est pas sensible qu'à l'évolution du cours, aussi vrai que, sur le long terme, les dividendes représentent grosso modo les trois quarts de la rémunération totale (return) obtenue en Bourse. " La baisse des prévisions de croissance implique une chute des bénéfices de l'ordre de 20 à 30 % dans les pays développés ", analyse Hugh Gimber, de JP Morgan. " Or, bénéfices et dividendes sont historiquement corrélés de très près. " Il souligne que les secteurs contribuant le plus largement aux dividendes sont l'énergie et les banques. Le premier verra ses bénéfices massacrés par l'effondrement du prix du pétrole, tandis que les secondes passeront leur dividende sur demande des autorités, du moins en Europe. Les entreprises américaines, elles, risquent de faire assez massivement une croix sur les rachats d'actions. Ils seront même interdits, comme le paiement de dividende, en cas d'aide financière. Des désagréments relativement passagers et d'ampleurs diverses. Plus important : il faut que les entreprises tiennent le coup. Or, plusieurs dépôts de bilan retentissants ont déjà fait l'actualité. Outre Swissport Belgique par exemple, on relève des géants américains comme le loueur automobile Hertz ou le groupe de distribution historique Penney. En réalité, il s'agit là d'entreprises qui étaient déjà très fragiles, voire vacillantes, avant la crise. On attend, c'est vrai, une fameuse nouvelle vague dans les mois qui viennent, y compris en Europe et en Belgique, mais il s'agira très largement là aussi de maillons faibles. Or, souvent qualifiées de " zombies ", ces entreprises trop endettées, qui ne tiennent le coup que grâce à des taux d'intérêt au plancher, faussent la concurrence et pèsent donc sur les marges des autres. Leur disparition améliorera la rentabilité des entreprises saines, soulignent les économistes. Les grands investisseurs n'ont en tout cas pas baissé les bras. Tandis que le fonds souverain d'Arabie saoudite achetait pour 7,7 milliards de dollars de titres BP, Shell, Total, ou encore Boeing, le gestionnaire d'actifs BlackRock (numéro 1 mondial avec 6.500 milliards en portefeuille ! ) investissait trois milliards en actions d'entreprises européennes et 13 milliards en obligations. Les énormes plans de soutien décidés par les États inspirent visiblement confiance. Il est vrai que même l'Allemagne, si soucieuse d'afficher un budget en boni, a rapidement annoncé des mesures dont le montant dépasse à présent 1.300 milliards d'euros. Difficile de paniquer dans ces conditions...