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Le Pr Timothy Devos est hématologue à l'UZ Leuven. Il y traite des personnes souffrant de troubles sanguins et, en sa qualité de médecin spécialiste de l'hémovigilance, il surveille également la sécurité d'utilisation de tous les produits sanguins. Il est également président du Comité de transfusion, une équipe multidisciplinaire regroupant entre autres pédiatres, réanimateurs, anesthésistes et collaborateurs de la Croix-Rouge. Ensemble, ils déterminent la politique de transfusion de l'UZ Leuven. L'un des défis auxquels sont actuel- lement confrontés les hôpitaux belges est la demande croissante de médicaments dérivés du plasma, comme les immunoglobulines et les solutions d'albumine, alors même qu'il existe une certaine pénurie de dons de sang et de plasma. Le Pr Devos: "Nous essayons d'utiliser les unités disponibles de plasma avec parcimonie, mais nos efforts ont des limites. En prévision de l'avenir, nous devons à tout prix essayer d'agrandir notre réserve de donneurs." Mais quand une transfusion de plasma est-elle indiquée ou pas? Pareille transfusion est-elle sûre? Il existe trois indications majeures pour une transfusion de plasma. Citons tout d'abord les hémorragies massives et les (poly)traumatismes. "Conformément au protocole de transfusion massive, nous administrons en alternance du sang, du plasma et des plaquettes. Une perte aiguë et massive de sang nécessite une combinaison de dif- férents composants sanguins", explique le Pr Devos. "À l'UZ Leuven, un cinquième environ des unités de plasma est utilisé aux soins intensifs et un autre cinquième au quartier opératoire. Toutefois, nous remarquons une baisse spectaculaire du nombre de transfusions plasmatiques en salle d'opération depuis quelques années."Le PTT (purpura thrombocytopénique thrombotique), une urgence hématologique, requiert également des transfusions de plasma. Cette maladie auto-immune se développe à cause d'une carence en ADAMTS13, une enzyme plasmatique qui dégrade le facteur de Von Willebrand (VW-F) dans le sang. "Dès que ces grosses protéines VW ne sont plus clivées, elles provoquent des ravages", explique l'hématologue. "Les patients souffrent d'hémolyse, d'insuffisance rénale et de troubles neurologiques. Leur taux de plaquettes est bas. Sans traitement, le PTT entraîne un taux élevé de mortalité."Il faut constamment remplacer le volume plasmatique des patients PTT. Cela se déroule par aphérèse. Le plasma atteint, qui contient les substances auto-immunes et les protéines anormales, est filtré par circulation extracorporelle du sang et est remplacé par le plasma sain d'un donneur (qui contient l'ADAMTS13) [1]. Le traitement du PTT nécessite de treize à quinze unités de plasma par jour, parfois durant des semaines. "Nous utilisons aussi des corticostéroïdes et des anticorps monoclonaux. Il existe de nouvelles thérapies à base de nanobodies, mais les transfusions plasmatiques restent essentielles", explique le Pr Devos. Dans son centre, une petite moitié du plasma est consacrée aux échanges plasmatiques. Un dernier groupe comprend les déficits de facteurs de coagulation. "Pour les personnes souffrant de troubles de la coagulation, en particulier ceux qui sont liés aux facteurs V et XI, les transfusions de plasma sont indispensables." Dans un cadre prophylactique, les transfusions de plasma ne sont donc pas utiles. "L'administration préventive de plasma, avant une intervention chirurgicale par exemple, n'apporte pas de bénéfices prouvés", affirme le Pr Devos. "Le plasma sanguin ne sert pas non plus pour l'expansion du volume chez les patients souffrant d'hypovolémie. En cas de faible volume sanguin dû à la déshydratation, à un traumatisme ou à une septicémie, les liquides de perfusion (cristallins et colloïdaux) permettent une récupération volémique."Le plasma n'est pas réservé aux seules transfusions. Il est aussi une matière première des médicaments dénommés "dérivés plasmatiques stables". Un autre domaine en demande de plasma est celui de la recherche. "Durant la pandémie, le monde entier a mené des études sur l'immunisation passive et l'UZ Leuven n'a pas fait exception. Nous avons injecté le plasma de personnes ayant surmonté le covid et possédant donc beaucoup d'anticorps à de nouveaux patients à l'hôpital", précise Timothy Devos. "Cela a été très instructif. Nous avons notamment appris qu'il fallait injecter le plasma très vite après une contamination au SARS-CoV-2 pour qu'il ait de l'effet."La Croix-Rouge a procédé à des recherches de suivi sur des hamsters. Le plasma riche en anticorps leur a été administré par gouttes nasales et non par transfusion. Cette administration intranasale s'est avérée quarante fois plus efficace contre l'infection (pour autant que le spray nasal ait été utilisé dès les premiers symptômes). Les hamsters ont également reçu des gouttes préventives, une méthode qui a donné des résultats prometteurs. Elle pourrait constituer une nouvelle application du plasma. Durant la saison d'infections à l'influenza ou au VRS, par exemple, elle permettrait d'offrir une protection complémentaire contre une pneumonie sévère aux personnes souffrant de comorbidités. Le plasma n'étant pas du sérum physiologique mais une transfusion allogène (donneur-patient), les effets secondaires ne sont pas exclus. Le Pr Devos expose trois exemples de réactions à la transfusion. Premièrement, les transfusions plasmatiques peuvent provoquer des réactions allergiques. "Il peut s'agir d'urticaires et de démangeaisons - dans ce cas, il suffit d'administrer un antihistaminique -, mais on peut aussi assister à des réactions anaphylactiques accompagnées d'angio-oedème, de bronchospasme et de choc hypotenseur, qui requièrent une admission aux soins intensifs."L'incidence des réactions allergiques graves est estimée entre 1: 50.000 et 1: 100.000. "Quand un patient développe une réaction anaphylactique à une transfusion plasmatique, nous vérifions son taux d'IgA sanguin. Les patients présentant une déficience en IgA [2] réagissent violemment aux administrations de plasma et ne peuvent plus bénéficier de transfusions, du moins pas sans protocole spécifique. C'est d'ailleurs la seule contre-indication à une transfusion plasmatique", signale le Pr Devos. Le TRALI, 'transfusion-related acute lung injury' (syndrome respiratoire aigu post-transfusionnel en français), est une autre complication redoutable de la transfusion plasmatique. Le patient ne réagit pas au donneur. Ce sont les anticorps du donneur [3] qui s'attaquent aux neutrophiles du patient, plus spécifiquement aux cellules du lit pulmonaire. "Les premiers symptômes, une dyspnée soudaine et une tachypnée, apparaissent environ six heures après la transfusion. Le TRALI constituant un diagnostic d'exclusion, il faut écarter au préalable, aux urgences, le diagnostic d'hypervolémie, 'd'acute respiratory distress syndrome' (ARDS) ou d'infection", explique le Pr Devos. "Le TRALI est réversible et curable - de fortes doses de corticostéroïdes inhibent la réaction immunitaire -, mais une intubation provisoire peut parfois s'avérer nécessaire."Enfin, les transfusions plasmatiques, comme les transfusions d'autres produits sanguins, peuvent entraîner une hypervolémie. Un volume trop élevé, une administration trop rapide ou l'utilisation d'un nombre insuffisant de diurétiques peuvent provoquer une TACO, soit une 'transfusion-associated circulatory overload', avec oedème pulmonaire et surcharge cardiaque. Cette complication est généralement bien gérée, avec rétablissement de l'équilibre volémique. L'incidence fluctue entre 1 et 8%, toutes transfusions confondues. La compatibilité des groupes sanguins ABO entre donneur et bénéficiaire est essentielle pour prévenir toute réaction. "Les règles de compatibilité pour le plasma sont l'inverse de celles en vigueur pour les transfusions de globules rouges: le O est le receveur universel de plasma et le AB le donneur universel", remarque le Pr Devos. "De nos jours, nous procédons à une double vérification du groupe sanguin des patients avant toute transfusion. Nous scannons les codes-barres sur les poches de sang et sur le bracelet du patient. Ces mesures de contrôle ont entraîné trois fois moins de réactions transfusionnelles."Le plasma présente un avantage considérable: il ne provoque aucune infection. Le plasma du donneur, prélevé par aphérèse ou par don classique de sang [4], subit une inactivation virale en laboratoire (par la méthode du solvant/détergent ou par la méthode du bleu de méthylène). Il est ensuite congelé à -30°C. Cette température très basse est nécessaire pour empêcher la dégradation des protéines et des facteurs de coagulation. En plus, elle permet la conservation du plasma pendant trois ans et élimine bactéries et autres micro-organismes. Une nouvelle méthode de réduction des agents pathogènes, la technologie Intercept, détruit toutes les structures d'ADN du donneur. Les virus et les bactéries sont ainsi éliminés encore plus efficacement. "Cette technique, bien que très coûteuse, est déjà utilisée pour la transfusion des plaquettes. Si nous parvenons à l'utiliser pour les érythrocytes et le plasma, à l'avenir, nous pourrons peut-être assouplir la sélection des donneurs", spécule le Pr Devos.