Par son interprétation subtile et nuancée des règles, le juge joue un rôle particulier mais central sur la scène des soins de santé. On se propose ici de relater le contenu de plusieurs décisions de justice rendues en 2023 en la matière. Cette sélection non exhaustive a pour objectif de donner au lecteur un aperçu des questions de santé qui peuvent être soumises aux juridictions nationales et internationales.
Une patiente ukrainienne n'est pas informée qu'on lui a retiré un rein
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Madame Mayborod a fait l'objet, en Ukraine, d'une ablation d'un rein lors d'une intervention chirurgicale d'urgence. Elle avait donné son consentement oral à l'opération mais la possibilité d'une ablation du rein comme moyen de faire cesser l'hémorragie n'avait pas été envisagée. À l'issue de l'opération, elle n'a pas été informée de ce qu'une néphrectomie avait été pratiquée et le compte-rendu d'hospitalisation qui lui a été remis n'en faisait pas mention. Elle l'apprit ultérieurement par un appel téléphonique anonyme. Dans son arrêt du 13 avril 2023, Mayboroda c. Ukraine, la Cour européenne des droits de l'homme condamne l'Ukraine, considérant qu'elle n'a pas satisfait à son obligation d'instaurer un cadre réglementaire permettant d'assurer la protection du droit de la requérante à donner son consentement éclairé. La Cour considère que la législation ukrainienne est insuffisante en la matière. En effet, l'Ukraine ne dispose pas d'instrument réglementaire interne instaurant une procédure à suivre pour la consignation du consentement ou la consultation des proches. Sa légalisation ne définit pas non plus suffisamment les notions de "consentement" et de "risque" que pour garantir le consentement éclairé du patient. En droit belge, l'article 8 de la loi du 22 août 2022 relative aux droits du patient assure le droit au consentement. Pour être valable, le consentement doit être donné expressément et doit faire l'objet d'une information préalable et suffisante, de sorte que le patient agit en connaissance de cause. La loi prévoit que seule la situation d'urgence permet de déroger au droit au consentement: dans ce cas, toute intervention nécessaire est pratiquée immédiatement par le praticien professionnel dans l'intérêt du patient. L'année 2023 fut chargée pour la Cour constitutionnelle, vu le nombre de recours introduits contre les mesures sanitaires adoptées lors de la pandémie. Cette juridiction est chargée de contrôler que les règles adoptées par les assemblées parlementaires respectent la Constitution. Bon nombre de ces recours portaient sur des atteintes prétendues aux droits fondamentaux ou à la compétence de l'autorité ayant adopté l'acte en cause. La Cour a validé toutes les mesures covid, à quelques nuances près. Ainsi, dans un arrêt très attendu du 27 avril 2023, la Cour constitutionnelle rejette la flopée de demandes d'annulation de la législation concernant le covid safe ticket, à une exception: le régime prévu à l'article 3 du décret de la Communauté flamande du 29 octobre 2021. Quatorze recours avaient été introduits contre la législation relative au covid safe ticket pour cause d'atteinte aux droits fondamentaux, comme le droit au respect de la vie privée, la liberté de réunion, le principe d'égalité et de non- discrimination et bien d'autres. Inflexible, la Cour constitutionnelle annule seulement l'article 3 du décret flamand en ce qu'il ne prévoit pas de critères et exceptions qui permettent aux visiteurs des établissements concernés (à savoir les hôpitaux, les centres de soins résidentiels, les hôpitaux de réadaptation et les établissements pour personnes handicapées) de prévoir si l'utilisation d'un CST y est obligatoire ou non. La législation doit être suffisamment prévisible et claire. Le décret flamand ne remplirait pas cette exigence selon la Cour constitutionnelle. Pour le reste, la Cour rejette les autres recours. Elle considère ainsi que la législation est fondée sur des recherches scientifiques fiables et juge les atteintes aux droits fondamentaux proportionnées et nécessaires. Les faits concernent une opération de conformation sexuée, une vaginoplastie coelioscopique, réalisée par un professionnel de santé sur une personne mineure. La patiente et sa mère manifestaient visiblement un réel désir d'opter pour l'intervention en raison d'un mal-être antérieur de la jeune fille. Elles auraient pressé le chirurgien à réaliser l'opération. La question s'est posée, devant la Cour d'appel de Bruxelles, de savoir si la patiente était en mesure d'exprimer un consentement suffisamment éclairé quant à l'intervention. Dans son arrêt du 7 février 2023, la Cour répond par la négative. La Cour note que la patiente n'avait pas achevé sa croissance et n'avait pas de "personnalité structurée" et que l'accompagnement psychologique avait été insuffisant. La responsabilité de l'hôpital est donc engagée pour des manquements commis par ses chirurgiens et ses psychiatres dans la prise en charge de la personne intersexuée. La mère de Noah et Victor a refusé de faire vacciner ses enfants contre la polio entre le troisième mois et le dix-huitième mois de leur vie. La législation belge l'y oblige pourtant. Le médecin de la famille avait contacté à plusieurs reprises la mère pour rappeler la nécessité du vaccin. Les enfants ne présentaient en outre aucune des contre-indications à la vaccination contre la poliomyélite. En raison de ce refus, la Cour d'appel de Liège la condamne à une amende. Elle rappelle que les risques que le vaccin présente pour la santé sont limités et que des dangers graves ne sont pas démontrés. La Cour rejette l'argumentation basée sur des motifs de conscience pour justifier le refus de vaccination. Enfin, elle rappelle qu'une vaccination prévue par la loi est une intervention dans l'intérêt de la collectivité, établie dans un souci de protection de la santé publique. Les faits concernent Monsieur M. qui, depuis 2010, souffrait d'une hernie discale lombaire. À l'issue d'une consultation avec le Dr L., ce dernier a proposé de réaliser une opération chirurgicale et a dit ne pas concevoir d'autres alternatives. L'intervention a ensuite été réalisée. Dans les suites de celles-ci, Monsieur M. a présenté une complication neurologique. Il a alors introduit une demande d'avis auprès du Fonds des accidents médicaux (FAM), qui a estimé que la responsabilité du Dr L. était engagée. Après avoir indemnisé M., le FAM demande le remboursement de ces indemnités devant le tribunal. Le FAM soulignait d'abord l'absence de traitement conservateur alors que le médecin avait conscience de ce que le geste chirurgical présentait des complications neurologiques. Le tribunal a considéré que le Dr L. ne devait pas être tenu responsable. La responsabilité d'un médecin ne peut être retenue si un médecin de même spécialité, normalement compétent et prudent, confronté aux mêmes circonstances, dans l'état de la science médicale au moment de son intervention et en fonction des informations dont il disposait à l'époque, aurait préconisé une intervention chirurgicale sans préalablement faire une nouvelle tentative de traitement conservateur. Tel était le cas en l'espèce. Le FAM considérait également que Monsieur M. n'avait pas été correctement informé des alternatives possibles et des risques et donc n'avait pas pu consentir librement à l'intervention. Le tribunal a constaté que les notes de consultation du Dr L. évoquaient la possibilité d'un traitement conservateur, que le Dr L. n'a donné à son patient que des informations dont il disposait lui-même compte tenu de l'état de la science à moment-là et que rien n'indique que Monsieur M. n'était pas en mesure de comprendre les informations qui lui étaient données. Pour ces raisons, la demande du FAM a été jugée non fondée par le tribunal civil.L'affaire concerne un médecin à la retraite, sans cabinet, ni même matériel médical, qui a, entre le 1er août 2020 et le 9 mars 2021, établi des certificats pour au moins 30 patients, les dispensant de l'obligation légale de porter un masque bucconasal pendant la pandémie de covid-19 sachant pertinemment que ces personnes ne satisfaisaient pas aux conditions médicales justifiant d'une telle dispense. L'ex-médecin n'a pas examiné les personnes auxquelles il a délivré les certificats médicaux et la majorité des attestations ont été demandées par téléphone ou par courrier électronique. En date du 13 mai 2023, le tribunal correctionnel d'Eupen condamne le médecin. Les certificats qui ont été délivrés sont considérés comme faux, dans la mesure où ils reposent uniquement sur l'opinion du médecin selon laquelle le port du masque est mauvais pour la santé et dans la mesure où ils n'ont pas été délivrés à l'issue d'examens médicaux faits individuellement avec chaque patient. En outre, le tribunal rejette l'argument du médecin tiré du libre choix de la méthode de traitement. Le prévenu est condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois avec sursis de trois ans et à une amende de 3.500 euros. Dans le cadre de l'assurance-maladie, une interruption d'un traitement orthodontique supérieure à une période de six mois sans la signaler au médecin-conseil de la mutualité entraîne la perte définitive de la contribution d'assurance dans les frais. L'affaire portait sur la question de savoir si ce principe est applicable à la situation où le patient a consulté, au cours d'un traitement, un nouvel orthodontiste et a ensuite interrompu son traitement pendant un délai de plus de six mois, et ce en période de pandémie. Dans son arrêt du 8 juin 2023, la Cour du travail considère qu'il n'y a pas eu de perte du droit à l'intervention. D'une part, elle rejette l'argument de la mutuelle selon lequel la consultation d'un nouvel orthodontiste implique qu'il s'agit d'un nouveau traitement, considérant que le changement d'orthodontiste n'est pas un nouveau traitement mais une reprise de celui-ci. D'autre part, concernant l'interruption du traitement, la Cour estime qu'elle était justifiée par la pandémie de coronavirus. En effet, la patiente n'a pas consulté durant plus de six mois en partie en raison des restrictions imposées par le covid, ce qui indique que son intention était bien de poursuivre le traitement à long terme. En l'occurrence, la Cour se rallie à l'argument du débiteur qui soutenait l'existence d'une force majeure. La force majeure n'existe que si elle résulte d'un événement indépendant de la volonté de la personne concernée, qui ne pouvait ni le prévoir ni l'empêcher, ce qui était le cas en l'espèce.