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Napoléon meurt sur l'île Sainte-Hélène le 5 mai 1821 à 17h49. "À cette époque, au moment où quelqu'un mourrait, on arrêtait les horloges", explique Philippe Boxho. Napoléon est envoyé à Sainte-Hélène suite à sa seconde abdication. Si l'empereur déchu espère avoir les bonnes grâces de ses meilleurs ennemis, les Anglais ont un autre dessein et l'envoient dans un trou perdu de l'Atlantique sud auquel on arrive au bout de deux mois de navigation. On est loin de l'île d'Elbe et du climat toscan du premier exil, et surtout, on est loin de tout. "C'est le diable qui a chié cette île en volant d'un monde à l'autre", selon une citation attribuée à la femme du général Bertrand, dont la famille avait choisi de suivre Napoléon dans son exil qui durera cinq ans et sept mois. Venons-en à la maladie de Napoléon. "La première fois que Napoléon consulte un médecin est le 5 mai 1816, pour un rhume. Son journal de santé renseigne pas mal d'infections: des rhumes, des angines, des grippes, des courbatures. Rien de grave en somme. Et sans connaître les résultats de l'autopsie à venir, je ne vous dirai même pas que le 26 juillet 1816, il a présenté une douleur au flanc droit, fugace mais intense. C'est un élément important pour la formation de l'ulcère à l'estomac dont tout le monde sait qu'il souffrait. D'où le raccourci erroné présentant Napoléon, la plupart du temps la main droite dans la chemise, souffrant du ventre. Or, cela n'avait rien à voir. Il a simplement été éduqué selon les manières instruites par l'école de Brienne que Napoléon a fréquentée."À la mi-mai 1817, Napoléon présente des pesanteurs digestives avec des maux de dents et des maux de tête. "Il se plaint, ce qui est rare chez Napoléon." Le 3 octobre 1818, les médecins constatent un retour du point douloureux du flanc droit avec régurgitations et fièvre . L'ulcère progresse. "Le 19 janvier 1819, une crise douloureuse fait penser à une perforation de son ulcère."À cette époque, Napoléon n'a plus de médecin personnel. "Barry Edward O'Meara, son médecin depuis l'arrivée sur l'île, est prié de plier bagage par les Anglais. Ce sont à présent des médecins militaires qui s'occuperont de lui jusqu'à l'arrivée de François Antommarchi fin 1819. Le choix est surprenant de la part de la famille Bonaparte. Il n'a jamais soigné personne, ou quasiment. C'est un médecin légiste avant la lettre. Pourquoi ce choix? Une hypothèse amusante avancée par les historiens pour expliquer ce choix est que Laetitia Bonaparte, mère de Napoléon, a rêvé et vu en songe la Vierge qui venait lui dire qu'un Ange avait ramené Napoléon de Sainte-Hélène et qu'il n'était plus captif." Antommarchi décrit Napoléon comme un petit gros: "l'embonpoint est excessif, le foie est gros et douloureux et la vésicule biliaire tendue faisant saillie, le lobe gauche est induré". Il n'empêche que Napoléon se porte mieux entre novembre 1819 et octobre 1820. Mais après cette accalmie, son état se dégrade franchement. Le 19 mars 1821, il se couche pour ne plus se relever. "On avait imaginé qu'il souffrait d'une hépatite. Quand on a une hépatite, on n'a pas faim. Or, Napoléon avait gardé son appétit. C'est donc impossible. Ça a été le diagnostic de O'Meara comme celui d'Antommarchi. Ce qui est logique puisque les douleurs de Napoléon venaient de son flanc droit, où le foie se situe. Sans les outils de la médecine moderne, c'est un diagnostic qui se tient. À noter qu'il maigrit malgré le fait qu'il mange. L'hypothèse d'un cancer n'est donc pas à exclure."Napoléon tombe dans le coma le 28 avril 1821. Il décedera le 5 mai. "Entre ces deux périodes, j'avoue ne comprendre la raison, les médecins ont réussi à lui administrer du calomel (du chlorure de mercure) à titre laxatif, ce qui n'était pas sa plus grande préoccupation." Certains historiens avancent que le calomel a précipité son décès. "C'est bien possible, mais calomel ou non, il était dans son état irréversible. Mais il ne meurt pas d'une intoxication au mercure."L'autopsie a lieu le lendemain du décès, dans la salle de billard de Longwood. 17 personnes assistent à l'autopsie réalisée par Antommarchi. " Il voit ce que l'on voit souvent à l'époque: des séquelles de tuberculose dans les poumons. Mais l'état de la cage thoracique n'inquiète pas. Par contre, l'état de l'abdomen est différent. La rate et le foie durci étaient très volumineux et gorgés de sang, ce qui arrive nécessairement en post-mortem. Par contre, on constate que le lobe gauche du foie est assez induré et qu'il colle à la petite courbure de l'estomac."Antommarchi dit: "Je découvris sur la face antérieure vers la petite courbure et à trois travers de doigt du pylore un léger engorgement comme squirreux, très peu étendu et exactement circonscrit. L'estomac était percé de part en part dans le centre de cette petite induration. L'adhérence de cette partie au lobe gauche du foie en bouchait l'ouverture.""L'estomac a eu un ulcère. Cet ulcère s'est développé, il a enflammé la paroi et le foie a collé à l'estomac", commente le directeur de l'Institut de médecine légale de l'ULiège . "Et au moment où il a perforé, l'endroit était déjà circonscrit. Contrairement à ce que l'on peut lire sous la plume de certains auteurs, Napoléon n'est donc pas mort d'une perforation. S'il y avait eu perforation, il serait mort d'une péritonite. Et une péritonite ne se rate pas à l'autopsie."Concernant un potentiel cancer, le Dr Boxho est plus prudent. "À l'époque, on n'avait pas les moyens de diagnostiquer un cancer. Aujourd'hui, il existe deux moyens de le diagnostiquer: une histologie - que l'on ne saurait plus pratiquer sur Napoléon - et la présence de métastases. Antommarchi n'en révèle pas à l'autopsie, mais est-ce que pour autant il n'y en avait pas? Difficile à dire, car on peut très bien passer à côté, d'autant plus à l'époque. Le cancer de l'estomac reste donc une possibilité. Et c'est la théorie qui a prévalu pendant fort longtemps."Dans les années 50, plusieurs théories ont émergée sur une intoxication de Napoléon à l'arsenic. Une hypothèse renforcée par l'intéressé qui dit, en 1821, "je meurs prématurément, assassiné par l'oligarchie anglaise et son sicaire". Napoléon vise directement son geôlier, le gouverneur anglais Hudson Lowe avec lequel les relations n'étaient pas au beau fixe. Autre coupable potentiel: le général Montholon qui a suivi Bonaparte à Sainte-Hélène, avec son épouse Albine, à qui l'on prête une relation avec l'empereur. "Cette idée ne repose pas sur du sable. Il y a un substrat, un peu romantique certes. Mais c'est possible, car il était proche de Napoléon et s'occupait de l'approvisionnement en vin."Autre possibilité: le vert de Paris, couleur qui décore la pièce où meurt Napoléon. Il s'agit d'une couleur à mode au 19e siècle, à base d'arsenic. "Lorsqu'il y a de l'humidité et que des moisissures apparaissent, elles émettent un gaz toxique. Il fallait être confiné pour en souffrir, mais Napoléon était confiné. Le problème est qu'il ne vivait pas seul. Il avait des serviteurs. La thèse de l'empoisonnement au vert de Paris ne tient donc pas la route. On ne peut pas l'exclure formellement, mais ce n'est pas l'hypothèse la plus plausible."Napoléon présentait bel et bien une exposition majeure à l'arsenic et une intoxication chronique. Mais l'empoisonnement n'est pas avéré. "Si Napoléon présentait des signes communs à l'intoxication arsenicale et à d'autres maladies, il ne présentait pas de signes pathognomoniques, soit de signes typiques de l'intoxication aiguë que sont la mélanodermie, la polynévrite des extrémités avec perte de sensibilité des membres inférieurs et difficultés à la marche, une kératinisation de la plante des pieds et enfin, des bandes de Mees (stries grises sur les ongles)", rapporte Philippe Boxho. Pour le légiste liégeois, Napoléon est mort d'une défaillance multisystémique dans un contexte d'ulcère perforé de l'estomac et d'intoxication chronique à l'arsenic avec insuffisance rénale aigüe. "C'est la conclusion rigoureuse, rationnelle, et scientifique à laquelle on peut arriver. Il n'est pas possible aujourd'hui - et je pense que ce ne sera jamais possible - de déterminer exactement de quoi Napoléon est décédé."Autre question qui déchaîne les passions: qui est à l'intérieur de la tombe aux Invalides? En 1969, Georges Retif de la Bretonne écrit un livre nommé "Anglais, rendez-nous Napoléon". Il sous-entend que les Anglais auraient subtilisé le corps de Napoléon en 1828 et l'auraient remplacé par celui de Cipriani, valet de Napoléon mort en 1818 et avec lequel il avait une amitié profonde. Qu'en est-il? Napoléon est enterré à Sainte-Hélène, en pleine terre, mais entouré d'un mur fait de briques et de maçonnerie. Le cercueil est déposé à l'intérieur du coffret en maçonnerie, surplombé par une dalle. Au-dessus de la dalle, du ciment. Et par-dessus, d'autres dalles, une autre couche de ciment et une autre dalle encore. "Les Anglais devaient avoir une frousse bleue que Napoléon sorte de son cercueil." Ou plutôt ses cercueils puisque la dépouille était enfermée dans pas moins de quatre boîtes. Il est déterré en 1840. C'est une ambiance particulière. Cela va mettre des heures. On dispose des différents cercueils pour découvrir la dépouille de l'empereur. Pas longtemps: certains parlent de deux minutes, d'autres disent trois minutes. La description du corps met un doute sur qui était réellement enterré à cet endroit. C'est en tout cas bien cette dépouille qui est aujourd'hui aux Invalides. Quels sont les éléments qui permettent de penser que ce corps n'est pas celui de Napoléon? Par exemple, il manque les madriers qui étaient sous le cercueil. "Pour avoir déterré quelques 1.500 cadavres, je peux vous dire que le bois pourrit et se laisse aller, surtout sous le poids d'autant de cercueils." Autres exemples: les vases placés au pied du cercueil sont retrouvés entre les jambes de l'empereur. Tout comme le chapeau, les bas de soie, les bottes et la cocarde qu'on ne retrouve pas au même endroit ou plus du tout. "On retrouve souvent les corps dans des positions improbables. Les objets sont mobiles dans un cercueil. Les habits se laissent aller, l'humidité saponifie le corps, abîme les chaussures, la soie. En 19 ans sous terre, bien des choses peuvent changer.""Ce qui m'épate, c'est que des gens choqués par l'émotion aient des souvenirs précis de cette exhumation où le corps a été montré deux ou trois minutes. C'est absolument impossible. On tire des plans sur la comète à partir de rapports fait part des gens proches de l'empereur et pour qui revoir l'empereur devait être un choc."Comment conclure? "Il suffit d'ouvrir le tombeau des Invalides et réaliser une analyse d'ADN mitochondriale, car à mon avis, il n'y a plus d'ADN nucléaire. Des demandes ont déjà été faites, mais le gouvernement français a toujours refusé. On peut rêver, un jour peut-être, de connaître l'identité de celui qui repose aux Invalides. Mais objectivement, il n'y a aucune raison que ce ne soit pas lui."