Lors de la Journée de la pharmacothérapie du CBIP [1], la Dre Catherine Devillers s'est penchée sur une préoccupation assez récente, celle des futurs pères et de l'exposition médicamenteuse.
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Quand on parle de médicaments et grossesse, "on pense évidemment au passage placentaire, à la femme enceinte qui doit faire très attention à toute une série de dérivés susceptibles d'être tératogènes ou toxiques pour le foetus. Mais, ces dernières années, des publications s'intéressent au rôle du père dans cette problématique", souligne le Pr Jean-Marie Maloteaux, président du CBIP, en introduisant l'exposé de Catherine Devillers. La collaboratrice scientifique au CBIP s'est basée sur un article paru dans le Folia Pharmacotherapeutica de mai dernier [2]. "On envisage le cas d'un homme de 32 ans qui a une dépression aiguë et prend de la sertraline (ISRS) depuis huit mois. Avec sa compagne, il essaie de concevoir un enfant depuis six mois sans succès." Comment un médicament pourrait-il affecter la fertilité? "Soit en agissant directement sur l'activité sexuelle, par exemple en diminuant la libido, en entraînant des troubles érectiles ou un retard d'éjaculation. Soit en agissant sur la qualité des spermatozoïdes, en diminuant leur nombre, leur mobilité, leur morphologie ou en provoquant des défauts au niveau de l'ADN", répond la Dre Catherine Devillers. Par exemple, le finastéride et le dutastéride, utilisés dans l'hypertrophie bénigne de la prostate, diminuent le nombre de spermatozoïdes et leur mobilité, et altèrent leur morphologie. " Il n'y a pas d'études qui ont analysé s'ils impactaient la fertilité, mais on a des paramètres biologiques qui montrent qu'elle pourrait être altérée. En revanche, on peut rassurer le patient en lui expliquant que ces paramètres reviennent à la normale une fois que le traitement est arrêté.""Pour notre patient qui prend un ISRS, on sait que ces médicaments agissent à deux niveaux, en diminuant la libido et en perturbant la mobilité et la morphologie des spermatozoïdes. Mais ces paramètres reviennent à la norme une fois que le patient arrête le traitement." Dès lors, que dire à ce patient? "S'il n'a pas remarqué de différence au niveau de son activité sexuelle, on peut lui proposer de réaliser un spermogramme et si on voit qu'effectivement les paramètres ne sont pas bons, alors envisager avec lui de changer de traitement ou d'arrêter si c'est possible", conseille-t-elle. Deuxième question: un médicament pris par le futur père peut-il entraîner un risque tératogène pour l'enfant à naître si ce médicament est pris avant la conception? "Par exemple, un homme de 35 ans qui prend du valproate en prévention de crises de migraine. Il a entendu parler du risque du valproate quand il est pris par les femmes enceintes et se demande s'il peut aussi avoir un impact si le père en prend."Certains paramètres doivent retenir l'attention: "Seuls les spermatozoïdes de bonne qualité peuvent entraîner une grossesse réussie et s'ils sont endommagés, il y a un risque de fausse couche précoce. Il faut aussi prendre en compte le cycle de vie d'un spermatozoïde qui, de sa production à l'éjaculation, prend maximum trois mois. C'est donc dans cette fenêtre que des médicaments tératogènes pris par le père pourraient avoir un impact pour une grossesse future. S'ils sont pris plus de trois mois avant la conception, il y a peu de risque", estime Catherine Devillers. Elle donne l'exemple du méthotrexate: "On a des preuves de génotoxicité dans des études chez l'animal mais chez la femme, le méthotrexate est contre-indiqué pendant la grossesse et une contraception conseillée jusqu'à trois mois après l'arrêt du traitement. Chez le père, des études n'ont pas montré d'augmentation du risque pour la grossesse quand ce médicament a été pris dans les trois mois avant la conception. Cependant, vu les données chez l'animal et la femme, il y a quand même un principe de précaution qui s'applique, et la notice scientifique du médicament conseille d'utiliser une contraception jusqu'à trois mois après l'arrêt du traitement."Autre exemple, le valproate: "Quand ce médicament est pris par la femme enceinte, il y a 30 à 40% de risque de troubles du développement neurologique chez l'enfant. Récemment, une étude observationnelle a montré un effet tératogène potentiel quand le valproate est pris par le père avant la conception: on a constaté 5% de risque de troubles du développement neurologique chez les enfants dont le père avait pris du valproate trois mois avant la conception, par rapport à 3% chez ceux dont le père prenait de la lamotrigine ou du levetiracetam. C'est une étude observationnelle, donc on ne peut pas en tirer de lien de cause à effet, néanmoins, cela incite à la prudence", fait-elle observer. Suite à ces données, le Prac, l'organisme de pharmacovigilance de l'EMA, conseille une série de mesures: pour les hommes qui souhaitent concevoir, utiliser une contraception jusqu'à trois mois après l'arrêt du traitement ; envisager des alternatives de traitement ; éviter le don de sperme pendant cette période de trois mois. "Dans le cas de notre patient, il serait conseillé de consulter un spécialiste pour proposer des alternatives et, en tout cas, de faire une revue médicamenteuse chez les futurs pères."Un médicament pris par le père alors que sa compagne est déjà enceinte peut-il entraîner un risque tératogène? Par exemple, un homme qui prend une faible dose de finastéride pour traiter son alopécie (off-label) et dont la femme est dans le premier trimestre de grossesse. "Pour la plupart des médicaments, il n'est pas conseillé d'utiliser un préservatif post-conception. Pourquoi? Parce que la quantité de médicament présente au niveau du sperme est en général très faible et donc, celle qui pourrait arriver jusqu'au foetus lors d'un rapport sexuel est encore plus faible. C'est bien sûr à voir au cas par cas. Ici, pour les inhibiteurs de la 5-a-réductase, on conseille quand même par mesure de précaution d'utiliser le préservatif si la partenaire est enceinte", met-elle en garde. "On a des données qui montrent que, quand les hommes prennent certains médicaments, ça peut avoir un impact sur leur fertilité ou sur l'enfant à naître. Il est donc important d'interroger les patients sur les médicaments qu'ils prennent s'ils souhaitent concevoir. Quant au risque post-conceptionnel, il semble plus léger, mais il n'est pas toujours clair. Dans ce cas-là, c'est à voir au cas par cas", résume Catherine Devillers. En cas de doute, on consultera la notice scientifique du médicament ou des sources spécifiques sur les médicaments utilisés pendant la grossesse et l'allaitement, comme le Lareb (néerlandais) et le Crat (français) [3].