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Au printemps de l'année dernière, l'inquiétude du corps médical se focalisait surtout sur les IEC et sartans. Dans les études animales, ces molécules provoquent en effet une augmentation de la densité des récepteurs ACE2 - la porte d'accès qui permet au Sars-CoV-2 de pénétrer dans la cellule.(1) D'autres auteurs ont toutefois réitéré leur foi dans la sécurité des inhibiteurs SRAA, là encore sur la base d'une théorie moléculaire: lorsque le Sars-CoV-2 pénètre dans la cellule par le biais de l'ACE2, le récepteur se trouve internalisé et perd sa fonction physiologique. On sait par ailleurs que l'ACE2 convertit l'angiotensine II en angiotensine 1-7. La présence du virus se traduit donc par une quantité accrue d'angiotensine II, une hormone pro-inflammatoire... et comme les IEC et les sartans bloquent respectivement la synthèse et l'action de l'angiotensine II, ils devraient avoir un effet protecteur contre la survenue d'une inflammation violente en cas de covid-19.(2) L' American Heart Association est rapidement intervenue pour appeler à poursuivre les traitements par IEC et sartans, l'éventuel impact délétère de ces molécules sur le décours de l'infection Covid-19 n'étant pas démontré.(3) Les méta-analyses ont fini de rassurer la majorité des médecins. En septembre de l'année dernière, une méta-analyse d'études observationnelles - complétée par les données des auteurs eux-mêmes - avait déjà établi l'absence d'augmentation du risque chez les patients traités par IEC ou sartans.(4) Il y a deux mois, une autre a même observé une mortalité significativement plus faible chez les personnes qui prenaient ces médicaments.(5) Les statines aussi s'accompagnent dans les études animales d'une expression accrue d'ACE2(6) et l'inquiétude concernant ces produits a été encore alimentée par les résultats d'une étude observationnelle rapportant des taux significativement plus faibles de cholestérol LDL et total chez les patients Covid-19.(7) En avril 2020, le chercheur Uffe Ravnskov affirmait dans les pages du British Medical Journal que les patients atteints d'une infection Covid-19 engageant le pronostic vital ne devaient en aucun cas prendre des statines (ou d'autres traitements hypocholestérolémiants) parce que le cholestérol LDL possède un effet anti-infectieux.(8) Ce dernier pourrait d'ailleurs expliquer les taux plus faibles observés dans cette population (sous l'effet de la consommation du LDL) mais aussi la baisse des taux de cholestérol LDL et total dans le décours d'une infection Covid grave, qui est d'autant plus marquée que l'état du patient se dégrade. Là aussi, néanmoins, les avis sont partagés. Un certain nombre d'auteurs ont ainsi prédit un effet bénéfique, puisque les statines possèdent en sus de leur action hypocholestérolémiante des propriétés anti-inflammatoires et antithrombotiques(9) qui leur permettraient de limiter non seulement le risque de syndrome anti-inflammatoire, mais aussi les complications thrombotiques du Covid-19. Les études ont livré des résultats contradictoires, mais une méta-analyse méticuleuse a observé dès l'été dernier un risque significativement plus faible de décès ou de Covid-19 grave chez les patients sous statines que chez les sujets qui n'en prenaient pas.(10) Ces résultats ont été confirmés récemment par une étude observationnelle réalisée par Gupta et al. et publiée dans la revue Nature(11),qui a là encore mis au jour une mortalité plus faible. Le critère d'évaluation primaire (décès à l'hôpital dans les 30 jours suivant l'admission) a été atteint chez 14,8% des patients sous statines vs 26,5% de ceux qui n'en prenaient pas (p < 0,001) alors même que les premiers étaient plus âgés et porteurs de davantage de comorbidités, soulignent les auteurs. Les chercheurs avancent plusieurs hypothèses pour expliquer le bénéfice de survie observé avec les statines dans leur étude. Tout d'abord, il y a le fait que ces médicaments ont un net effet bénéfique sur la mortalité des sujets souffrant d'athérosclérose, qui sont justement fortement représentés dans la population hospitalisée pour une infection Covid-19. Gupta et al. évoquent toutefois aussi l'effet anti-inflammatoire déjà mentionné plus haut, lié à des taux de CRP plus faibles chez les patients traités. Les sujets qui recevaient des statines dans l'étude de Nature affichaient eux aussi des taux de CRP plus faibles que les participants qui n'en prenaient pas. Leurs propriétés anti-inflammatoires permettraient aux statines de stabiliser et même de rétablir la fonction endothéliale. En combinaison avec leur capacité à stabiliser la plaque et à prévenir les thromboses, cette action pourrait avoir un impact sur les complications thrombotiques, qui ont entre-temps été abondamment décrites chez les patients Covid-19. Des modèles du mécanisme qui permet au Sars-CoV-2 de s'introduire dans la cellule-hôte mettent au jour d'autres pistes. Pour traverser la membrane cellulaire, le Sars-CoV-2 doit (comme d'autres virus) pouvoir profiter de radeaux lipidiques ( lipid rafts), des îlots riches en cholestérol et sphingolipides qui flottent dans la structure de base de la membrane. Ces radeaux lipidiques forment une sorte de plateforme pour les récepteurs ACE2, qui leur permet de rester accessibles au Sars-CoV-2. On pense que, sous l'influence des statines, le cholestérol disparaît de ces radeaux en provoquant dans la configuration du récepteur ACE2 un changement qui va rendre la cellule inaccessible au virus (voir également l'encadré "Éliminer le cholestérol bloque l'accès du virus à la cellule"). Enfin, un modèle informatique a permis de démontrer que les statines seraient capables d'interagir avec Mpro, une protéase qui joue un rôle important dans le virus Sars-CoV-2. D'après les auteurs de ces recherches, l'interaction de certaines statines avec Mpro serait plus marquée que celle des inhibiteurs de la protéase. Les résultats prometteurs des études observationnelles incitent aujourd'hui à tester les possibilités des statines pour le traitement de l'infection Covid-19. Il faudra pour cela disposer de preuves tangibles en provenance d'essais prospectifs randomisés, dont plusieurs sont déjà en cours.