...

L'augmentation de la durée de carrière, progressivement à 65 et 67 ans, pour compenser l'augmentation de l'espérance de vie, est vraisemblablement à l'origine de l'augmentation (+5% en 2021) du nombre de travailleurs en incapacité de travail de longue durée, actuellement de 470.000. Plusieurs d'entre eux ont été semble-t-il, "surpris" par le changement de législation. Tout récemment, en Belgique, une étude menée par Securex a démontré que 91,5% des travailleurs Belges interrogés déclarent ne pas vouloir travailler jusqu'à l'âge de 67 ans, et 56,7% pensent qu'ils ne parviendront même pas à travailler jusqu'à 65 ans. Le relèvement de l'âge de la pension est indissociable de la volonté du gouvernement d'arriver à un taux d'emploi des 55-65 ans de 80% en 2030 et du constat que le taux d'emploi de cette catégorie d'âge est inférieur à la moyenne européenne. "Les chiffres d'Eurostat (2021), sur la base de l'Enquête sur les forces de travail (EFT), montrent ainsi que le taux d'emploi des 55-64 ans en Belgique (53,3%), est inférieur à la moyenne européenne (59,8%). On observe toutefois une nette amélioration par rapport à 2010, lorsque le taux atteignait à peine 37,3%. Dix ans plus tôt, en 1999, le taux d'emploi ne dépassait pas 23,7%."Il y a peu (lire notre dernière édition), Mensura, service externe de prévention et de protection au travail, constatait la difficulté de la réinsertion au travail après une longue maladie et le peu de succès (moins de 6.000 candidats) des trajets de réinsertion lancés par l'ancienne ministre de la Santé publique, Maggie De Block, et repris à son compte par Frank Vandenbroucke. Mensura le mettait sur le compte d'une législation trop permissive... La semaine dernière, lors d'une journée dédiée à ce sujet, la Mutualité chrétienne a présenté une étude qui tente de savoir pourquoi tant de gens tombent malades pour une longue période et surtout comment les en empêcher. L'enquête constate que prévenir la maladie est plus efficace que la meilleure réinsertion du monde. L'étude a découvert un fait marquant: "Pas moins de 56% des personnes en incapacité de travail estiment que leur travail est (en partie) responsable de leur arrêt de travail. C'est particulièrement le cas pour les personnes confrontées à un burn-out (90%) ou à une maladie mentale (69%). Elles citent principalement la charge de travail élevée et les mauvaises relations avec leur responsable comme raisons de leur absence. Les personnes souffrant de maladies du système ostéoarticulaire et des tissus conjonctifs (par exemple, mal de dos) pointent aussi souvent du doigt leur travail (64%), bien que, dans leur cas, la cause réside plus souvent dans la charge physique."Près de la moitié des malades (40%), se sont vus refuser des aménagements de travail (moins d'heures prestées, fonction adaptée, horaires plus flexibles). Un travailleur sur cinq estime ne recevoir aucune empathie ni compréhension sur le lieu de travail. La MC a privilégié une enquête "qualitative" (série de 41 entretiens réalisés fin 2020) pour percer à jour les raisons pour lesquelles les employés tombent malades. L'un d'eux s'exclame en effet: "Jusqu'à présent, personne ne m'a demandé ce qui était important pour les travailleurs et ce qui pouvait être important pour les garder en bonne santé, vous êtes les premiers à poser la question. Je suis convaincu qu'une personne en bonne santé qui est juste 'vieille' est encore capable de beaucoup de choses à condition qu'elle puisse travailler à son propre rythme, avec ses propres connaissances et ses propres compétences."Les personnes interrogées disent ressentir une grande fatigue sur le lieu de travail. "Là maintenant, moi, je ressens plus de fatigue après ma semaine de travail et j'ai plus de difficultés à récupérer et à me sentir en forme quand je recommence ma semaine de travail."La baisse de différentes capacités a également été évoquée, que ce soit au niveau musculaire, sensoriel ou cognitif (diminution des capacités de concentration, d'assimilation ou d'apprentissage de nouvelles méthodes ou procédures), souligne la MC. "Cette baisse des capacités semble aussi engendrer pour certains une plus grande difficulté à réaliser les tâches aussi vite qu'auparavant, à suivre le rythme effréné imposé par le travail et à traiter rapidement la quantité d'informations à laquelle les travailleurs sont confrontés. En outre, les participants ont rapporté ressentir de plus en plus de douleurs physiques et des désagréments fonctionnels de l'organisme, qui sont souvent mis en lien avec le métier du travailleur âgé et qui peuvent l'empêcher de continuer à travailler dans de bonnes conditions."Certains ont toujours la charge de famille conjuguée parfois à la nécessité de s'occuper d'un parent âgé: "Il y a deux ans, à 57 ans, j'ai demandé un crédit-temps pour ma mère, qui a 84 ans. C'est toujours pendant le week-end qu'il fallait faire ses courses et s'occuper de tout le reste. Si elle devait aller chez le médecin, il fallait prendre un jour de congé, ou une demi-journée, et on a déjà si peu de jours de vacances. À la fin, cela ne marchait plus. Puis, il y a deux ans, j'ai demandé un crédit-temps, ce qui a pris beaucoup de temps, cela "ne se faisait pas" chez nous. Ils m'ont fait attendre six, sept mois pour avoir une réponse."Les uns déplorent l'impossibilité légale pour de jeunes grands-parents de prendre un congé parental. D'autres ont peur de prendre une pension anticipée (impossible d'ailleurs avant l'âge limite actuellement de 65 ans) étant donné les conséquences financières. D'autres encore évoquent la "peur du vide", la difficulté de concilier vie professionnelle et privée, l'épanouissement dans leur vie privée. Des personnes interrogées souhaiteraient "partir en beauté" progressivement et rares sont ceux qui envisagent de poursuivre une carrière à mi-temps au-delà de l'âge limite de la retraite. Avec l'âge, les 55+ ont de plus en plus de mal à s'adapter à un changement radical de management. "De plus en plus, on est confronté à une discussion patronale qui dit: écoute, tu ne sais plus faire ce pourquoi je t'ai engagé, ben, ou tu mords sur ta chique et tu continues, ou tu vas voir ailleurs. Aujourd'hui, on est remercié plus facilement que hier." Le fait pour l'entreprise de souligner son intérêt pour ses employés plus âgés et la clarification du management à cet égard (lors d'un entretien one-to-one) peut être une motivation à ne pas décrocher. La question des horaires (de nuit notamment) est également centrale: "On va dire qu'un corps, théoriquement, la nuit, c'est fait pour dormir. Maintenant, quand on est en feu continu, quand on a 20 ans, on supporte facilement des choses qu'on supporte certainement moins quand on en a 50, ça c'est clair. Et la récupération n'est pas la même non plus."Enfin, le télétravail est une solution, la pandémie ayant été un élément facilitateur à cet égard: "Les semaines où je pouvais télétravailler un jour, ça me permettait quand même de me reposer un peu plus. Ça oui. Parce que les trajets sont devenus quand même malheureusement très, très énergivores. Je l'avais déjà fait précédemment dans ma carrière ; donc, je connaissais, en fait, la navette sur Bruxelles, je l'ai faite pendant une dizaine d'années... mais j'étais plus jeune."Mais toutes les entreprises ne sont pas si ouvertes que cela au télétravail, qui implique pour les managers (et parfois aussi pour les syndicats) le sentiment de perdre le contrôle. A domicile, en hiver notamment, on augmente ses dépenses de chauffage et d'électricité. Les bouchons de retour sur le ring de Bruxelles indiquent que, clairement, tout le monde ne bénéficie plus de ce privilège depuis que la pandémie est passée.