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Le journal du Médecin: Êtes-vous satisfait du nouvel accord 2022-2023? Gilbert Bejjani: En préambule, je voudrais rappeler qu'en septembre 2020, je défendais dans le journal du Médecin (lire jdM 2641) l'idée d'un syndicalisme pragmatique qui assure un équilibre entre la valorisation du travail du médecin et son bien-être. La crise Covid a montré l'importance de revoir fondamentalement le système, entre autres, le fonctionnement des hôpitaux dont le financement repose sur la production d'actes médicaux et techniques, et l'inflation du coût du matériel et de l'emploi qui ne peut plus être couvert par les honoraires médicaux, dont la vocation est théoriquement de rémunérer le médecin pour son travail. Durant la pandémie, les autorités ont dû soutenir les hôpitaux en compensant le Budget des moyens financiers des hôpitaux (BMF), la réduction de l'activité médicale et la consommation des médicaments pour couvrir tout ce qui finance l'hôpital. Si le financement était lié à la pathologie, cela aurait été plus simple. Pour revenir à l'accord qui vient d'être signé, je regrette qu'il n'y ait pas d'argent en plus pour les médecins en 2022 et que la masse d'indexation soit limitée à 0,79%. Cette situation, on la connaît depuis des années et nous ne faisons que distribuer l'index. Dans ce contexte difficile, il faut avancer autrement et je suis satisfait d'avoir pu obtenir plusieurs avancées notables. Pour revaloriser ou financer des choses nouvelles, il est important de pouvoir trouver des marges pour le corps médical, entre autres en suivant le concept du Value Based Healthcare mais il faut aussi s'attaquer à un problème crucial: le poids des rétrocessions aux hôpitaux, qui est la plus grande source de variabilité dans les honoraires des médecins hospitaliers. Toutes ces rétrocessions ne sont pas abusives, elles sont mêmes nécessaires dans le cadre législatif actuel, mais elles diffèrent trop d'une institution à l'autre. En définitive, ces rétrocessions laissent trop peu d'argent dans la poche des médecins. Faire des efforts sur les honoraires n'a pas de sens, s'il n'y a pas un effort dans le secteur hospitalier, en privilégiant l'efficience aussi. Je me suis battu pour avancer sur ces thèmes en vue de pouvoir revaloriser l'acte intellectuel des médecins spécialistes et généralistes et ultérieurement, j'espère, les prestations faiblement valorisées. Cette revalorisation des consultations se retrouve dans le nouvel accord. Ce n'était pas un combat gagné d'avance, même au sein de mon syndicat. Cette résistance au changement et au renouveau s'explique par le fait que la situation des médecins n'est pas la même au Nord et au Sud du pays. Il faut aussi reconnaître que la situation du financement des "cliniciens" n'est pas identique à celle des "médico-techniques". Soyons clair, je ne veux pas que ces derniers gagnent moins d'argent, mais il est difficile de comparer une consultation à 30 euros ou une chirurgie à 300 euros pour quatre heures de travail au prix des navettes pour ramasser les prélèvements en biologie clinique sans clarifier les choses. Dans mon approche, j'ai été soutenu par Jacques de Toeuf, président honoraire de l'Absym, qui a rédigé plusieurs notes en vue de faire préciser la nature des prélèvements qui seraient autorisés conformément aux articles 154 et 155 de la Loi sur les hôpitaux. Pour revoir le financement hospitalier et pour responsabiliser les gestionnaires, il faut préciser et identifier dans le secteur intrahospitalier les honoraires de la prestation professionnelle, des coûts de fonctionnement. Faut-il aussi plus de forfaits? La crise sanitaire a également montré qu'il est nécessaire de financer certaines pratiques via les forfaits. Dans cet accord médico-mut, on sent cette volonté de forfaitarisation. En tant que syndicaliste, je me bats pour obtenir des forfaits pour les permanences des médecins hospitaliers et pour la garde des médecins généralistes dans les postes de garde. Cette activité ne peut être rémunérée exclusivement à l'acte. Cette modalité de paiement peut aussi aider certaines spécialités. La pandémie a aussi permis à l'Inami de mieux comprendre le fonctionnement des hôpitaux. Il s'est intéressé à la ventilation des honoraires des médecins (neuf milliards d'euros, NDLR), dont une bonne partie revient aux hôpitaux. Rappelons que le ministre Vandenbroucke a débloqué des montants importants via le Fonds blouse blanche et l'Ific pour revaloriser le personnel soignant et l'encadrement. Il a encore ajouté récemment 43 millions pour revaloriser les infirmières spécialisées. Le sous-financement des hôpitaux se comble mais cela ne diminue pas la pression sur le corps médical. Le sous-financement de la pratique médicale au tarif de la convention est devenu problématique. L'indexation des honoraires médicaux en 2022 est très faible, 0,79%. Fallait-il signer un accord? Il faut distinguer le malaise du corps médical lié au sous-financement des médecins et des hôpitaux à la nécessité de signer un accord. Ne pas signer un accord pour exprimer son mécontentement est un faux combat. Si le mécontentement est réel, il faut faire grève. Une attitude que la population ne comprendrait pas actuellement. Non, en effet. Il faut garantir l'accessibilité aux soins. Je me suis battu pour que le nouvel accord soit signé pour deux ans. Cela permet d'engager une réforme et de bénéficier en 2023 d'une indexation de plus de 4%. À ce sujet, un des questionnements qui me tient à coeur et qui agace certains, c'est de savoir sur quelle base méthodologique on décide d'indexer certaines spécialités et pas d'autres, d'autant plus que d'un hôpital à l'autre, les taux de prélèvement et le recours aux suppléments d'honoraires sont très différents. Ce mécanisme n'est pas cohérent et manque de lisibilité. Par le passé, on avait aussi l'impression que l'on servait un lobby après l'autre. Cela a créé beaucoup de tensions au sein du corps médical. Il y a beaucoup d'incohérences. Il faut pouvoir soutenir l'ensemble du corps médical en proposant un projet à long terme. Je considère que l'indexation des prestations est un droit pour chaque médecin. Il ne faut pas y toucher sauf s'il y a une marge prouvée ou un abus dans les frais supportés. La valeur faible de certains honoraires pousse les médecins à demander des suppléments. Or il faut préserver une certaine accessibilité aux soins. Actuellement, les suppléments font partie du système. Il n'est pas possible d'y toucher. Il faut peut-être cadrer certains excès, notamment pour les séjours très longs ou des très gros codes, mais il est hors de question de réformer les suppléments. La seule solution acceptable serait de remettre le fruit d'une réforme des suppléments dans la masse des honoraires des médecins et de ne pas autoriser de prélèvements sur ces suppléments. Aujourd'hui, les suppléments, estimés à 1,2 milliard d'euros, sont devenus une partie non-négligeable du financement des médecins et des hôpitaux. Le prix de la consultation va être portée à 30 euros en 2024. Une victoire? Je suis très satisfait de la revalorisation de la consultation pour la médecine générale et la médecine spécialisée. Cela représente une hausse sensible des honoraires. Cette augmentation, qui valorise la prestation intellectuelle, va renforcer le conventionnement des médecins. L'Absym a demandé également pour cet accord une revalorisation des prestations techniques de faible valeur, principalement intra-hospitalières mais cela sera rediscuté l'an prochain certainement. J'y tiens. À 30 euros par consultation, on parle de 120 euros de l'heure en moyenne, au tarif conventionné, mais beaucoup de spécialistes intrahospitaliers ne gagnent pas cela. Il faut corriger cela, principalement pour éviter la fuite des médecins en dehors des hôpitaux. L'accord insiste aussi sur la transparence par rapport aux prélèvements sur les honoraires. C'est un point fondamental. Cette transparence va permettre de comparer des pommes avec des pommes et des poires avec des poires. Elle va renforcer l'équité au niveau des honoraires parce qu'on va pouvoir comparer les montants qui reviennent aux médecins pour leurs prestations et analyser la réalité des suppléments. Le nouvel accord insiste aussi sur l'engagement des médecins hospitaliers dans leur institution. Si on veut clarifier les mécanismes de rétrocession, il faut également clarifier la place des médecins dans la gouvernance hospitalière, les orientations cliniques et stratégiques et le développement de leur institution. Je l'ai déjà dit, cette implication peut compenser ce qui était jadis basé sur l'argent. Comment se sont passées les négociations pour cet accord? Je suis content de cet accord dans lequel j'ai pu faire aboutir des propositions qui me tiennent à coeur et qui auraient pu ne pas s'y retrouver. À titre personnel, je suis satisfait des échanges avec le Cartel, son président Thomas Gevaert, AADM, et les mutuelles. C'est cela la concertation. Depuis plusieurs années, ces discussions m'enrichissent. Le travail de syndicaliste médical n'est pas toujours facile. On se heurte aux résistances, aux habitudes et aux réflexes du passé. Il faut oser aller vers le changement et l'incertitude. L'incertitude favorise la création pour autant que l'on travaille dans la confiance. Notre objectif est la valorisation des revenus qui se retrouvent réellement dans la poche des médecins et leur bien-être. Ici, nous avons fait confiance au ministre Vandenbroucke pour les deux années à venir. Si cette confiance était rompue, les médecins pourraient mener des actions de mécontentement. On ne peut toujours donner l'exemple, accepter des réformes (par exemple, la basse variabilité) et ne rien voir venir en face. Par ailleurs, je lance un appel à toutes les bonnes volontés pour rejoindre notre syndicat. Ce n'est qu'en étant plus nombreux et plus représentatifs, en incluant davantage de femmes et de jeunes médecins dans nos rangs, que nous pourrons faire avancer les dossiers et débattre ensemble de l'avenir du secteur.