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Comment cet héritier d'une famille de tisserands depuis trois générations devient peintre, voici le fil que de cette exposition tire tout en montrant la... filiation dont Matisse est issue. Destiné à devenir clerc de notaire, il découvre la peinture alité par une crise d'appendicite qui en provoque une autre, de vocation, et la découverte des oeuvres peintes. Piètre élève de l'Académie à Paris où Matisse se montre plus intéressé par l'émotion que la précision, Henri a failli tout arrêter, revient à Bohain, travaille dans une usine de couleurs et finit là par trouver sa vraie touche personnelle et... colorée. Cette " exposition " de ces débuts s'interrompt avec sa carrière de professeur qu'il arrête en 1911 et qui le voit devenir l'artiste connu et reconnu que les collections permanentes évoquent ensuite. Mais revenons à cette "genèse jeunesse" au travers d'oeuvres montrées : l'expo s'ouvre étonnamment sur une oeuvre de Henri Evenepoel la petite Matisse, d'un style classique qui n'est autre que la soeur d'Henri. Ce grand maître en devenir que fut le peintre belge, lequel succomba trop tôt à la maladie, figure parmi les cinquante chefs-d'oeuvre prêtés pour cette exposition et qui complètent les deux cent cinquante Matisse du début. Chronologique dans sa première partie (au rez-de-chaussée), elle se permet des sauts temporels, notamment lorsque dans la première salle, elle met en regard un autoportrait de 1900 expressionniste, genre Die Brücke, avec un autre de la période "artiste accompli" exécuté à Nice en 1918... et qui paraît pourtant moins convaincant. Les influences sont nombreuses dès le départ : en 1895, le jeune Matisse dépeint un atelier de tisserand picard dans un style impressionniste, mais à personnages, de Pissarro. Plus tôt, en 1891, c'est Corot qui s'impose à l'esprit dans un Coucher de soleil évanescent ou dans La liseuse inspirée du Jeune femme lisant du même artiste. Parfois naturaliste donc, il est d'un impressionnisme à la Monet à plusieurs reprises, notamment dans La vue de Notre-Dame en 1904 voire d'un fauvisme à la Cézanne dans sa description du Pont Saint-Michel, quatre ans plus tôt. Même si c'est un peintre plus émotif que figuratif, Matisse démontre malgré tout une précision dans le dessin, notamment dans les études d'hommes réalisés au cours de ses années à l'académie. Élève de la classe de Gustave Moreau, il y fait la connaissance d'Albert Marquet, devenu moins célèbre que lui, mais qui se montre meilleurs dans ses dessins de passants : son dandy à l'encre de Chine, une aquatinte, se révèle plus réussi que les dessins de chanteuse de Matisse dans le style Toulouse-Lautrec. Moreau emmène sa classe au Louvre, où Matisse copie essentiellement Chardin, présents avec deux natures mortes, pas les meilleures, deux buffets et une Pourvoyeuse par contre lumineuse qu'Henri reproduit dans un style impressionniste. Il effectue également des copies sous forme de dessins des sculptures animalières de Barye, ou reproduit une peinture de Ribera ( Le pied-bot). Mais l'oeuvre la plus marquante à la fois de cette exposition et pour le futur Matisse, est celle de Jan Davids de Heem, peintre 17e hollandais, dont la grande nature morte intitulée Le dessert, conservé au Louvre, est une merveille : intégrant les effets miroirs sur le couvercle du calice, les reflets dans la nacre et un drapé d'une précision inouïe. Pâlement et modestement copié par Matisse, il servira de base au Dessert, réinterprétation plus tardive et assumée de l'artiste en 1915. Autres influences patentes : van Gogh pour un Jardin qui évoque Le cerisier de la collection van Cutsem de Tournai. La gitane ou Le mousquetaire (à côté du Goya La lettre, vue à Lille et qui est une révélation pour Matisse) évoque déjà le Blaue Reiter dans le contraste des couleurs, tandis que l'autoportrait de 1906 évoque celui de Picasso à la même date (pré-cubiste) ; Monet encore dans Les roches de Belle-île est placé aux côtés de celles de Matisse, qui découvrant le Sud, dans La jetée à Collioure irradie comme Bonnard, quant il ne verse pas dans le tachisme dans Collioure, rue du soleil. Un tachisme " pointillé " que l'on trouve dans Luxe, calme et volupté qui voisine avec un Edmond-Cross post impressionniste, un Derain encore dans la même veine, et deux toiles d'Henri Manguin (un fauve qui évoque un Cézanne filiforme et un Gauguin moins épais) : un Gauguin auquel il se réfère dans Le grand bois, un dessin qui malgré son titre ressemble aux vahinés peintes par Paul dans Femmes de Tahiti. Au premier étage, quatre petits espaces démontrent l'influence des Maîtres, dont Cézanne (le portrait de Bevilacqua en 1905 est un mélange de ce dernier avec une touche de Picasso, période bleue). La sculpture est évoquée chez celui qui visita l'atelier de Rodin (présent notamment avec un bourgeois de Calais) et confronté au "Serf" de Matisse qui dans le style épais et en vagues rappelle plutôt le Nordiste comme lui Carpeau. La section Dans l'atelier illustre son évolution d'un impressionnisme tacheté de classicisme ( Nu d'homme, 1894) au grand nu assis, à la Modigliani en 1909. Enfin, la dernière salle concerne la transition qui voit Matisse professeur en 1908 apprendre autant qu'il apprend (sa première Nature morte orange irradie comme un Bonnard) notamment dans sa confrontation d'un Max Weber, dont Les baigneuses datées de 1920 renvoient à un bouquet de fleurs contrasté de la même manière par Matisse précédemment. D'ailleurs, la deuxième oeuvre du peintre russo-américain du même style s'intitule Apollon dans l'atelier de Matisse : un bel hommage A mettre en résonance avec l'exposition du Palais des Beaux-Arts de Lille, Le rêve d'être artiste qui vient de s'achever, cette exposition détaille les différentes étapes de la construction d'un homme qui devient peintre : en l'occurrence, comment Matisse sa toile...