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Le journal du Médecin: La convention dite "Protocole 3" recouvre quelle approche de soins en particulier? Quelle en est sa philosophie principale?Justien Cornelis (KCE): Il s'agit de projets pilotes soutenus depuis 2010 par l'Inami, qui proposent des approches innovantes et multidisciplinaires pour les soins à domicile des personnes âgées fragilisées par des maladies chroniques nécessitant des soins complexes. Les soins dispensés doivent reposer sur une vision holistique de l'état de santé du bénéficiaire. L'objectif premier de ces projets est de permettre à ces personnes âgées de mener plus longtemps une vie de qualité à leur domicile et d'éviter, de retarder ou à tout le moins d'adoucir la transition vers une structure de soins résidentiels. En même temps, ils visent aussi à améliorer la qualité de vie des aidants proches et à assurer la sécurité de l'environnement familier (p. ex. prévention des chutes). Le KCE regrette que cette convention reste en l'état de "projet-pilote éternel". Malgré les nombreuses reconductions, a-t-on identifié les réels blocages qui empêchent d'intégrer ces initiatives de manière pérenne dans l'offre de soins de santé globale, sachant qu'elle correspond justement à la nouvelle approche intégrative des objectifs et du budget de l'Inami?J.C. : Ces projets sont un très bon exemple d'intégration entre lignes de soins. En Belgique, ces (nouvelles) formes d'intégration des soins font actuellement l'objet de projets pilotes dont le financement est toujours limité dans le temps et auxquels est généralement liée une évaluation scientifique pour décider si ces formes de soins doivent être incluses dans une offre régulière. Les points forts de ces projets pilotes sont qu'ils incitent les prestataires de soins à développer des formes innovantes d'intégration des soins, qu'ils sont très flexibles et qu'ils sont souvent financés de manière globale. Tout cela concourait à instaurer une approche "bottom-up". Au fil des ans, le Protocole 3 a déjà fait l'objet de deux extensions et nous sommes actuellement dans la troisième phase (jusqu'à fin 2022). L'ancrage éventuel du Protocole 3 dans l'offre de soins réguliers a été entravé au fil du temps par le contexte politique et la réforme de l'État de 2014 qui, en modifiant la répartition des compétences, a rendu plus difficile la création d'un cadre approprié (en termes de réglementation et de financement) pour soutenir l'intégration des soins. Il faut notamment tenir compte du fait que le budget (libéré par la réduction du nombre de lits) provient du niveau fédéral (Inami), tandis que les maisons de repos et de soins relèvent désormais de la compétence des régions. Nous constatons que cela entrave la communication, l'organisation et l'évaluation et que cela créera des obstacles tant pour les prestataires de soins que pour les patients. Le passage à la phase 3 s'est accompagné d'une perte de flexibilité suite à l'introduction, entre autres, d'un financement à l'acte et de règlements connexes, ce qui a inversé l'approche "bottom up" en "top down". Nos recherches ont montré que ces changements ne sont pas très pratiques pour les prestataires de soins de santé et limitent leur capacité à fournir des soins adéquats aux patients, avec des critères d'admission devenus trop sélectifs et qui ne correspondent plus à la réalité clinique. Par exemple, ils se focalisent principalement sur les "Activités Instrumentales de la Vie Quotidienne" des bénéficiaires, alors que celles-ci ne représentent qu'une facette limitée de leur état de santé global. En outre, une limitation des soins à six mois a également été introduite, ce qui semble insuffisant pour parvenir à une amélioration durable de la qualité de vie des bénéficiaires et de leurs aidants proches. Combien coûte cette approche au budget de l'Inami? Nous ne disposons pas de chiffres exacts, mais nous savons qu'en 2019, le nombre de bénéficiaires était de 2.592 pour l'ensemble des 19 projets du Protocole 3 (données pour neuf mois). Nous avons pu observer une diminution progressive des fonds annuels alloués à ces projets depuis 2015, mais aussi, d'un autre côté une sous-utilisation de ces fonds. Par exemple, le budget pour 2020 était de 12.713.000 euros, mais seuls 67% de ces fonds ont été utilisés. Les explications possibles sont les suivantes: la diminution de flexibilité dans les règles, les règlements et les critères d'inclusion, mais aussi la difficulté à trouver suffisamment de personnel (que l'on peut principalement attribuer à la nature incertaine des projets pilotes, leur durée étant limitée par l'absence de cadre structurel). Il faut aussi tenir compte du fait que les projets actuels du Protocole 3 ont une couverture géographique limitée. Si ces soins devaient être disponibles dans tout le pays, il faudrait augmenter les ressources. Dans son évaluation de cette approche, qu'a constaté le KCE comme problèmes, limites et faiblesses les plus criants?Dans l'ensemble, tout le monde estime que les résultats sont positifs et que la philosophie initiale et les objectifs de la convention sont rencontrés. L'engagement et l'expertise des professionnels de santé et des organisations de soins, ainsi que la qualité des soins offerts, ont par ailleurs été soulignés. Cependant, nombreux sont les acteurs qui déplorent les changements introduits lors de la troisième phase, car ils ont fortement mis sous pression les principes d'intégration des soins et de coopération interprofessionnelle qui faisaient le socle de la philosophie initiale des projets. Le fait que les projets Protocole 3 végètent dans un statut de projets-pilotes génère un sentiment de précarité professionnelle et des conditions de travail peu concurrentielles, ce qui contribue - toujours d'après les sondés - à un roulement de personnel plus important, à un manque de continuité des soins, à une démotivation des équipes et à une perte de connaissances et de compétences au sein des projets. On observe également qu'un nombre croissant d'organismes de soins ont décroché du Protocole 3 ou ont l'intention de le faire.