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Quelles sont les interactions entre les voies de signalisation moléculaire circadienne et inflammatoire dans les tissus adipeux? Ont-elles un impact sur les dysfonctionnements associés à l'obésité? Ces questions sont au coeur du travail d'Eléonore Maury (Institut de recherche expérimentale et clinique (IREC), UCLouvain): " L'horloge biologique suscite beaucoup d'intérêt ces 20 dernières années et notamment son lien avec le syndrome métabolique, l'obésité et leurs complications. En 2017, le prix Nobel de médecine attribué à Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young a récompensé leur découverte des gènes clés de l'horloge biologique. Beaucoup de publications ont montré que les perturbations du rythme biologique favorisent le développement de pathologies comme le syndrome métabolique et les complications qui y sont associées (obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires) mais aussi des maladies neurodégénératives." " Jusqu'à présent, les quelques études qui ont examiné le mécanisme de l'horloge circadienne dans le tissu adipeux humain ont surtout exploré le dépôt sous-cutané. Pourtant, la graisse viscérale, plutôt que la graisse sous-cutanée, joue un rôle crucial dans la pathogenèse du syndrome métabolique. Nous nous sommes concentrés sur le dépôt viscéral qui, comparé au dépôt sous-cutané, présente un état inflammatoire plus élevé. Nous avons découvert une interaction entre l'horloge circadienne et l'activation de la voie NF-k B dans la graisse viscérale humaine, confirmant ainsi les données sur foie murin. Cette interaction est renforcée chez les sujets obèses", précisent Eléonore Maury et ses co-auteurs dans Nature Communications. Les résultats de la recherche menée par Eléonore Maury au sein du Laboratoire d'endocrinologie, diabète et nutrition (UCLouvain-IREC) dirigé par la Pr Sonia Brichard, montrent que des perturbations de l'horloge moléculaire biologique peuvent être observées à un stade assez précoce au cours du développement de l'obésité, avant de voir des signes précurseurs de comorbidités. Le dysfonctionnement de l'horloge pourrait ainsi être directement impliqué dans plusieurs processus pathologiques de l'obésité, tels que le remodelage/fibrose du tissu adipeux, l'altération du métabolisme et l'augmentation de l'inflammation. " On sait que l'inflammation chronique du tissu adipeux intra-abdominal entraîne des dérégulations en cascade avec l'altération de la transcription de divers gènes qui a pour conséquence une exacerbation de l'inflammation et la production de facteurs prothrombotiques", ajoute la Pr Sonia Brichard. Pourquoi la voie de signalisation IKK/NF-kB est-elle hyper-activée? " On n'a pas vraiment de réponse claire. Cette voie de signalisation pro-inflammatoire est par exemple activée lors d'un régime riche en acides gras saturés, cela pourrait être une cause", signale Eléonore Maury. Cette recherche, réalisée en collaboration avec le Pr Benoît Navez du service de chirurgie digestive des Cliniques Saint-Luc, confirme des résultats antérieurs qui montrent par exemple que les souris présentant une perturbation génétique de l'horloge circadienne au niveau du corps entier ou d'un tissu spécifique présentent une prédisposition accrue à l'obésité, à l'inflammation chronique et aux maladies métaboliques ; d'autres travaux menés sur la souris et plus récemment chez l'homme, suggèrent que restreindre l'apport alimentaire à certains moments de la journée permet de limiter le développement de troubles métaboliques. " Il y avait très peu de données sur le tissu adipeux humain, on ne connaissait donc pas l'importance de cette voie de signalisation, en tout cas dans le tissu adipeux viscéral, celui qui est très important dans le développement de l'obésité et du syndrome métabolique. Notre étude a apporté beaucoup d'informations", estime la chercheuse. " La suractivation de NF-k B induit une désynchronisation de l'horloge dans le tissu adipeux obèse. Il convient de noter que nos patients étaient gravement obèses et présentaient des caractéristiques du syndrome métabolique. Nous ne pouvons donc pas en déduire que les changements observés dans le réseau de l'horloge étaient exclusivement dus à l'obésité en soi plutôt qu'à une résistance à l'insuline ou à une légère hyperglycémie, par exemple. Cependant, il faudrait vérifier si les effets positifs de l'inhibiteur du NF-k B, le salsalate, sur la capacité métabolique sont partiellement médiés par des modifications des propriétés de l'horloge adipeuse chez les patients obèses, afin de confirmer si la prévention du dysfonctionnement de l'horloge permet d'améliorer la fonction du tissu adipeux", indiquent les auteurs. On pourrait aussi essayer d'améliorer les rythmes circadiens pour réduire le développement de l'obésité et de ses complications, comme cela a été démontré chez la souris. " Des études complémentaires sont donc nécessaires pour déterminer si la modulation de l'horloge adipeuse pourrait également constituer une stratégie pour réduire l'inflammation et améliorer l'aptitude métabolique chez les patients obèses." Moments d'administration, type de nourriture, substances anti-inflammatoires... " Différentes pistes sont à explorer pour optimiser ce type de traitement, essayer de cibler plus spécifiquement le tissu adipeux et voir si cela permet de prévenir le développement des comorbidités", conclut Eléonore Maury.