Jargon contre jargon

Un ami me remet à ma place quand je lui parle du rôle des mutuelles en matière de littératie. Diafoirus, me dit-il, tu te souviens ? Molière se moquait de la médecine jargonneuse. Voilà mutuelles et médecins renvoyés dos à dos. Tous les pouvoirs se retranchent derrière des jargons. Le langage technique devrait se limiter aux discussions entre spécialistes. Les conversations entre profanes et experts, malades et médecins, ne nécessitent pas un vocabulaire compliqué. Rêvons un peu. Fin de consultation. Au moment de prendre congé du patient, vous vous préoccupez de savoir s'il a bien compris 1° son problème, 2° comment prendre les médicaments 3° le programme des examens complémentaires et 4° les modalités de suivi. Les explications et les documents y associés prennent du temps, mais qu'à cela ne tienne, vous l'estimez nécessaire. C'est votre job, cela fait partie du service à rendre. Les médecins consciencieux font de la littératie sans le savoir. Malheureusement, la littérature contredit ce tableau idyllique . Car la littératie a sa littérature, scientifique bien entendu. Ce sympathique sujet suscite des vocations, inspire des enquêtes et demande évidemment sa part de financement. Contrairement aux médecins qui, à quelques détails près, ont perdu jusqu'à l'idée même de rémunération pour les rapports, les discussions pluridisciplinaires et les explications aux patients. Une injustice énorme, car s'ils ne le font pas, cela leur est reproché, à juste raison. Invoquer le manque de temps, l'informatique ou la surcharge administrative les met dans une situation de plaignants passifs. Tout Pacte d'avenir des praticiens devrait corriger cette anomalie. Mais que disent les experts en littératie?

Paradoxe: pour mieux se comprendre, on commence par inventer un mot jargon!

KCE, Sciensano, mutuelles et autres initiatives en matière de littératie

Définition de la littératie en santé (site des Mutualités libres): capacité d'un individu à trouver, à comprendre et à utiliser l'information santé de base, les options de traitement qui s'offrent à lui et à prendre des décisions éclairées concernant sa propre santé. Le site du KCE (Centre fédéral d'expertise des soins de santé) insiste sur une définition plus large. Nous y retrouvons les trois niveaux de savoirs et de pouvoirs s'échelonnant du terrain des pratiques, le micro-relationnel, aux états-majors politiques, le macro-relationnel, en passant par la vaste zone d'associations, d'entreprises et d'administrations, le méso-relationnel. Tous devraient mieux se comprendre, littératie oblige. Les rapports du KCE nous apprennent qu'en Belgique, une enquête des mutualités chrétiennes de 2014 révélait un niveau de littératie insuffisant ou problématique chez 41,3% de leurs membres interrogés. L'Enquête nationale de Santé de Sciensano, 2019, trouvait un chiffre moins défavorable de 33,4%. Nous apprenons aussi que la littératie érigée en discipline des sciences humaines se développe dans de nombreux pays. Voir la synthèse du KCE sur la question. L'industrie pharmaceutique s'intéresse elle aussi au sujet, comme en témoignent les HealthNest by MSD succédant aux Well Done - MSD Health Literacy Awards.

Littératie en santé et syndicats médicaux

En poussant jusqu'au bout les annonces de la littérature en littératie, nous devrions non seulement nous préoccuper de la bonne compréhension entre malades et médecins, mais aussi entre médecins et mutualistes, entre citoyens et politiques. Cela veut dire mieux assembler les bâtons de savoirs et de pouvoirs de bas en haut de la société, pour permettre à chacun de se préserver des espaces de liberté selon ses problèmes, ses compétences et ses talents: le Lego de la démocratie.

Suroccupés au niveau micro, les médecins devraient davantage s'intéresser à leurs relations verticales avec les autres pouvoirs, au risque de tout se faire dicter d'en haut selon des intérêts différents des leurs et surtout, de ceux des patients, quoi qu'en dise le slogan: le patient au centre.

Suite dans l'épisode 4/5. Pacte d'avenir des médecins, première esquisse.

Dr Jean Creplet
Jargon contre jargonUn ami me remet à ma place quand je lui parle du rôle des mutuelles en matière de littératie. Diafoirus, me dit-il, tu te souviens ? Molière se moquait de la médecine jargonneuse. Voilà mutuelles et médecins renvoyés dos à dos. Tous les pouvoirs se retranchent derrière des jargons. Le langage technique devrait se limiter aux discussions entre spécialistes. Les conversations entre profanes et experts, malades et médecins, ne nécessitent pas un vocabulaire compliqué. Rêvons un peu. Fin de consultation. Au moment de prendre congé du patient, vous vous préoccupez de savoir s'il a bien compris 1° son problème, 2° comment prendre les médicaments 3° le programme des examens complémentaires et 4° les modalités de suivi. Les explications et les documents y associés prennent du temps, mais qu'à cela ne tienne, vous l'estimez nécessaire. C'est votre job, cela fait partie du service à rendre. Les médecins consciencieux font de la littératie sans le savoir. Malheureusement, la littérature contredit ce tableau idyllique . Car la littératie a sa littérature, scientifique bien entendu. Ce sympathique sujet suscite des vocations, inspire des enquêtes et demande évidemment sa part de financement. Contrairement aux médecins qui, à quelques détails près, ont perdu jusqu'à l'idée même de rémunération pour les rapports, les discussions pluridisciplinaires et les explications aux patients. Une injustice énorme, car s'ils ne le font pas, cela leur est reproché, à juste raison. Invoquer le manque de temps, l'informatique ou la surcharge administrative les met dans une situation de plaignants passifs. Tout Pacte d'avenir des praticiens devrait corriger cette anomalie. Mais que disent les experts en littératie? KCE, Sciensano, mutuelles et autres initiatives en matière de littératieDéfinition de la littératie en santé (site des Mutualités libres): capacité d'un individu à trouver, à comprendre et à utiliser l'information santé de base, les options de traitement qui s'offrent à lui et à prendre des décisions éclairées concernant sa propre santé. Le site du KCE (Centre fédéral d'expertise des soins de santé) insiste sur une définition plus large. Nous y retrouvons les trois niveaux de savoirs et de pouvoirs s'échelonnant du terrain des pratiques, le micro-relationnel, aux états-majors politiques, le macro-relationnel, en passant par la vaste zone d'associations, d'entreprises et d'administrations, le méso-relationnel. Tous devraient mieux se comprendre, littératie oblige. Les rapports du KCE nous apprennent qu'en Belgique, une enquête des mutualités chrétiennes de 2014 révélait un niveau de littératie insuffisant ou problématique chez 41,3% de leurs membres interrogés. L'Enquête nationale de Santé de Sciensano, 2019, trouvait un chiffre moins défavorable de 33,4%. Nous apprenons aussi que la littératie érigée en discipline des sciences humaines se développe dans de nombreux pays. Voir la synthèse du KCE sur la question. L'industrie pharmaceutique s'intéresse elle aussi au sujet, comme en témoignent les HealthNest by MSD succédant aux Well Done - MSD Health Literacy Awards. Littératie en santé et syndicats médicauxEn poussant jusqu'au bout les annonces de la littérature en littératie, nous devrions non seulement nous préoccuper de la bonne compréhension entre malades et médecins, mais aussi entre médecins et mutualistes, entre citoyens et politiques. Cela veut dire mieux assembler les bâtons de savoirs et de pouvoirs de bas en haut de la société, pour permettre à chacun de se préserver des espaces de liberté selon ses problèmes, ses compétences et ses talents: le Lego de la démocratie. Suroccupés au niveau micro, les médecins devraient davantage s'intéresser à leurs relations verticales avec les autres pouvoirs, au risque de tout se faire dicter d'en haut selon des intérêts différents des leurs et surtout, de ceux des patients, quoi qu'en dise le slogan: le patient au centre.