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L'hypothèse de l'existence de bactéries endormies a été formulée dès les années 1940, lorsque le médecin irlandais Joseph Bigger a observé que des colonies bactériennes reprenaient leur développement sur un substrat nutritif après avoir été (supposément) tuées par un antibiotique. Les spécialistes ont ainsi progressivement pris conscience de l'impossibilité de détruire tout à fait une population de bactéries : quel qu'en soit soit le type, il semble quelle générera toujours un certain nombre de cellules dites persistantes ou persister cells, pour utiliser le terme imaginé par Joseph Bigger." Cela ne pose aucun problème tant que l'organisme possède des défenses normales, car un système immunitaire en bonne santé est parfaitement capable de se débarrasser de ces bactéries persistantes ", explique Dorien Wilmaerts, bio-ingénieur au laboratoire Jan Michiels (VIB-KULeuven). " Il en va tout autrement chez les patients à l'immunité compromise, par exemple à cause d'un cancer ou du VIH, puisque ces bactéries peuvent alors provoquer une infection persistante localisée dans des foyers que le système de défense a du mal à atteindre, comme c'est le cas avec la tuberculose, la mucoviscidose ou certaines infections urinaires. "Après s'être un temps fait oublier, le phénomène des cellules persistantes est revenu sur le devant de la scène avec le développement de la génétique moléculaire, qui a permis de poser le lien entre une mutation bien précise et l'abondance de cellules persistantes dans une souche bactérienne, retrouvée par la suite dans des échantillons isolés chez des malades chroniques. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Dorien Wilmaerts cherche à examiner avec ses collègues comment ces cellules s'y prennent pour se mettre " en veilleuse " et pour se réveiller, puisque des mécanismes élucidés jusqu'au niveau moléculaire représentent évidemment aussi une cible thérapeutique potentielle.Dorien Wilmaerts et ses collègues se concentrent sur un peptide présent dans la membrane bactérienne, baptisé HokB. Celui-ci peut former des dimères qui entraînent la formation de pores dans la membrane et laissent échapper l'ATP, la source d'énergie cellulaire par excellence ; on se retrouve alors avec une bactérie largement privée d'énergie, qui sombre dans une sorte de somnolence et cesse de se multiplier. " Un véritable piège pour les antibiotiques, dont la majorité n'ont prise que sur les bactéries métaboliquement actives ", explique Dorien Wilmaerts. La capacité à produire le peptide HokB diffère d'une bactérie à l'autre au sein d'une même population à cause d'une variabilité de l'expression génique ; seules celles qui en produisent suffisamment sont de bons candidats pour devenir des cellules persistantes. " La réalité est toutefois encore plus compliquée ", souligne la chercheuse. " Au laboratoire, nous avons nous-mêmes introduit du peptide HokB dans une population d'Escherichia coli dans le but de stimuler la production de cellules persistantes... mais 1% seulement ont effectivement développé le phé-notype persistant. Nous ne savons toutefois pas encore quels sont les divers facteurs qui entrent en jeu. "Tandis que les bactéries métaboliquement actives sont impitoyablement abattues par les antibiotiques, les cellules persistantes sommeillent en attendant des jours meilleurs. Elles ne peuvent toutefois pas non plus produire trop de HokB sous peine de s'endormir pour ne plus jamais se réveiller.Dorien Wilmaerts et ses collègues ont également bien progressé dans leurs travaux autour des mécanismes qui président au réveil des cellules persistantes, et qui repose en substance sur le processus inverse : les dimères sont scindés, une protéase se charge de dégrader le HokB, les pores disparaissent et la cellule se remet à produire de l'ATP, qui ne s'échappe plus. On ignore toutefois encore quel est précisément le déclencheur du réveil des cellules persistantes ; il pourrait s'agir d'un changement dans l'environnement de la cellule." Nous nous sommes focalisés ici sur un seul peptide, mais le mécanisme d'endor- missement et de réveil des cellules persistantes est indubitablement bien plus complexe ", précise encore Dorien Wilmaerts. " La disparition des pores n'explique par exemple pas, en soi, pourquoi le métabolisme cellulaire se remet en marche. Cela dit, là aussi, des pistes se dessinent. Nous avons ainsi identifié plusieurs gènes impliqués dans le réveil de la cellule ; ceux qui touchent à la chaîne de transport des électrons, par exemple, semblent importants pour réactiver la production d'énergie. Nous pourrions nous pencher sur leur expression afin de déterminer s'il est possible de la stimuler à l'aide de certaines substances. Cela forcerait les cellules persistantes à sortir de leur léthargie, ce qui les rendrait à nouveau sensibles aux antibiotiques et nous permettrait donc de combattre les infections tenaces chez les patients à l'immunité affaiblie. De quoi ouvrir de belles perspectives pour la transposition de nos recherches fondamentales à la réalité clinique... "" Nous sommes l'un des premiers groupes de recherche à nous intéresser à l'endormissement et au réveil des cellules persistantes ", ajoute-t-elle encore. " Ce n'est encore qu'un début, et nous espérons que nos travaux pourront inspirer d'autres équipes à poursuivre l'exploration de ce mécanisme sous des angles différents. "