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Dans sa volonté constamment affichée de susciter le débat entre opinions, le Centre laïque met cette fois en exergue le point de vue au sens premier du terme, en se plaçant du côté des sens et perceptions que notre cerveau en maître, non pas de conférence mais de cohérence, cherche à rendre intelligibles, même si c'est en prenant des libertés avec la réalité. Cette fabrique de la cohérence à pour nom heuristique comme l'explique Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien (qui intervient dans chaque espace sous forme de vidéo), heuristique qui se révèle avoir un impact important sur la lucidité. " Notre organe central fabrique de la réalité" explique le cocommissaire Stéphane Hauwaert, " il y a donc autant de réalités (subjectives donc) qu'il n'y a d'individus. Ces perceptions personnelles débouchent en effet sur autant de diversités de réalités, qu'il s'agit de confronter, de mettre en dialogue et en débat". Dans une muséographie flashy, très orange années 70, qui tranche volontairement avec l'aspect d'un blanc clinique et aseptisé de la Cité Miroir (normal vu les considérations hygiénistes en vigueur dans ce qui fut longtemps une piscine) qui l'accueille, l'expo (qui évoque en mieux le Scientastic muséum qui exista dans la station bourse de Bruxelles jusqu'en 2012 - scientastic.com) débute en panneaux et bornes par une présentation des cinq sens (graphiques détaillés et explications qui le sont tout autant), auxquels on ajoute la proprioception (liée à l'espace), l'équilibrioception (l'équilibre), la nociception (la douleur) ou la thermoception (à la température). Laquelle est l'objet d'une des premières expériences, elles sont nombreuses, liées au toucher et à la sensation de froid ou de chaleur. Vu les circonstances actuelles, il n'est que le goût a en pas bénéficier de soutien expérimental dans cette exposition ludique, sorte non pas de "C'est pas sorcier", mais de "C'est magique" en trois dimensions, et qui console un peu de la tenue réduite du 20e Printemps des sciences, lequel se tient chaque année dans toute la Communauté Wallonie-Bruxelles à pareille époque. Au travers de bornes, armés d'écouteurs offerts bien entendu vu les circonstances, l'on peut tester l'effet Mc Gurk qui nous "voit", à cause du mouvement des lèvres, entendre autre chose que ce qui est prononcé. On constate qu'alors la vision prend le pas sur l'ouïe, comme dans le cas où un grand vin est servi dans un gobelet en plastique qui paraît soudain moins bon, au niveau du goût cette fois. Ou encore l'effet doppler, lequel résulte dans le fait qu'une sirène de police paraît aiguë dans l'habitacle, et grave et assourdissante pour les piétons qui voit passer le véhicule. Plus intéressants encore, les biais cognitifs: résultats des stéréotypes, d'idées préconçues ou d'idéologies ; notamment, la sidération des journalistes libéraux lors de l'élection de Trump en 2016. Le syndrome du "C'était mieux avant" en fait également partie, comme le biais de confirmation en journalisme par lequel l'on ne va chercher qu'à corroborer ses convictions, le green washing (tout ce qui vient de la nature est bon) ou l'effet de halo: délaissant son Aston Martin, James Bond emprunte une toute nouvelle BMW Z3 dans Golden Eye, modèle dont les ventes grimpent immédiatement de 20%! Sans oublier l'effet "Save the date": savoir la date et l'heure plaît énormément à notre cerveau. L'expérience du thaumatrope (voir des images superposées très vite en produit une troisième) est une sorte d'hommage au phénakistiscope du Belge Joseph Plateau. Si cette expérience, comme d'autres, ont pour objet la persistance rétinienne, une autre illusion, plus spectaculaire encore, concerne la perspective: la chambre d'Ames (sans accent, car il s'agit du nom de son inventeur et pas d'une notion religieuse qui n'aurait pas sa place dans une initiative laïque) rappelle Alice au pays des merveilles: le visiteur grandissant ou rapetissant selon la place où il se situe dans cette pièce. Enfin, le cerveau en mode automatique résulte en des exemples stupéfiants: celle notamment d'un texte dont certaines lettres sont inversées, mais que l'on parvient malgré tout à lire sans mal dans la forme (le cerveau se chargeant de rectifier la cohérence) et à accepter sur le fond, puisque l'assertion énoncée (et fausse ) émane de l'université de Cambridge: un argument d'autorité semblable à l'irruption de blouses blanches dans une publicité pour dentifrice ou lessive. D'autres expériences sont proposés sur les bornes interactives: l'attention sélective démontre comment en se concentrant sur un aspect bien précis d'une scène, on en oublie des éléments qui peuvent être essentiels. Une autre illustre que si l'on doit répondre rapidement de quelle couleur est le nom gris, vert, bleu ou celui d'un autre couleur, et que ces mots s'inscrivent dans une couleur différente que celle qu'ils désignent, le cerveau à tendance à choisir la teinte que le mot énonce! Enfin, l'effet Koulechov (biais cognitif de type mnésique en langage savant) montre comment une scène, proposée par le professeur de cinéma éponyme dans les années 20, compilant successivement la vue d'une assiette de soupe, puis d'une petite fille dans un cercueil, enfin d'une femme lascivement installée sur un canapé, et chacune entrecoupée par le même plan du visage d'un acteur, voit les spectateurs percevoir chez le comédien successivement des expressions, de faim de tristesse et de tendresse. Bref, c'est la grande illusion!