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Récemment, deux équipes, l'une de l'Université de Yale en 2018, l'autre du Centre de recherches du cyclotron (GIGA-CRC) de l'Université de Liège en 2019, ont pu évaluer la densité synaptique dans le cerveau de patients présentant soit des troubles cognitifs légers à modérés attribués à la maladie d'Alzheimer, soit des mild cognitive impairments (MCI), troubles cognitifs isolés annonciateurs, dans la moitié des cas, d'une future maladie d'Alzheimer.1. 2. Pour ce faire, les chercheurs américains ont utilisé un radiotraceur baptisé UCB-J, marqué au carbone 11, et leurs homologues liégeois un radiotraceur appelé UCB-H, marqué au fluor 18.Émetteurs de positons, ces biomarqueurs radiopharmaceutiques ont pour site de fixation la protéine SV2A (Synaptic Vesicles 2A), présente sur toutes les vésicules synaptiques. Elle appartient à une famille de protéines (SV2) qui comprend également la protéine SV2B, largement distribuée dans le cerveau, et la protéine SV2C, assez caractéristique du système nigrostrié (substance noire). Les deux équipes sont arrivées à des conclusions similaires en recourant à la tomographie par émission de positons (PET scan) : une réduction du nombre de vésicules synaptiques au niveau de l'hippocampe. Ils l'interprétèrent comme une diminution de la densité synaptique au niveau de cette structure cérébrale dont on sait qu'elle reçoit des afférences en provenance du cortex transentorhinal, région qui pourrait être la première touchée par la maladie d'Alzheimer. " Cette démence peut être envisagée comme une synaptopathie et, par conséquent, comme une pathologie de déconnexion entre régions cérébrales ", commente le Pr Éric Salmon, directeur médical du GIGA-CRC de l'ULiège et directeur du Centre de Jour interdisciplinaire pour les Troubles de la Mémoire, au CHU de Liège.Il ajoute qu'un type d'exploration analogue à celui entrepris dans la maladie d'Alzheimer au moyen du radiotraceur [18F]UCB-H, dont le site de fixation est la protéine SV2A, pourrait être envisagé dans la maladie de Parkinson, par exemple, avec la protéine SV2C, essentiellement représentée sur les vésicules synaptiques du système nigrostrié, comme site de fixation d'un autre marqueur.Le 18-fluorodésoxyglucose (18F-FDG), plus communément appelé FDG, est un radiopharmaceutique dont les premiers pas remontent aux années 1980. Outre ses applications en oncologie, il est utilisé, en tomographie par émission de positons, en tant que marqueur d'activité de régions cérébrales. " Certes, il y a une corrélation entre la densité synaptique et le niveau de fonctionnement des régions correspondantes, mais il s'agit néanmoins de paramètres différents ", indique Éric Salmon. Aussi, en étudiant la densité synaptique, un objectif cardinal poursuivi par les chercheurs de son groupe est-il de déceler de façon de plus en plus précoce des signes portant le sceau de la maladie d'Alzheimer. Car si le PET scan au FDG revêt un intérêt évident lorsque la maladie a atteint un certain stade d'évolution, il fournit des informations qui peuvent paraître paradoxales dans les premiers temps de l'affection. " Ainsi, au début de la manifestation de MCI, on observe une augmentation de fixation du FDG au niveau hippocampique", rapporte le professeur Salmon. " Malheureusement, il ne s'agit pas d'une phase de plasticité cérébrale où le cerveau serait au coeur d'un phénomène de régénérescence, mais apparemment d'une hyperactivité délétère du système résiduel qui chercherait à compenser des déficiences et finirait par s'épuiser. "Le phénomène est néanmoins complexe car il s'avère parfois réversible et est frappé d'une grande variabilité interindividuelle. Dans ces conditions, l'étude de la densité synaptique semble de nature à offrir, à ce stade, un reflet plus exact de la situation et autoriser un diagnostic plus précoce qu'un PET scan au FDG.Dans les MCI ou les stades débutants de la maladie d'Alzheimer, la réduction de la densité synaptique est significative au niveau de l'hippocampe. On aurait pu croire qu'il en serait de même à l'échelon du cortex cingulaire postérieur, lui aussi touché très précocement dans la démence. En effet, il s'agit d'une structure dont l'activité est soutenue, même chez le sujet sain, car elle reçoit des afférentes émanant de multiples pôles. Selon les données actuelles, cette intense activité favoriserait notamment l'accumulation de dépôts d'amyloïdes, lesquels ne sont toutefois pas nécessairement pathologiques bien que constituant une des deux signatures histologiques de la maladie d'Alzheimer. " Au stade des troubles cognitifs isolés ou à un stade précoce de la démence, l'activité soutenue du cortex cingulaire postérieur n'est pas significativement corrélée avec une diminution de la densité synaptique, mais celle-ci l'est en revanche avec un autre paramètre : l'anosognosie, la non-conscience par le patient de ses difficultés de mémoire ", souligne le directeur médical du GIGA-CRC.Une corrélation similaire est observée entre l'anosognosie et la réduction de la densité synaptique au niveau de l'hippocampe. Par conséquent, l'anosognosie relative à des difficultés mnésiques doit probablement être appréhendée comme un signe assez précoce de la maladie d'Alzheimer. " Le fait de sous-estimer la réalité de problèmes de mémoire peut relever d'un important biais psychologique, mais il peut constituer un indice de démence de type Alzheimer ", fait remarquer notre interlocuteur.Un marqueur de la densité synaptique a-t-il un intérêt réel quand l'IRM montre déjà une atrophie de la région hippocampique traduisant un phénomène de dégénérescence ? Oui, bien qu'il existe une corrélation entre cette atrophie et la diminution du nombre de synapses. En effet, l'IRM rend compte du volume de substance grise et concerne donc principalement les corps cellulaires, tandis que l'UCB-H ou l'UCB-J fournissent des informations sur l'état de la connectivité du réseau neuronal dont l'hippocampe est un rouage.Cependant, des avancées technologiques récentes ont permis à l'IRM de mesurer la densité des neurites (axones, dendrites). Ce que peut précisément réaliser l'IRM 7 Tesla - la seule en Belgique - que le GIGA-CRC vient d'acquérir cet automne. Mais l'IRM 7 Tesla est également capable de " voir " de très petits noyaux qui ne pouvaient être perçus précédemment, par manque de résolution spatiale des équipements. " À présent, notre objectif est de développer des mesures de neurites et d'observer des structures cérébrales de plus en plus fines ", précise Éric Salmon.Ainsi, certains auteurs postulent que la maladie d'Alzheimer ne débute pas au niveau du cortex transentorhinal, comme beaucoup le pensent actuellement, mais au niveau de noyaux plus centraux, dont le noyau basal de Meynert, producteur d'acétylcholine. Les mesures du volume de ces minuscules structures du tronc cérébral (tel le locus coeruleus, acteur indispensable de l'alternance veille-sommeil) ou situées juste au-dessus (tel le noyau basal de Meynert) pourraient permettre de trancher le débat et, éventuellement, de révéler des atteintes encore plus précoces que celles identifiées aujourd'hui dans le cadre de l'Alzheimer.Dans différentes pathologies cérébrales, on assiste à des phénomènes de déconnexion. Jusqu'il y a peu, les informations disponibles avaient trait uniquement aux liens qu'entretiennent des régions cérébrales fonctionnant à distance au sein d'un même réseau, alors qu'aucune information relative à de possibles déconnexions locales n'était disponible. Grâce à l'IRM 7 Tesla, une approche de ces déconnexions locales est désormais à l'ordre du jour. " Dans des pathologies de déconnexion, la connectivité locale pourrait d'abord s'emballer, puis entraîner des problèmes à distance", dit le professeur Salmon. " Peut-être est-ce le cas lorsqu'on assiste à une forte augmentation d'activité hippocampique dans les MCI très précoces, un peu à l'image des effets à distance dans l'épilepsie où l'embrasement du foyer épileptique se propage dans le cerveau. "