Une exposition à un cocktail de 13 perturbateurs endocriniens entraîne chez des rates une altération de la puberté, du cycle ovulatoire et de la folliculogenèse ovarienne ainsi qu'une perturbation des soins maternels via une reprogrammation épigénétique hypothalamique. Des effets délétères qui se répercutent sur plusieurs générations.
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On évalue à quelque 10.000 le nombre de substances chimiques présentent un peu partout dans notre environnement qui seraient de potentiels perturbateurs endocriniens. Elles sont issues de l'industrie agroalimentaire (pesticides et fongicides), pétrochimique (bisphénols et phtalates), pharmaceutique (paracétamol), cosmétique (filtres solaires)... Dans les conditions actuelles de grossesse humaine, on estime qu'une femme et son foetus sont exposés à un mélange à faible dose d'au moins une centaine d'entre elles. Les perturbateurs endocriniens font peur car leurs effets sur la santé sont multiples: infertilité, facteurs aggravants de cancer, perturbations du développement reproducteur, altérations de l'homéostasie hormonale... D'où la nécessité de s'en préoccuper comme le fait depuis longtemps Anne-Simone Parent, investigatrice principale au sein du l'unité de neuroendocrinologie du GIGA-Neuroscience de l'ULiège. Son équipe s'intéresse en particulier aux effets des perturbateurs sur le fonctionnement et le développement cérébral. " Bien que le contrôle neuroendocrinien de la maturation sexuelle soit une cible majeure de ces molécules, on sait peu de choses sur le rôle potentiel de l'hypothalamus dans la puberté et la perturbation de l'ovulation transmise de génération en génération", explique en préambule le Pr Parent, auteure principale d'une nouvelle étude entamée il y a près de cinq ans d'ici. " Notre avons émis l'hypothèse que l'exposition à un mélange de perturbateurs endocriniens présents à une dose similaire à celle retrouvée dans l'environnement pourrait induire des altérations multi- et/ou transgénérationnelles de la maturation sexuelle et des soins maternels chez les rats femelles, par le biais d'une reprogrammation épigénétique de l'hypothalamus." Jusqu'il y a peu, l'évaluation des risques se fondait uniquement sur les effets de chacune de ces molécules prises séparément. Mais, l'exposition étant le fait d'un large mélange d'entre elles, les scientifiques se sont peu à peu penchés sur l'impact qu'elles peuvent avoir quand elles sont combinées sous forme de cocktails. " Nous avons exposé des rats femelles adultes avant et pendant la gestation, et jusqu'à la fin de la lactation, à un mélange de 13 perturbateurs endocriniens", précise la pédiatre endocrinologue liégeoise . "Il est représentatif des principales familles de perturbateurs et de l'exposition à laquelle les êtres humains sont couramment soumis." " Les descendantes F1 exposées pendant la période périnatale ont été accouplées avec des mâles non-exposés pour générer des individus F2. Des accouplements successifs de mâles non-exposés avec des femelles exposées de manière transgénérationnelle ont donné naissance à des sujets F3 et F4 n'ayant jamais été en contact avec les perturbateurs." Le Pr Parent commente ensuite les résultats obtenus. " Les femelles exposées à l'état de cellules germinales (F2) et non directement exposées (F3), mais pas les F1, ont présenté un retard pubertaire et une folliculogenèse altérée. Nous avons aussi rapporté une altération transgénérationnelle de gènes hypothalamiques clés contrôlant la puberté et l'ovulation, à savoir Kiss1, Esr1 et Oxt, et nous avons identifié le groupe de répression épigénétique acteur de ce mécanisme. De plus, nous avons trouvé une réduction multigénérationnelle du comportement maternel, de F1 à F3, induite par une perte de la signalisation dopaminergique au niveau de l'hypothalamus dans les régions connues comme jouant un rôle dans le contrôle du comportement maternel. Avec là aussi des mécanismes épigénétiques sur le contrôle des gènes de l'enzyme tyrosine hydroxylase qui synthétise la dopamine." " Au final, nous obtenons deux phénotypes associés à des modifications épigénétiques au niveau de l'hypothalamus, ce qui ne m'a pas vraiment étonnée car nous avions déjà des données allant dans ce sens-là avec des substances uniques. Ce qui m'a surpris, c'est la consistance, la cohérence et la force des phénotypes." Globalement, cette étude met donc en évidence les mécanismes cérébraux expliquant les altérations au niveau de la reproduction d'une exposition aux perturbateurs endocriniens à des doses tout à fait comparables à ce que l'humain subit tous les jours. " On voit qu'il y a un impact à long terme, sur plusieurs générations", dit encore Anne-Simone Parent . "Je constate aussi qu'une combinaison de perturbateurs endocriniens produit des effets à des doses qui, individuellement, ne sont associées à aucune réponse observable et je suis surtout préoccupée par le fait que le phénotype rapporté sur le plan pubertaire et ovulatoire n'était pas présent dans la première génération exposée in utero, mais qu'il est apparu lors des suivantes dont celles qui n'ont pas été directement exposées." " Nos résultats remettent en question la façon actuelle d'évaluer la dangerosité des perturbateurs endocriniens puisqu'à l'heure actuelle leurs effets ne sont pas étudiés au-delà de la première génération", conclut la chercheuse liégeoise . "Enfin, il serait bon également de prendre en compte l'extrême sensibilité de l'hypothalamus."