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L'exemple de la conduite automobile illustre bien le rôle des fonctions exécutives. Lorsqu'il fait beau et que la route est dégagée, un conducteur aguerri arrive à son lieu de destination en ayant conduit sur un mode automatique. Généralement, il lui sera d'ailleurs difficile de fournir des détails sur son trajet, car c'est à peine s'il se souviendra d'être passé à tel ou tel endroit, de s'être arrêté à tel ou tel feu rouge. Imaginons maintenant que la route soit glissante et plongée dans une semi-obscurité. Le conducteur doit alors être beaucoup plus attentif afin de sortir rapidement de ses routines d'action en cas de problème. Ainsi, s'il discerne un enfant faisant mine de se précipiter pour traverser la route alors que le feu est au vert pour les voitures, il reprendra le contrôle conscient de la marche de son véhicule et appuiera sur la pédale de frein en s'assurant qu'il peut ralentir en toute sécurité. Il sera donc sorti du mode automatique (j'appuie sur l'accélérateur quand le feu est au vert) pour faire appel au système exécutif et, en particulier, à une des fonctions qui le composent : la flexibilité, laquelle se traduit en l'occurrence par un changement du schéma d'action. Directeur de recherches du FNRS au sein du GIGA-CRC et de l'Unité de neurospychologie de l'Université de Liège, le professeur Fabienne Collette nous fournit un autre exemple mettant en jeu une fonction exécutive : l'inhibition. " Admettons que vous gariez votre voiture en stationnement interdit durant deux minutes pour décharger un colis", dit-elle. " Lorsque vous revenez à votre véhicule, un policier est en train de vous verbaliser. Votre premier comportement pourrait être de l'agresser verbalement parce que vous vous estimez victime d'une injustice. En général, vous allez plutôt inhiber ce comportement inapproprié, expliquer calmement la situation et vous excuser dans l'espoir de faire sauter votre procès verbal. "Les fonctions exécutives sont multiformes, ainsi que le soulignait en 1997 Patrick Rabbit, de l'Université de Manchester, dans son approche théorique de la question. Tantôt elles concourent à la formulation d'un but, à la planification et au choix des séquences de comportement à adopter pour l'atteindre, à la comparaison de l'efficacité de différentes stratégies, à la mise en oeuvre du plan sélectionné jusqu'à son accomplissement final, à son amendement éventuel en cas d'échec. Tantôt elles participent à la recherche consciente d'informations spécifiques en mémoire ou à l'allocation des ressources attentionnelles permettant le passage d'une séquence de comportement à une autre mieux en phase avec les exigences de l'environnement. Tantôt encore elles coordonnent la réalisation simultanée de deux tâches, font obstacle à la mise en oeuvre de comportements inappropriés, détectent des erreurs et les corrigent. Toujours selon Rabbit, elles contribueraient également au maintien de l'attention soutenue sur de longues périodes de temps. De la sorte, elles rendraient possible l'exercice d'un contrôle élevé sur le déroulement de séquences de comportements prolongées. Probablement les fonctions exécutives ne peuvent-elles être assimilées à l'" intelligence ", d'autant que celle-ci demeure un concept brumeux à la définition incertaine, mais elles constituent assurément les supports essentiels des comportements dits intelligents, à telle enseigne que certains auteurs les assimilent au facteur g, sorte de dénominateur commun, réel ou factice (les avis divergent), à l'ensemble de ces comportements. " Les réseaux cérébraux impliqués dans la résolution de tests de Q.I. ou dans la réalisation de tâches sollicitant les fonctions exécutives se recouvrent très largement, commente Fabienne Collette. Il y a manifestement un substrat biologique commun. "Toutefois, dès les années 1930, l'Américain David Wechsler, concepteur des tests de Q.I. les plus utilisés, se référait à l'existence de " facteurs non intellectuels de l'intelligence ", telle la motivation ou les émotions. Dans sa théorie des marqueurs somatiques, Antonio Damasio, de l'Institut pour l'étude neurologique de l'émotion et de la créativité à l'Université de Californie du Sud, abonde dans ce sens, montrant que les capacités émotionnelles constituent un élément non négligeable pour l'efficacité des processus de raisonnement et de prise de décision. Bref, si les fonctions exécutives sont primordiales pour la planification d'une activité, la prise de décision, l'inhibition d'informations non pertinentes ou encore la définition de stratégies, elles ne font pas cavalier seul. Sur la base d'études initiales ayant trait à des patients atteints de lésions au niveau des lobes frontaux, il fut suggéré que les fonctions exécutives siégeaient dans le cortex frontal. Par la suite, il apparut que cette approche était trop restrictive. " D'une part, explique Fabienne Collette, tous les patients frontaux n'ont pas des troubles exécutifs, cependant que d'autres dont les lésions cérébrales se situent ailleurs peuvent en présenter. D'autre part, les progrès des techniques d'imagerie cérébrale ont permis d'explorer les substrats neuroanatomiques des fonctions exécutives chez des sujets sains : il en ressort qu'il faut raisonner en termes de réseau. "En effet, des travaux menés en 2005 par la chercheuse de l'ULiège ont clairement démontré que diverses tâches exécutives destinées à évaluer l'inhibition, la flexibilité mentale et la mise à jour de données étaient le plus significativement associées sur le plan statistique avec l'activation de régions pariétales impliquées notamment dans l'orientation de l'attention et, à un degré un peu moindre, avec l'activation des régions frontales. Aussi le substrat des fonctions exécutives serait-il un réseau fronto-pariétal. En outre, des données plus récentes semblent mettre en évidence que c'est le transfert efficace de l'information entre les régions cérébrales mises à contribution qui est la clé de voûte de bonnes capacités exécutives, ce qui souligne l'importance des connexions de la substance blanche (fibres nerveuses) entre le cortex pariétal et le cortex frontal. " Dans le vieillissement normal, les capacités exécutives s'érodent, indique Fabienne Collette. Il apparaît aujourd'hui que le phénomène est lié non seulement à une perte de substance grise (neurones), notamment dans des régions frontales, mais également à une dégradation au niveau de la substance blanche qui assure la transmission de l'information. "Étant de haut niveau, chaque processus exécutif est multidéterminé : il fait appel à divers types de données - émotionnelles, mnésiques (accès à des connaissances stockées en mémoire), motivationnelles... Dès lors, toute perte d'efficacité d'un sous-processus (la mémoire de travail, par exemple) ou toute altération dans la transmission d'informations entre les sous-régions impliquées aboutit à une perte de performance du processus exécutif. De nombreux arguments permettent de soutenir l'idée que les différentes fonctions exécutives recrutent chacune, au sein du cortex frontal et du cortex pariétal, des régions relativement spécifiques. Par exemple, on a montré que l'inhibition, la flexibilité et la mise à jour de données ne faisaient pas intervenir les mêmes régions frontales. D'autres études, moins nombreuses, ont également souligné une hétérogénéité des régions pariétales activées selon les processus exécutifs mis en oeuvre.