Nous sommes pris entre des contraintes physiques et des mots. Le langage véhicule à la fois des arguments critiquables et des forces inconscientes. Cet aspect non rationnel des relations humaines a été occulté par la croyance en la raison sans limites, même si des penseurs n'ont cessé d'y réfléchir. Mais comment faire dès lors que langage et pensée restent les seules armes à notre disposition pour en déjouer les pièges? Les mots clés de la politique n'y échappent pas. La préface d'un petit bijoux de livre "Qu'est-ce que la politique?" de Julien Freund (Points, éditions Sirey, 1965), commence ainsi: "Tout conspire de nos jours à masquer la nature véritable du politique. La tradition platonicienne, le prestige de la science, l'apparente autorité des intellectuels, l'emprise toujours plus manifeste des technocrates ou même la vogue des écoles ou instituts de Sciences politiques tendent à faire croire qu'elle est devenue désormais un pur objet de connaissance et que son développement dépendrait à l'avenir presque exclusivement de l'analyse et de la recherche scientifique."Autrement dit, la politique serait une affaire de professionnels et de spécialistes, si vous n'en êtes pas, circulez, contentez-vous de voter. Depuis lors, le populisme, le complotisme, l'illibéralisme et le sensationnalisme sont passés par là. Toujours dans l'optique de cette série, réfléchir aux rapports de savoirs et de pouvoirs d'un point de vue non spécialisé, je vous propose d'examiner le devenir de trois mots clés de nos démocraties, liberté, égalité, solidarité, dans la pratique médicale.

Liberté

Le libre choix du malade reste un pilier des soins de santé en Belgique. Certes, il y a des limites réglementaires et organisationnelles. A l'hôpital, les patients sont pris en charge par des équipes dans leur globalité. Du côté médical, la liberté se restreint de plus en plus. Mais il faut se demander dans quelle mesure en rivalisant de créativité avec nos collègues, les soignants et les gestionnaires, nous ne pourrions pas résoudre beaucoup de problèmes et retrouver des marges de manoeuvre légitimes. Car la liberté est d'abord une vertu individuelle pour laquelle chacun doit se battre avec les autres plutôt que contre eux, un défi de nature politique. Il est grand temps de s'y mettre car l'inflation de règles infantilise les malades, leurs proches et les professionnels.

Egalité

Quelle égalité pour les malades? Ils se trouvent en position de faiblesse physique doublée d'une asymétrie d'information théorisée par les économistes. Contrairement aux apparences, il y a dans tout contact médical des moments où le malade peut parler d'égal à égal avec le médecin. Au début, un temps d'écoute pour les plaintes spontanées donne parfois de précieux indices. Au cours de la démarche médicale proprement dite, il n'y a pas d'égalité: le médecin domine. Puis l'égalité revient au moment de la décision, surtout délicate. Au médecin d'expliquer, au patient le dernier mot. Dans ce cas typique de relations de spécialistes à profanes, toutes les attitudes se rencontrent et les laisser s'exprimer en connaissance de cause nous ramène à la liberté.

Solidarité

Vertu éminemment collective, elle semble parfaitement contradictoire avec l'idée de liberté. Ne tournons pas autour du pot: la solidarité est d'abord financière. Tout le monde doit avoir accès à des soins optimaux grâce à l'assurance maladie invalidité. En Belgique, cela marche encore assez bien, mais au prix de beaucoup d'entorses à la liberté et à l'égalité. Historiquement, la solidarité a été l'oeuvre de mouvements mutuellistes. Mais aujourd'hui, les mutuelles s'incrustent, se mêlent de tout et monopolisent les données médicales de leurs affiliés. Personne ne s'étonne de leur rôle dans la vaccination Covid-19, alors que les médecins et les services hospitaliers se voient tenus à l'écart.

Trois petits mots et que d'ambiguïté entre eux!

Prochain épisode: la fonction de l'argent dans les soins de santé.

Nous sommes pris entre des contraintes physiques et des mots. Le langage véhicule à la fois des arguments critiquables et des forces inconscientes. Cet aspect non rationnel des relations humaines a été occulté par la croyance en la raison sans limites, même si des penseurs n'ont cessé d'y réfléchir. Mais comment faire dès lors que langage et pensée restent les seules armes à notre disposition pour en déjouer les pièges? Les mots clés de la politique n'y échappent pas. La préface d'un petit bijoux de livre "Qu'est-ce que la politique?" de Julien Freund (Points, éditions Sirey, 1965), commence ainsi: "Tout conspire de nos jours à masquer la nature véritable du politique. La tradition platonicienne, le prestige de la science, l'apparente autorité des intellectuels, l'emprise toujours plus manifeste des technocrates ou même la vogue des écoles ou instituts de Sciences politiques tendent à faire croire qu'elle est devenue désormais un pur objet de connaissance et que son développement dépendrait à l'avenir presque exclusivement de l'analyse et de la recherche scientifique."Autrement dit, la politique serait une affaire de professionnels et de spécialistes, si vous n'en êtes pas, circulez, contentez-vous de voter. Depuis lors, le populisme, le complotisme, l'illibéralisme et le sensationnalisme sont passés par là. Toujours dans l'optique de cette série, réfléchir aux rapports de savoirs et de pouvoirs d'un point de vue non spécialisé, je vous propose d'examiner le devenir de trois mots clés de nos démocraties, liberté, égalité, solidarité, dans la pratique médicale. LibertéLe libre choix du malade reste un pilier des soins de santé en Belgique. Certes, il y a des limites réglementaires et organisationnelles. A l'hôpital, les patients sont pris en charge par des équipes dans leur globalité. Du côté médical, la liberté se restreint de plus en plus. Mais il faut se demander dans quelle mesure en rivalisant de créativité avec nos collègues, les soignants et les gestionnaires, nous ne pourrions pas résoudre beaucoup de problèmes et retrouver des marges de manoeuvre légitimes. Car la liberté est d'abord une vertu individuelle pour laquelle chacun doit se battre avec les autres plutôt que contre eux, un défi de nature politique. Il est grand temps de s'y mettre car l'inflation de règles infantilise les malades, leurs proches et les professionnels. EgalitéQuelle égalité pour les malades? Ils se trouvent en position de faiblesse physique doublée d'une asymétrie d'information théorisée par les économistes. Contrairement aux apparences, il y a dans tout contact médical des moments où le malade peut parler d'égal à égal avec le médecin. Au début, un temps d'écoute pour les plaintes spontanées donne parfois de précieux indices. Au cours de la démarche médicale proprement dite, il n'y a pas d'égalité: le médecin domine. Puis l'égalité revient au moment de la décision, surtout délicate. Au médecin d'expliquer, au patient le dernier mot. Dans ce cas typique de relations de spécialistes à profanes, toutes les attitudes se rencontrent et les laisser s'exprimer en connaissance de cause nous ramène à la liberté. Solidarité Vertu éminemment collective, elle semble parfaitement contradictoire avec l'idée de liberté. Ne tournons pas autour du pot: la solidarité est d'abord financière. Tout le monde doit avoir accès à des soins optimaux grâce à l'assurance maladie invalidité. En Belgique, cela marche encore assez bien, mais au prix de beaucoup d'entorses à la liberté et à l'égalité. Historiquement, la solidarité a été l'oeuvre de mouvements mutuellistes. Mais aujourd'hui, les mutuelles s'incrustent, se mêlent de tout et monopolisent les données médicales de leurs affiliés. Personne ne s'étonne de leur rôle dans la vaccination Covid-19, alors que les médecins et les services hospitaliers se voient tenus à l'écart. Trois petits mots et que d'ambiguïté entre eux!