Chirurgien français de l'obésité, le Dr Guillaume Pourcher signe un livre qui vise à déculpabiliser les malades, à lutter contre la grossophobie et contre cette pandémie, "maladie du siècle" selon ses termes.
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En France, le taux d'obésité pourrait atteindre 25% d'ici 2030. Mais pour le Dr Guillaume Pourcher, l'obésité n'est ni une faute, ni une fatalité. Militant pour un recours plus fréquent à la chirurgie, il met en garde contre la nocivité de certains régimes, et plaide pour la fin de la stigmatisation de cette maladie et, parfois, de la chirurgie de l'obésité qui permet de la soigner. Le journal du Médecin: L'obésité est une maladie chronique? Dr Guillaume Pourcher: Il s'agit du message principal du livre. En parler en tant que maladie est très important afin de déculpabiliser les personnes qui en souffrent. Elle fait intervenir, comme toutes les autres maladies, des causes et des facteurs aggravants. Et, souvent, nous mélangeons les deux, en parlant trop vite de causes s'agissant des aliments notamment, alors qu'il s'agit plutôt des facteurs aggravants. L'autre élément important, c'est la chronicité qui nécessite un suivi à vie. Il a fallu attendre 1997 pour qu'elle soit considérée comme pathologie par l'OMS! C'est lié au tabou dont elle est encore l'objet aujourd'hui, même si le regard évolue. Les problèmes de l'obésité sont directement stigmatisants: une personne en situation d'obésité sera considérée comme plus bête, moins volontaire, plus fragile. Nombre d'éléments et de croyances sont liés à ce phénotype, alors qu'il s'agit d'une véritable maladie, au même titre que le diabète de type 2, maladie complexe qui fait intervenir des mécanismes assez semblables. On dénombre quatre grandes causes dans l'obésité, qui sont d'ordre génétique, microbiotique et hormonal, sans oublier le trauma psychique: ce dernier ne va pas seulement abîmer et fragiliser la psyché, mais aura des conséquences physiologiques. Les facteurs aggravants sont liés à l'individu, au comportement, à l'alimentation, à l'activité physique, au sommeil également - car cela fait grossir que de mal dormir -, et à la gestion des émotions. Reste un facteur aggravant, lié à la communauté: la discrimination. Cela fait autant grossir de mal regarder une personne obèse ou de la juger, que pour celle-ci de manger de la malbouffe ou d'être sédentaire. Vous écrivez: surtout pas de régime... On possède un certain nombre de données dans la littérature qui sont très clairs à ce sujet. Quant au fait d'avoir des régimes restrictifs et hypocaloriques trop violents - j'entends par le mot 'régime' la coercition, l'interdiction de certains produits, le jeûne -, l'on sait que cela fonctionne: au début, on perd du poids, on mange moins... Mais sur une période de six mois, même en le suivant correctement, on reprend du poids, et même plus qu'auparavant. Parce que le régime dur va créer un stress au niveau du corps: il existe des mécanismes complexes, d'ordre inflammatoire, dont on ne parvient toujours pas à déterminer le fonctionnement, qui résultent dans le fait que le corps va emmagasiner plus de réserves encore. Ce stress sur le corps lié au régime va aggraver la maladie obésité et la prise de poids. Alors que dans le cas d'un individu qui ne souffre pas de cette maladie, le corps va notamment bien gérer le jeûne. Je ne suis pas opposé au jeûne intermittent, très en vogue actuellement, mais dans le cas d'une personne souffrant d'obésité, c'est à proscrire, car plutôt dangereux dans son cas. Y aurait-il également une discrimination vis-à-vis de la chirurgie de l'obésité? Tout à fait. Et c'est également un des sujets majeurs de cet ouvrage. Selon moi, il existe une "chirurgiephobie". Ces chirurgies ont fait leurs preuves, l'objet d'études scientifiques de très haut niveau, qui prouvent que quand il est bien indiqué, bien préparé et bien suivi, ce traitement se révèle presque miraculeux et sauve la vie des personnes en situation d'obésité. Il fait disparaître des maladies comme le diabète ou l'hypertension. Ce traitement est encore trop souvent considéré comme honteux, et donc pas assez réalisé à cause de préjugés. Vous ne voyez pas d'opposition entre médicament et chirurgie... Les nouveaux médicaments sont une chance, un nouvel outil thérapeutique, complémentaire de la chirurgie. Il ne faut surtout pas les opposer. Si l'on peut bénéficier de la chirurgie, il vaut mieux choisir cette option, qui démontre une très bonne efficacité. Lorsque ce n'est pas le cas, c'est alors que le médicament prend toute sa place. Vous citez le cas d'une patiente obèse qui maigrit suffisamment, ce qui permet d'éviter la transmission de la maladie? La transmission est un élément que je relève et qui est à mon sens l'un des facteurs majeurs de l'évolution pandémique de l'obésité. Si elle augmente, c'est plus à cause d'un défaut de soins que des méchants industriels qui nous intoxiquent ou des personnes trop faignantes. Une étude canadienne a mis en évidence qu'une maman en situation d'obésité chez qui l'on a repéré des marqueurs épigénétiques d'insulinorésistance, de tendance à l'obésité, transmet 100% des marqueurs. Si cette même personne est opérée et qu'elle maigrit, elle perd des marqueurs personnels. De plus, elle ne transmet que 30% des marqueurs restants. Plus vous soignez la population atteinte, moins vous aurez de contamination et de transmission.50% de la population mondiale en 2035 souffrira d'obésité, selon les études. La malbouffe va aggraver la situation mais elle n'est pas la cause, écrivez-vous...On ne peut pas se contenter de stigmatiser les personnes en situation de maladie, ce qui ne réglera rien. Contrôler et protéger la santé communautaire, c'est soigner les personnes, les dépister et les déculpabiliser. Ce sont trois axes très importants. D'autant que le coût de l'obésité est colossal : en soignant ces populations, on le diminue fortement. Les causes restent mal connues ?Les causes de l'obésité sont complexes. Elles vont toucher globalement la physiologie et passent par les mécanismes essentiels que sont le génétique, l'hormonal, le microbiote et le trauma psychique, les quatre grandes familles de causes que l'on commence à identifier. Les chirurgiens ont un esprit très pragmatique et procèdent à des chirurgies de l'obésité dont ils voient le résultat bénéfique, mais sans comprendre vraiment le pourquoi. Les chirurgiens du 18e siècle procédaient de manière équivalente lorsqu'ils enlevaient un abcès : ils avaient compris qu'en vidant le pus, cela soulageait la personne, sans connaître pour autant ni les bactéries, ni les antibiotiques. Aujourd'hui, dans le cas de l'obésité, nous sommes dans une situation un peu similaire. Le chirurgien, de par son approche pragmatique, permet d'ouvrir la voie. Mais il reste beaucoup de choses à définir et à comprendre. Dans un passé encore récent, les chirurgiens étaient stigmatisés par les médecins. Ceux de l'obésité sont-ils encore stigmatisés par leurs confrères médecins qui ne sont pas chirurgiens? C'est une réalité, bien que ma génération le soit un peu moins. Jusqu'à il y a peu, la chirurgie de l'obésité était considérée comme la chirurgie des nuls, de ceux qui ne pouvaient pas faire autre chose. Alors que la chirurgie du cancer était plus glorieuse, sans parler de la chirurgie hépatique. La situation est en train d'évoluer, parce qu'on se rend compte de son intérêt pour les malades. Souvent, des personnes parlent encore de chirurgie fonctionnelle pour la chirurgie de l'obésité. Ce qui me hérisse, parce que ce n'est pas du tout fonctionnel: elle sauve la vie, au même titre que d'autres chirurgies. Mais comme dans le cas des cancers, la chirurgie ne guérit pas la maladie, mais sauve des vies. Elle soulage en tout cas grandement? Le cancer peut être guéri. Dans le cas de la chirurgie de l'obésité, c'est un peu plus complexe. Des patients parviennent à un état d'équilibre qui transforme leur vie. C'est une mutation de l'individu, et l'un des points un peu miraculeux de ce geste chirurgical, mais qui n'équivaut pas à un coup de baguette magique. Il faut s'y préparer, se faire suivre. Je compare souvent la maladie 'obésité' a une prison: l'opération, c'est la clé de la porte de la prison et, sans elle, on ne pourrait sortir. Mais si on ouvre la porte sans sortir de sa cellule, on est toujours en prison. Une démarche volontaire de reconstruction de sa vie est nécessaire, de mise en place de ce qui doit être la fierté des patients qui réussissent. La réussite d'un traitement chirurgical dépend à 70% des patients eux-mêmes et pas du chirurgien. Vous insistez d'ailleurs sur l'accompagnement avant et après... C'est primordial, et dans le soin en général. Il ne s'agit pas simplement d'un acte ponctuel. On est face à une maladie qui est beaucoup plus complexe qu'un simple acte opératoire. Cela fait partie du bon soin et de mes convictions profondes de médecin: nous sommes chirurgiens, mais nous sommes avant tout médecins.