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Intéressée par l'influence du métabolisme sur le développement cellulaire et, en particulier à la neurogenèse, processus au cours duquel les cellules souches cessent de s'auto-renouveler et se différencient en un type particulier de neurones, donnant ainsi naissance à notre cerveau, une équipe belge dirigée par le Pr Pierre Vanderhaeghen (ULB et VIB-KUL), s'est focalisée sur les mitochondries. " On estime que de petites différences dans la façon dont les cellules souches neurales génèrent les neurones sont à l'origine de l'augmentation spectaculaire de la taille et de la complexité de notre cerveau ", explique Pierre Vanderhaeghen. " D'autre part, nous savons que pour une série de maladies très rares, des syndromes avec très souvent des atteintes neurologiques, les gènes mutés sont impliqués dans la fonction des mitochondries. Avant les experts pensaient que cela était lié à la fonction cruciale de ces petites organelles qui consiste à fournir de l'énergie aux cellules de notre corps, y compris au cerveau en développement. Mais ce n'est qu'une partie de leur travail : des recherches récentes sur les cellules souches suggèrent que les mitochondries ont une influence directe sur le développement des organes, qu'elles exercent une fonction de signalisation. Nous avons testé si, et comment, cela pouvait être le cas dans le cerveau. " Chercheur postdoctoral au laboratoire du Pr Vanderhaeghen, Ryohei Iwata a développé une nouvelle méthode pour observer les mitochondries de manière très détaillée au cours de la neurogenèse corticale chez la souris et chez l'Homme, et plus spécifiquement au moment où les cellules souches neurales sont prises " en flagrant délit " pour devenir des neurones. " Nous avons exploré si le remodelage mitochondrial est couplé à la production de cellules nerveuses pendant la neurogenèse," précise le Pierre Vanderhaeghen . "Les mitochondries sont des organites hautement dynamiques, qui peuvent se rejoindre (fusion) ou se séparer (fission), et nous savons que ces dynamiques sont associées à des changements de destin dans divers types de cellules souches. " " Nous avons découvert que, peu de temps après la division des cellules souches, les mitochondries des cellules filles destinées à s'auto-renouveler fusionnent, alors que celles des cellules filles qui deviennent des neurones présentent plutôt des niveaux élevés de fission. Autrement dit, leur fission favorise la formation de neurones. " La dynamique des mitochondries est donc importante pour qu'une cellule gliale radiale devienne un neurone, mais il y a plus. " Nous avons aussi constaté que l'influence de la dynamique mitochondriale sur le choix du destin des cellules est limitée à une fenêtre temporelle très spécifique, juste après la mitose. Jusqu'à présent des arguments expérimentaux mais aussi une forme d'à priori incitait à croire qu'une fois la division cellulaire entamée, la cellule avait pris toutes les décisions qu'elle avait à prendre. Nos données révèlent qu'il est encore possible de lui 'faire changer d'avis' même après la division cellulaire. " " Le sort des cellules peut donc être influencé pendant une période beaucoup plus longue qu'on ne l'imaginait et un des éléments qui pèsent dans la décision de devenir un type cellulaire plutôt qu'un autre, c'est l'état métabolique de la cellule et ça, ce sont les mitochondries qui le lui indiquent. C'est une notion qui est nouvelle en biologie cellulaire et qui révolutionne notre manière de voir les choses, y compris pour des maladies neurodéveloppementales dont on peut se dire qu'elles ont peut-être parfois une composante métabolique que nous ne soupçonnions même pas. " Pour Pierre Vanderhaeghen, c'est une trouvaille importante qui pourrait avoir des implications intéressantes dans le domaine émergeant de la reprogrammation cellulaire. " Les scientifiques impliqués dans ce secteur tentent par exemple de convertir des cellules non neuronales directement en cellules neuronales, à des fins thérapeutiques. Pour y parvenir, il est nécessaire de bien comprendre quel est le moment optimal pour faire survenir cette reprogrammation. " " Autre secteur concerné : l'épigénèse, y compris la plupart des cancers dont on pense qu'ils sont dus à un dérèglement des programmes de différentiation. Il arrive que des cellules soient dédifférenciées, redeviennent des cellules qui se divisent, et donc il est possible qu'elles se retrouvent à nouveau dans cette période critique que nous avons identifiée et que nous allons devoir explorer beaucoup plus en détails. Même si nous ne savons pas encore vraiment comment cela se passe, nous pensons que les mitochondries sont capables de contrôler le destin de la cellule en influençant les protéines de la chromatine. " Autre constat intéressant : la fenêtre temporelle restreinte est deux fois plus longue chez les humains que chez les souris. " Comme cette période de plasticité est beaucoup plus longue dans les cellules humaines, il est tentant de spéculer qu'elle contribue à l'augmentation de la capacité d'auto-renouvellement des cellules progénitrices humaines, et donc aux capacités cérébrales et cognitives uniques de notre espèce. Il est fascinant de penser que les mitochondries, petits composants qui ont évolué dans les cellules il y a plus d'un milliard d'années, pourraient avoir contribué à l'évolution récente du cerveau humain. "