Ce qui n'était qu'une boutade lancée à Noël dernier - "Wallonie, terre de chanvre" - est en passe de se réaliser sur un terrain bordant la Meuse liégeoise, à quelques encablures de... Maastricht, et cette Hollande pionnière du cannabis à usage thérapeutique: "Lors de groupes de travail, j'ai par hasard appris que nous possédions des terrains", rembobine le Dr Frédéric Louis, algologue au sein du Groupe santé CHC. "Déjà intéressé par les vertus du cannabis dans ma pratique médicale, j'ai proposé que nous utilisions ces terres pour cultiver du chanvre. Et voilà, six mois plus tard, c'est planté!"
Cette collaboration renforce le CHC comme acteur médical et socio-économique local." - Nicolas Desmyter, directeur de la Clinique CHC Hermalle
Un défi local et durable
"Par ailleurs, le chanvre permet de capturer plus de 12 tonnes de CO2 par hectare et il améliore les terres, ce qui est intéressant pour les agriculteurs qui replanteront ensuite", poursuit le médecin spécialiste de la douleur. Au-delà de l'aspect médical de cette culture novatrice, on trouve donc aussi une démarche de développement durable, qui s'inscrit parfaitement dans les missions du Plan stratégique du Groupe CHC, dont les trois hectares de terrain mis à disposition de la firme CBX Medical seront valorisés à différents titres.
"Cette collaboration, inédite, renforce le CHC comme acteur socio-économique local", plaide Nicolas Desmyter, directeur de la Clinique CHC Hermalle qui jouxte le terrain. En partenariat avec le bourgmestre de la commune, le terrain, en dehors du cycle de culture du cannabis (quatre mois), est en effet utilisé par les agriculteurs du cru pour produire du fourrage. Par ailleurs, la plante étant entièrement valorisable, ses futures tiges, qui peuvent atteindre 4 mètres, sont d'ores et déjà vendues comme coproduit à C-biotech, une firme belge spécialisée en isolants biosourcés.
Du cannabis sans THC
"Nous avons informé la Région wallonne de la plantation, le SPW pourrait mener des tests aléatoires avant la récolte, prévue vers la mi-septembre", souligne Lionel Quataert, CEO de CBX Medical. Pourquoi ces tests? Pour s'assurer que les inflorescences ne contiennent pas de THC (< 0,2%), le fameux Tetrahydrocannabidiol aux effets psychotropes récréatifs. Le long du champ, des panneaux pédagogiques informent les badauds afin de démystifier l'univers des cannabacées, mais aussi d'afficher ostensiblement "zéro THC" (autrement dit, inutile de venir se servir...).
Deux variétés de Cannabis Sativa L. ont été plantées - Felina 32 (CBD) et Santhica 27 (CBG, aux vertus anti-inflammatoires et antibactériennes) -, à différentes densités de semis, à titre purement expérimental. La plante de cannabis est capable de produire (par réaction immunitaire face à un stress de son environnement) plus d'une centaine de cannabinoïdes différents, dont une volée ne sont pas stupéfiants, contrairement au THC.
"Il s'agit aussi de mieux comprendre la filière pour la développer et l'optimaliser", précise le CEO, qui espère obtenir un bon rendement et trouver la meilleure extraction possible des précieux phytocannabinoïdes. "Les Pays-Bas voisins sont certes les premiers à autoriser l'usage thérapeutique du cannabis, mais avec du THC et sans accord avec les professionnels de la santé", souligne par ailleurs Lionel Quataert. "La démarche française, qui consiste d'abord à former les professionnels, est plus inspirante pour nous."
Le défi? Un antalgique innovant, sans dépendance
L'an dernier, CBX Medical a obtenu un subside de recherche important, et signé dans la foulée un partenariat de quatre ans en R&D avec la faculté de pharmacie de l'ULB pour étudier la biodisponibilité des phytocannabinoïdes à travers différentes voies d'administration (gouttes, patch, etc.) afin d'optimaliser leur métabolisation. Cette jeune société propose déjà quelques produits - uniquement en pharmacie - à base de cannabinoïdes naturels (CBD). Son objectif, d'ici à 2028, serait d'arriver à formuler un médicament antalgique innovant comme alternative aux opioïdes. "22% de la population souffrent de problèmes chroniques, nous pouvons certainement amener un mieux-être sans nuire", assure Lionel Quataert.
Aux États-Unis, la crise des opioïdes représente, en nombre de décès annuels, l'équivalent d'un avion qui s'écrase chaque jour." - Dr Frédéric Louis, algologue
Le Dr Frédéric Louis, fort de sa longue pratique de prise en charge de la douleur, conforte: "Le cannabis récréatif, avec son THC, engendre une dépendance. Pas le cannabis thérapeutique. Nous n'allons pas risquer de rendre dépendants des patients qui sont déjà parfois sous morphiniques... L'Europe ne doit pas en arriver à une crise des opioïdes comme celle qui touche les États-Unis. Cette crise représente, en nombre de décès annuels, l'équivalent d'un avion qui s'écrase chaque jour! Nous devons trouver des alternatives naturelles, qui ne rendent pas dépendants."
Dans la douleur neuropathique, notamment
La firme CBX Medical est de plus en plus sollicitée par des médecins, des hôpitaux et des unions de pharmaciens pour dispenser des formations sur le cannabidiol (CBD). "Certains médecins sont encore frileux, mais la littérature médicale montre que le CBD fonctionne sur certaines douleurs, notamment neuropathiques et neurologiques, ainsi qu'en seconde ligne chez des patients non répondants aux traitements classiques, par exemple dans la migraine réfractaire", poursuit le Dr Louis. "Et si l'on n'arrive pas à améliorer la douleur chez tous les patients, on peut leur proposer une meilleure qualité de vie, en les aidant à retrouver le sommeil, la sérénité en cas de dépression, ou en les aidant à bouger malgré la douleur."
Le projet de recherche de CBX Medical comporte trois axes: voie d'administration, méthode d'encapsulation et composition (pourcentage de CBD, CBN, CBG...). "Nous devrons trouver le bon compromis pour entrer en phase 1", conclut Lionel Quataert.