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Classiquement, on distinguait dans les formes les plus courantes de rhumatismes inflammatoires d'une part la polyarthrite rhumatoïde et d'autre part le spectre de la spondylarthrite. Ce second groupe recouvre la spondylarthrite ankylosante (maladie de Bechterew), l'arthrite psoriasique, l'arthrite entéropathique (associée à une maladie inflammatoire de l'intestin) et l'arthrite accompagnée d'une uvéite. Ces quatre entités ont été regroupées sous le vocable de spondylarthrite parce que, en dépit d'un certain nombre de différences, elles présentent aussi des caractéristiques cliniques communes, à savoir principalement une atteinte de la colonne vertébrale en combinaison avec celle des (grandes) articulations périphériques et tendons des membres inférieurs. La polyarthrite rhumatoïde, au contraire, se caractérise par des lésions au niveau des petites articulations des mains et des pieds. " Cette classification, avec la polyarthrite rhumatoïde d'un côté et la spondylarthrite de l'autre, tient largement la route", précise le Pr Elewaut. " La majorité des patients qui souffrent de polyarthrite rhumatoïde présentent des auto-anticorps, ce qui démontre que le mécanisme sous-jacent est lié à l'immunité acquise. Ces auto-anticorps ne se retrouvent par contre dans aucune des maladies désignées par le terme de spondylarthrite, dont le mécanisme d'apparition est plutôt lié à l'immunité innée. Cela dit, il arrive que nous ne retrouvions pas d'auto-anticorps chez des patients dont le tableau clinique semble par ailleurs suggérer clairement une polyarthrite rhumatoïde... et ce n'est pas un constat anodin, car la distinction entre les sujets avec et sans auto-anticorps se reflète dans la réponse au traitement. Lorsqu'on parle de polyarthrite rhumatoïde, il existe donc en réalité déjà deux groupes de patients." " Dans le cas de la spondylarthrite, la situation est beaucoup plus complexe", enchaîne le Pr Van den Bosch. "Tous ces patients peuvent, à un moment donné, être victimes d'une inflammation des articulations du dos ou des articulations périphériques ou d'une tendinite ; chez certains vient en outre s'y ajouter un psoriasis. Nous avons appris entre-temps à ne plus vouloir appliquer sur toute la ligne une division stricte en quatre maladies. Nous adaptons notre stratégie en fonction des plaintes qui prédominent à un point dans le temps ( les maux de dos, les problèmes au niveau du tendon d'Achille, l'atteinte cutanée...). Nous savons en effet que, dans les grandes lignes, la clinique prédit la réponse thérapeutique. Grâce à l'IRM, nous sommes aussi en mesure de diagnostiquer les lésions rachidiennes suggérant une spondylite à un stade beaucoup plus précoce... mais nous remarquons malgré tout que cette approche ne nous oriente pas toujours vers le traitement le plus efficace." Un petit retour dans le temps peut aider à mieux comprendre comment la rhumatologie trouve peu à peu son chemin, explique le Pr Van den Bosch. " Il y a une quarantaine d'années, tous les patients avec des articulations gonflées et douloureuses se voyaient coller sans distinction le diagnostic d' "arthrite". La spondylarthrite ankylosante était considérée comme une polyarthrite rhumatoïde du dos." " Et puis il y a eu l'avènement du méthotrexate. Il s'agit d'un médicament relativement bien étudié dans la polyarthrite rhumatoïde, mais qui n'a fait l'objet que de quelques travaux de petite ampleur dans l'arthrite psoriasique... et pourtant, les recommandations le mentionnent pour le traitement de cette dernière. Son faible coût et sa facilité d'utilisation pour les rhumatologues y sont certainement pour quelque chose, mais le fait est que son efficacité dans cette indication est controversée." " Ensuite, ce sont les anticorps monoclonaux anti-TNFa qui ont fait leur apparition. À ce moment, on a commencé à voir çà et là émerger l'idée - erronée - qu'il n'était plus vraiment important de poser un diagnostic précis en rhumatologie. Les inhibiteurs du TNFa permettaient en effet de traiter la polyarthrite rhumatoïde, l'arthrite psoriasique et la maladie de Crohn. Entre-temps, la recherche fondamentale nous a appris pourquoi: des anomalies des voies de signalisation du TNFa sont une caractéristique commune à ces trois maladies." " Petit à petit ont été développés de nouveaux traitements contre la polyarthrite rhumatoïde, qui permettaient d'obtenir des résultats comparables à ceux du blocage du TNFa , dont les inhibiteurs IL6, les inhibiteurs de l'activation des lymphocytes T et les anti-lymphocytes B. Avec à l'esprit l'action très large du blocage du TNFa , on a testé ces médicaments dans les maladies appartenant au spectre de la spondylarthrite, comme la spondylarthrite ankylosante ou l'arthrite psoriasique... et quelle ne fut pas la désillusion des chercheurs en découvrant qu'ils n'avaient aucun effet dans ces indications! À l'inverse, les inhibiteurs IL17 donnaient de bons résultats dans la spondylarthrite, mais pas du tout dans la polyarthrite rhumatoïde." " Aujourd'hui, nous avons les inhibiteurs JAK, qui ont à nouveau une action très large sur les différentes formes d'arthrite sans qu'on sache encore très bien pourquoi. L'explication pourrait être la même que pour le blocage du TNFa : peut-être plusieurs maladies rhumatoïdes ont-elles en commun des anomalies de la voie JAK." " Nous n'avons pas à l'heure actuelle d'explication concluante pour un certain nombre d'observations, mais cela ne signifie pas que nous pouvons simplement les ignorer", souligne le Pr Elewaut. "Prenez par exemple les patients qui présentent à la fois un psoriasis et des plaintes articulaires. Certains souffrent surtout du dos, d'autres plutôt des articulations périphériques. Nous savons que les inhibiteurs IL23 sont efficaces contre l'atteinte des articulations périphériques et les lésions cutanées, mais pas contre les problèmes de dos. Lorsque nous prescrivons un traitement, il n'est donc pas question de mettre tous les patients qui souffrent d'arthrite psoriasique dans le même sac!" " À plus long terme, nous devrons évoluer vers une pratique clinique où nos décisions thérapeutiques reposeront (aussi) sur des marqueurs immunologiques. Des données de littérature de plus en plus nombreuses donnent à penser que l'analyse du tissu articulaire peut nous aider à identifier précisément ce qui coince sur le plan immunologique chez un patient donné. Des marqueurs devraient nous permettre un jour de personnaliser les traitements, comme cela se fait déjà très largement dans le domaine de l'oncologie, mais il subsiste actuellement des obstacles techniques. Réaliser une biopsie de l'articulation sacro-iliaque, par exemple, est très délicat. La quête de solutions se poursuit et, en attendant, nous nous débrouillons avec la clinique et les résultats de l'imagerie..."