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L e journal du Médecin : Pour les directions hospitalières, le système des avances (lire jdM N°2648) versées dans le cadre de la pandémie est-il assez clair? Stéphane Rillaerts, directeur général du CHR Sambre et Meuse: Nous avons encore de nombreuses interrogations sur l'affectation de ces avances. Ce système est peu opérationnel. Les autorités ont libéré ces avances sans nous expliquer les coûts que ces montants pourraient exactement couvrir. Depuis le mois de mars, nous sommes dans le brouillard complet sur les dépenses que nous pouvons réaliser et sur ce qui sera accepté ou refusé par le SPF Santé publique. Nous pouvons comprendre qu'en fonction d'une série de règles budgétaires certaines dépenses ne seront pas acceptées, par exemple, les compléments financiers que certains hôpitaux ont accordés au personnel en chômage temporaire qui ne percevait que 75% de sa rémunération. Actuellement, il est encore impossible de savoir si ces montants seront éligibles au financement. Il en va de même pour le financement d'un certain nombre de coûts des médecins et des prélèvements sur les honoraires que les médecins n'ont pas pu réaliser puisque l'activité a été suspendue. Aujourd'hui, nous ne savons pas si à un moment donné les autorités ne vont pas nous dire que ces postes ne sont pas couverts par les avances et que nous devrons dès lors les rembourser. Ce manque de clarté vous empêche-t-il de prendre des décisions pour financer certains achats ou entreprendre certaines actions? En réalité, nous prenons les décisions que nous pensons être les meilleures pour les patients. Cela entraîne une série de négociations avec le conseil d'administration et les médecins. Nous perdons un temps considérable à gérer cet aspect-là. Il aurait été bien plus simple de décider, vu la situation d'urgence, de forfaitariser tout le financement des hôpitaux en se basant sur la base historique de l'année 2019 indexée. Ce forfait unique et global aurait pu être limité à 90%. Les 10% restant auraient fait l'objet de discussion ultérieure. Avec un tel système, nous aurions pu savoir de quel pécule chaque hôpital disposait. Et nous consacrer exclusivement à la gestion de la crise. Pour l'instant, nous disposons de quelques vagues informations sur des forfaits qui seraient facturables à certaines conditions. C'est une véritable usine à gaz. Les hypothèses réalisées sur base des chiffres officieux dont nous disposons révèlent que ces forfaits couvriraient seulement 20% du montant des avances que nous avons reçues. Qu'en est-il du reste? De nombreux hôpitaux craignent de devoir rembourser ultérieurement une partie des avances perçues à l'État. Est-ce possible? Nous le craignons également. Cette crainte repose sur les mesures budgétaires qui ont été prises par le passé, et particulièrement durant la dernière législature. Le secteur hospitalier a dû économiser des centaines de millions suite à des conclaves budgétaires. Lorsque la crise sera derrière nous, il faudra bien combler le déficit public. Les soins de santé risquent à ce moment-là de passer à la caisse. Il est paradoxal d'entendre dans les médias qu'il faut respecter les soignants et les institutions de soins qui se battent contre le Covid et de ne pas informer ces acteurs des budgets dont ils peuvent disposer. Cette incertitude budgétaire pose également problème aux gestionnaires hospitaliers pour la gratification du personnel. Pouvez-vous tenir vos promesses? Lorsqu'on va voir le personnel sur le terrain, il nous demande des nouvelles des gratifications promises. Nous n'avons aucune information à fournir aux infirmiers et infirmières. Certains hôpitaux ont décidé de leur propre initiative de donner des primes au personnel. Cette décision se fait toujours dans le même brouillard financier. Il est temps que le ministre Vandenbroucke - qui a été fort ému lors de sa visite d'un service de soins intensifs - annonce qu'il libère une somme d'argent pour le personnel soignant (lire en pages 2 et 3). Ce serait un signe d'encouragement pour les travailleurs. Ils se sentiront plus soutenus que lorsqu'ils entendent des annonces qui ne sont pas suivies d'effets. Ce brouillard financier complexifie-t-il également les discussions entre les gestionnaires hospitaliers et les médecins sur les revenus des spécialistes hospitaliers? Ces discussions sont déjà complexes puisque l'activité non-Covid se poursuit partiellement à côté de l'activité Covid. Cette limitation affecte l'activité et les revenus de certains médecins. Lors de la première vague, nous sommes parvenus à trouver des solutions parce que nous avons un corps médical compliant. Ce n'est pas le cas dans toutes les institutions. Nous avons versé des avances aux médecins après avoir défini un mode de calcul. Nous avions fixé dans un accord écrit qu'en fonction du montant définitif que l'hôpital percevra des autorités les médecins devront peut-être rembourser une partie des sommes avancées à l'hôpital. Mettre ce mécanisme sur pied a demandé des heures de négociation. Dans cette deuxième phase de la crise, le corps médical a déjà prévenu qu'il ne veut plus être traité de la sorte. L'incertitude est trop grande. Elle est contreproductive. Certains médecins bénéficieront du "droit passerelle" parce que leur niveau d'activité est suffisamment bas, d'autres n'y auront pas droit. Cette situation crée une forme de tension entre les gestionnaires et les médecins sur l'attribution des montants financiers. Lire également Monsieur Vandenbroucke, et si vous décidiez d'aider les hôpitaux? , Stéphane Rillaerts, Le Soir du 29 octobre.