...

Le tracing téléphonique a-t-il encore une utilité actuellement en Belgique ? On a l'impression que la population a déjà un peu oublié les mesures de distanciation physique et est passé à autre chose. Valérie Kokoszka : Le tracing téléphonique par des centres téléphoniques s'est mis en place dans l'urgence à déconfiner et dans un environnement qui n'était pas prêt en raison de la limitation des capacités de testing et du manque de masques. A cela s'est ajouté un cadre légal bancal à différents niveaux et une procédure de tracing des contacts qui ont suscité un sentiment de défiance de la part des personnes tracées envers les autorités et de déloyauté par rapport à leurs proches, en raison de leur manque de transparence. Aujourd'hui, on sent en effet que la population est passée à autre chose. C'est lié au double discours : il faut relancer l'économie - les travailleurs et les élèves doivent retourner au boulot - mais il faut en même temps respecter des mesures de distanciation pour éviter une catastrophique seconde vague. La communication est brouillée. Quelles auraient été les conditions idéales pour l'utilisation d'un système de traçage ? La question de l'utilisation des données récoltées par le traçage est essentielle. Pour suivre la pandémie, il suffit de garder les données récoltées durant trois semaines. C'est ce qu'ont fait les autres 'Etats, en effaçant les données après une certaine période et en mettant en place une gestion décentralisée. Peu de données personnelles sont nécessaires s'il s'agit simplement d'avertir des personnes qui ont eu des contacts à haut risque. Il aurait fallu donner à ces personnes des explications concrètes sur les mesures de prévention pour protéger les autres et leur en fournir les moyens (par exemple, des masques de qualité FFP2). Cette protection leur permettrait de vivre plus facilement la quarantaine, voire de conserver leur travail en adaptant, par exemple, leur environnement professionnel. Une aide financière aurait été la bienvenue pour les indépendants qui ne pouvaient travailler. Cette approche aurait été plus pertinente que la simple mesure de mise en quarantaine. Votre approche mise davantage sur la responsabilisation des citoyens. Absolument. Si quelqu'un est malade, il va prévenir ses proches de façon spontanée, et eux-mêmes feront attention. Cela me paraît évident. Il faut accompagner cette responsabilisation si les gens se sentent déjà responsables ou les responsabiliser si nécessaire. Il est illusoire de penser que quelqu'un qui a reçu un coup de téléphone d'un centre de tracing adaptera son comportement s'il ne sait comment faire ou s'il n'a pas envie de le faire, même s'il a reçu un certificat de quarantaine. Par une approche responsabilisante, on peut soutenir une démarche de responsabilité ou amener les gens à l'adopter. Quid de l'utilisation des données récoltées à des fins épidémiologiques ? Les données récoltées par les centres téléphoniques pourraient être anonymisées pour alimenter les bases épidémiologiques. En outre, certaines données pourraient être utilisées pour la recherche médicale par des entreprises privées. Il faut évidemment créer un cadre spécifique. Par exemple, via un coffre-fort fermé qui recevrait les demandes de l'industrie et traiterait les datas en interne. Les citoyens ne sont pas opposés à l'utilisation de leurs données mais ils ne veulent pas qu'elles soient utilisées contre eux. Il faut qu'ils puissent consentir à l'utilisation de leurs données durant une période déterminée. L'idéal est de demander aux personnes de redonner leur accord pour l'utilisation de leurs données à chaque nouvelle exploitation. C'est particulièrement important lors du croisement des banques de données. Lorsque deux banques de données sont croisées, le citoyen qui a autorisé l'utilisation de ses données n'est pas prévenu de la construction d'une nouvelle base de données, ni de sa finalité. La Belgique, comme la plupart des pays européens, suit très bien ses citoyens et dispose de nombreuses données recueillies par ses différentes administrations. On a le choix de faire avec ces datas un système de surveillance, ou d'en faire un outil démocratique d'innovation et de création. Actuellement, les données administratives et industrielles sont les seules données auxquelles les GAFA n'ont pas d'emblée accès. Le rôle des GAFA se pose également lors de l'utilisation d'une application de " contact tracing " en Belgique. Une technique sur laquelle les ministres de la santé ont promis le 1er juillet de prendre position. En effet. Qui va conserver ces données de tracing dans le Cloud, Google, Facebook... ? Cette question est cruciale. L'application KayX permettrait encore de jouer une partition européenne. Des solutions proposent également d'utiliser des protocoles DP3T (lire jdM N°2629) qui garantissent un plus grand contrôle de leurs données par les utilisateurs via un signal bluetooth et une gestion décentralisée.