Elle a notamment dû affronter une coriace Sophie Rohonyi (Défi) qui lui a demandé pourquoi un baromètre Covid-19 n'a pas été mis en place plus rapidement alors qu'il aurait pu éviter l'assouplissement sanitaire de l'été 2020 qui provoqua le 2e vague. Cet assouplissement fut décidé pour répondre aux besoins de socialisation de la population, affirme l'ancienne ministre. Et il n'y avait aucun consensus sur le baromètre: deux ministres-présidents d'entités fédérées (à nous de deviner lesquels) étaient contre. La ministre De Block était pour. De même il a fallu que les entités fédérées s'estiment "épuisées" pour que le Fédéral prenne enfin le relais en matière de testing.

J'ai fait détruire le vieux stock de masques. C'était une erreur de jugement.

Lits intensifs

Concernant le nombre de "lits intensifs" (passés péniblement de 2.000 à 2.300) et qui déterminent pour l'essentiel la densité des lock-downs, la ministre a rappelé que c'est le manque de personnel qui fait problème pour augmenter cette capacité. Or elle a fait voter le Fonds Blouses blanches pour un montant de 400 millions d'euros. Mais les étudiants inscrits dans les écoles d'infirmières n'arriveront sur le marché que dans trois ans. Par ailleurs le projet de délégation d'actes infirmiers a été refusé par les organisations représentatives d'infirmières, note-t-elle. Et il demeure des pénuries d'anesthésistes par exemple... "En matière de quotas de médecins, j'ai toujours suivi les recommandations de la Commission de planification. Les sous-quotas dans les spécialités médicales sont de la compétence des Communautés... Il faut rappeler qu'un patient Covid-19 dans un état grave en USI réclame six fois plus de temps qu'un patient traditionnel notamment parce que le personnel doit changer sans arrêt de vêtement de protection... En temps normal, nous avons trop de lits intensifs à tel point que nous prenions des patients étrangers (des Hollandais notamment) ou des grands brûlés étrangers pour remplir les lits... On peut toujours financer 1.000 lits intensifs en plus mais si on ne les utilise pas en période normale, c'est un choix politique."

Sur la question des masques dont on accuse le gouvernement Wilmès et elle-même d'en avoir détruit 50 millions dans un hangar à Belgrade (Namur), elle a souligné qu'il n'y avait pas d'inventaire clair du stock de masques. "Personne ne savait exactement combien il existait encore de masques et de quel type. Le stock n'était pas conservé dans les bonnes conditions à Belgrade, ce qui le rendait inutilisable."

C'est en 2005-2006, lors de la grippe aviaire, qu'il a été décidé de constituer un stock de masques chirurgicaux et FFP1 et 2. Un budget de trois millions a été voté. Mais le budget a été réduit année après année. En 2009, on ne disposait plus que de 376.000 euros (et en 2015, de 108 000 euros...).

"Détruire le vieux stock"

"J'ai fait détruire le vieux stock. Quiconque a vu les rapports d'inspection sait que c'était la seule décision correcte. La destruction s'est faite par roulement. Le contrat de location entre la Santé publique et la Défense a également expiré à la fin de 2017 (...) En guise de solution provisoire, j'aurais dû réintroduire un stock statique, tandis que les administrations élaboraient les plans pour le stock tournant (...) C'était une erreur de jugement de ma part."

L'ancienne ministre reconnaît ainsi qu'il faut pouvoir disposer d'un stock stratégique en cas de crise sanitaire. "J'ai demandé à mes services de constituer un stock roulant et décentralisé. Ce que j'entends par là, c'est un stock qui a déjà été distribué sur le terrain et qui y est effectivement utilisé. A chaque utilisation, les institutions reconstitueraient systématiquement le stock et recevraient également les ressources nécessaires à cet effet. Cela résoudrait deux problèmes importants: d'une part, éviter de devoir détruire un stock important en une seule fois parce qu'il a "dépassé sa date de péremption" et, d'autre part, éviter les problèmes de stockage qui se posent lorsqu'on veut loger un stock énorme en un seul endroit."

L'incertitude quant à la disponibilité des matériaux de protection a provoqué un stress supplémentaire au cours des premières semaines de crise pour les prestataires de soins de santé qui étaient déjà soumis à une forte pression, reconnaît-elle. "Les choses auraient pu et dû être faites différemment. Je suis donc reconnaissante envers Philippe De Backer d'avoir accepté de coordonner la fourniture de matériel médical rare. Il est parvenu à constituer des stocks assez rapidement, même si le marché international des matériaux de protection a été gravement perturbé. Le monde entier courait après la même chose, ce qui créait des situations hallucinantes. Certains pays ont fermé leurs frontières à l'exportation de matériel de protection et il y avait même des pays qui achetaient des cargaisons d'autres pays sur le tarmac..."

Tirer les leçons

La Belgique a de nombreux atouts mais elle n'arrive pas à les utiliser de manière organisée, surtout pas face à une pandémie mondiale, inattendue et de longue durée, a précisé Maggie De Block (suite de la Une).

La quatrième leçon de la pandémie porte sur la manière dont nous maîtrisons le budget dans notre pays depuis des années. "Les limites des économies linéaires ont été atteintes", précise Maggie De Block tout en faisant l'éloge des réseaux hospitaliers qui permettent des économies d'échelle. "Open Vld, MR, Vooruit, PS, CD&V, cdH, N-VA: nous avons tous fait l'erreur d'utiliser "la rappe à fromage" pour faire quelques coupes partout afin de ne pas trop affecter les autres. Cette stratégie est compréhensible dans une certaine mesure, mais le gros problème est que, de cette manière, vous repoussez des choix importants quant aux investissements adéquats."

La nécessité d'une numérisation accrue et surtout plus intelligente des soins de santé est une sixième leçon dont Maggie De Block se souviendra. "Il est aujourd'hui techniquement tout à fait possible d'envoyer les données numériques des hôpitaux vers un centre de datas gouvernementaux. Cela prend deux secondes à un ordinateur, alors qu'aujourd'hui des dizaines de personnes passent des heures chaque jour à faire cela. Les hôpitaux disposent de systèmes permettant d'envoyer des données en masse. Ils les utilisent pour communiquer avec d'autres acteurs des soins de santé, tels que les laboratoires cliniques. Mais cette ligne de communication avec le gouvernement est toujours absente aujourd'hui. Au lieu d'agréger les chiffres corona dans chaque hôpital séparément, une telle approche nous permettrait de le faire en une seule fois."

Enfin, Maggie De Block note qu'on ne pourra pas à l'avenir fonctionner avec une Union européenne impuissante. On l'a encore vu lors de la négociation sur l'achat des vaccins... A cet égard, elle rappelle que l'UE et les Etats-membres ont tout de même dépensé 33 milliards d'euros pour le développement du vaccin contre le Covid-19, à comparer avec les 32 milliards de dollars US qu'a coûté l'opération Warp Speed qui a amené à la découverte du vaccin Moderna aux Etats-Unis. "Si nous examinons les résultats concernant la proportion de la population ayant reçu une première vaccination, nous constatons que la Belgique (17,5%), sur la base du système de suivi des vaccinations de l'ECDC, se situe en milieu de peloton. Le 22 avril, les pays étaient proches les uns des autres: Belgique 25,4% ; Allemagne 23,7 et Pays-Bas 26,5%."

"La Norvège n'a pas fait mieux"

Brieuc Van Damme, à l'époque chercheur en Norvège et aujourd'hui directeur-général du Service des soins de santé de l'Inami, prend la défense de la ministre dont il a été le chef de cabinet adjoint avant la pandémie: "Ce n'est pas à moi de critiquer ou de réfuter. Je ne peux qu'esquisser le contexte, qui a été particulièrement difficile. Confier la gestion de la plus grande crise de l'après-guerre à un gouvernement en Affaires courantes comporte évidemment un certain nombre de risques. Ce n'était pas parfait, et ça ne l'est toujours pas, mais nous ne nous sommes pas mal débrouillés, surtout si l'on tient compte du contexte politique, démographique et géographique propre à la Belgique. La Norvège a connu une sous-mortalité et est souvent louée comme un exemple de bonne gestion du Corona. J'y ai vécu récemment pendant trois ans et demi, je connais bien le pays et j'y étais pendant tout le mois de novembre 2020, donc juste avant le début de leur deuxième vague. Mes yeux et mes oreilles se sont ouverts lorsque j'ai suivi les débats: ils semblaient avoir quatre mois de retard sur nous. Devions-nous rendre les masques buccaux obligatoires dans les transports publics? Combien de temps doit-on rester en quarantaine après un contact à haut risque? Comment gérer la différence de règles d'un "fylke" à l'autre (l'équivalent d'une province pour nous)? Ce sont les questions qu'ils posaient en novembre, alors que nous les posions en juillet, avant que l'on parle d'une éventuelle deuxième vague."

Elle a notamment dû affronter une coriace Sophie Rohonyi (Défi) qui lui a demandé pourquoi un baromètre Covid-19 n'a pas été mis en place plus rapidement alors qu'il aurait pu éviter l'assouplissement sanitaire de l'été 2020 qui provoqua le 2e vague. Cet assouplissement fut décidé pour répondre aux besoins de socialisation de la population, affirme l'ancienne ministre. Et il n'y avait aucun consensus sur le baromètre: deux ministres-présidents d'entités fédérées (à nous de deviner lesquels) étaient contre. La ministre De Block était pour. De même il a fallu que les entités fédérées s'estiment "épuisées" pour que le Fédéral prenne enfin le relais en matière de testing. Concernant le nombre de "lits intensifs" (passés péniblement de 2.000 à 2.300) et qui déterminent pour l'essentiel la densité des lock-downs, la ministre a rappelé que c'est le manque de personnel qui fait problème pour augmenter cette capacité. Or elle a fait voter le Fonds Blouses blanches pour un montant de 400 millions d'euros. Mais les étudiants inscrits dans les écoles d'infirmières n'arriveront sur le marché que dans trois ans. Par ailleurs le projet de délégation d'actes infirmiers a été refusé par les organisations représentatives d'infirmières, note-t-elle. Et il demeure des pénuries d'anesthésistes par exemple... "En matière de quotas de médecins, j'ai toujours suivi les recommandations de la Commission de planification. Les sous-quotas dans les spécialités médicales sont de la compétence des Communautés... Il faut rappeler qu'un patient Covid-19 dans un état grave en USI réclame six fois plus de temps qu'un patient traditionnel notamment parce que le personnel doit changer sans arrêt de vêtement de protection... En temps normal, nous avons trop de lits intensifs à tel point que nous prenions des patients étrangers (des Hollandais notamment) ou des grands brûlés étrangers pour remplir les lits... On peut toujours financer 1.000 lits intensifs en plus mais si on ne les utilise pas en période normale, c'est un choix politique."Sur la question des masques dont on accuse le gouvernement Wilmès et elle-même d'en avoir détruit 50 millions dans un hangar à Belgrade (Namur), elle a souligné qu'il n'y avait pas d'inventaire clair du stock de masques. "Personne ne savait exactement combien il existait encore de masques et de quel type. Le stock n'était pas conservé dans les bonnes conditions à Belgrade, ce qui le rendait inutilisable."C'est en 2005-2006, lors de la grippe aviaire, qu'il a été décidé de constituer un stock de masques chirurgicaux et FFP1 et 2. Un budget de trois millions a été voté. Mais le budget a été réduit année après année. En 2009, on ne disposait plus que de 376.000 euros (et en 2015, de 108 000 euros...). "J'ai fait détruire le vieux stock. Quiconque a vu les rapports d'inspection sait que c'était la seule décision correcte. La destruction s'est faite par roulement. Le contrat de location entre la Santé publique et la Défense a également expiré à la fin de 2017 (...) En guise de solution provisoire, j'aurais dû réintroduire un stock statique, tandis que les administrations élaboraient les plans pour le stock tournant (...) C'était une erreur de jugement de ma part."L'ancienne ministre reconnaît ainsi qu'il faut pouvoir disposer d'un stock stratégique en cas de crise sanitaire. "J'ai demandé à mes services de constituer un stock roulant et décentralisé. Ce que j'entends par là, c'est un stock qui a déjà été distribué sur le terrain et qui y est effectivement utilisé. A chaque utilisation, les institutions reconstitueraient systématiquement le stock et recevraient également les ressources nécessaires à cet effet. Cela résoudrait deux problèmes importants: d'une part, éviter de devoir détruire un stock important en une seule fois parce qu'il a "dépassé sa date de péremption" et, d'autre part, éviter les problèmes de stockage qui se posent lorsqu'on veut loger un stock énorme en un seul endroit."L'incertitude quant à la disponibilité des matériaux de protection a provoqué un stress supplémentaire au cours des premières semaines de crise pour les prestataires de soins de santé qui étaient déjà soumis à une forte pression, reconnaît-elle. "Les choses auraient pu et dû être faites différemment. Je suis donc reconnaissante envers Philippe De Backer d'avoir accepté de coordonner la fourniture de matériel médical rare. Il est parvenu à constituer des stocks assez rapidement, même si le marché international des matériaux de protection a été gravement perturbé. Le monde entier courait après la même chose, ce qui créait des situations hallucinantes. Certains pays ont fermé leurs frontières à l'exportation de matériel de protection et il y avait même des pays qui achetaient des cargaisons d'autres pays sur le tarmac..."