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La pandémie du coronavirus et le confinement ont charrié moult inquiétudes qui ont engendré du stress et de l'anxiété. Cette émotion est au coeur des travaux menés depuis une dizaine d'années par le Pr Alexandre Heeren de l'Institut de recherche en sciences psychologiques (Ipsy) et de l'Institute of Neurosciences (IONS) de l'UCLouvain. Ses travaux viennent d'être récompensés par la Stress and Anxiety Research Society qui lui a attribué le Star Early Career Award1 distinguant chaque année un scientifique pour sa contribution, théorique et expérimentale, à la compréhension des mécanismes psychologiques, biologiques et sociaux liés au stress et à l'anxiété. Cette récompense vient saluer la façon dont Alexandre Heeren a modélisé les processus psychopathogènes à l'origine de l'anxiété. En appliquant la théorie des graphes à la psychologie, il revisite les modèles de l'anxiété et envisage d'interagir sur les mécanismes qui l'entretiennent. " Les cliniciens le font naturellement. Ils peuvent mesurer individuellement chacun des marqueurs de l'anxiété... Par contre, ils n'ont pas d'outils pour quantifier comment le système fonctionne. C'est ce que nous sommes en train de mettre au point. Des doctorants développent des outils qui devraient permettre d'établir une sorte de carte des mécanismes impliqués dans les troubles anxieux. En introduisant plusieurs variables (paramètres rapportés par le sujet lui-même, marqueurs biologiques, économiques, imagerie cérébrale, conductance cutanée...), on ne surveillerait pas simplement les seuils mais l'ensemble du système, comment ces paramètres s'interconnectent. Ce modèle computationnel propre à chaque patient permettrait d'orienter au mieux le traitement." " Pendant longtemps ", poursuit-il , " on cherchait des causes uniques communes aux troubles anxieux. Ici, on fait l'inverse : on essaye d'avoir le plus de variables possible et de voir comment elles se renforcent l'une l'autre. En identifiant le processus le plus influent chez une personne donnée et en agissant dessus, les autres processus ne sont plus renforcés. On utilise les big data pour avoir un profil personnalisé et un guide d'interventions permettant de rééquilibrer ces systèmes en tenant compte des émotions, comportements, traits de personnalité... " Depuis le début du confinement, Alexandre Heeren participe à une étude internationale et interdisciplinaire sur les relations entre la communication dans les médias (infodémie) et les comportements et l'anxiété 2. à l'UCLouvain, cette étude est menée par le Pr Grégoire Lits (journalisme), Louise-Amélie Cougnon (linguistique) et le Pr Bernard Hanseeuw (neurologie). Les mesures sont réalisées en plusieurs vagues et les cohortes seront suivies jusqu'en octobre. " Les premières données montrent déjà des relations importantes entre la façon dont l'information est véhiculée par la presse ou le Conseil national de sécurité et le niveau d'anxiété ressenti par la population ", indique-t-il. Pour les chercheurs, le confinement est un champ de recherche inédit. " En sciences, normalement, on a des points de repères (il existe des modèles de quarantaine mais assez brefs). Ici, très peu d'éléments pouvaient nous laisser prévoir ce qui allait se passer en termes de santé mentale ou d'anxiété et de dépression chez le citoyen pendant le confinement. " Dans nos sociétés contemporaines, l'anxiété n'a pas bonne presse or, c'est une émotion utile et adaptative, explique le psychologue. " Mais, contrairement à la peur, elle survient par rapport à une catastrophe qui pourrait arriver, elle repose sur l'incertitude. Or, nous sommes rarement exposés à un tel niveau d'incertitude. " En général, une légère élévation de l'anxiété a un effet bénéfique : " On prend de meilleures décisions, on planifie mieux les choses. Ici, beaucoup ont été organisés et créatifs pour imaginer des alternatives, des scénarios différents. L'anxiété est désagréable, certes, mais elle nous permet de rebondir, de nous réajuster. En revanche, si le niveau initial d'anxiété est déjà relativement important, l'effet est délétère : on développe un trouble anxieux, les émotions sont excessivement exacerbées, l'effet adaptatif ne joue plus. Ainsi, en déconfinement, on voit des personnes tétanisées, qui ne veulent plus aller travailler... "à l'instar de ses collègues, Alexandre Heeren craint une vague de dépression : " Sur le plan de la santé mentale, le pire est à venir. Au début, l'anxiété a eu un effet bénéfique, elle nous a rendu flexibles, nous a fait faire des choses qu'on ne faisait pas avant... A l'inverse, si c'est chronique, comme actuellement la peur du déconfinement, des conséquences économiques etc., tous ces éléments génèrent des préoccupations importantes qui sont au coeur de l'anxiété parce que d'une part, c'est de l'incertitude et trop d'incertitude génère beaucoup plus d'anxiété au long cours, et d'autre part, cela induit des problèmes de sommeil, de consommation d'alcool, d'irritabilité... Et donc des conséquences sur la famille, sur les addictions, des dépressions secondaires... Tous ces aspects vont surgir maintenant. " En avril, l'équipe de l'enquête sur l'infodémie a ainsi pris part à un rapport d'expertise académique destiné aux décideurs politiques. " Notre message était qu'il fallait clarifier le plus possible les communications, parce que la façon dont on évoque certains problèmes dans les médias a un impact immédiat sur le niveau d'anxiété et de stress ", conclut le Pr Heeren.