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Être médecin aujourd'hui implique bien plus que la simple relation médecin-patient, explique Ilse Dapper : "Aujourd'hui, on travaille généralement au sein d'une équipe. Cela nécessite un certain nombre de compétences que nous n'avons pas acquises pendant notre formation. J'ai vu des collègues autour de moi s'y enliser et je suis allée chercher comment le monde non médical aborde ces questions." Elle s'est plongée dans le leadership, notamment en suivant des cours à la Harvard Business School, et a commencé à organiser des ateliers pour ses collègues médecins il y a six ans, en transposant les connaissances acquises dans le monde médical. Elle accompagne aussi notamment des organisations hospitalières et des associations de médecins. Depuis peu, elle se consacre à plein temps à sa propre entreprise, BDapper. Le leadership et l'auto-leadership sont des compétences essentielles, selon Ilse Dapper: "Ce sont des aptitudes que tout médecin devrait posséder - en fait, tout le monde. Cela vous permet non seulement de mieux faire votre travail, mais aussi de devenir une meilleure personne." Pour développer ces aptitudes, elle a élaboré un programme en six étapes. "Elles sont en anglais, ce qui sonne juste un peu mieux." (rires). La première étape: arrêtez-vous et réfléchissez à ce que vous faites et où vous voulez aller, avec votre cabinet par exemple. C'est ce qu'Ilse Dapper appelle "Be smart": "Il est bien sûr beaucoup plus facile de continuer à avancer, sans se demander si l'on est sur la bonne voie. Mais vous pouvez soudain vous rendre compte que l'échelle que vous êtes en train de gravir est posée contre le mauvais mur. Osez donc porter un regard critique sur vous-même et sur l'organisation dans laquelle vous travaillez." Contrairement à la gestion - qui consiste à régler les problèmes ici et maintenant - le leadership est axé sur l'avenir. "C'est ce que j'appelle un 'traitement' pour former une équipe, amener les gens dans votre histoire, travailler ensemble pour atteindre un objectif. Et pour tirer le meilleur des autres, ainsi que de vous-même." Des études montrent qu'un bon leadership entraîne une plus grande satisfaction au travail et de meilleurs résultats. "Dans les associations de médecins qui ne s'occupent pas du tout de leadership, on constate souvent qu'un véritable groupe ne se forme jamais, qu'il y a beaucoup de conflits, que les gens perdent leur satisfaction au travail. Par contre, les équipes qui sont bien gérées ont une vision et des objectifs clairs, ce qui se traduit également par des accords de travail concrets et clairs - et donc moins de conflits - mais aussi par une plus grande satisfaction des patients et moins de burn out." Le leadership est également important dans un monde qui évolue rapidement et où les crises se succèdent. "Il garantit que vous puissiez considérer le changement et la crise comme une opportunité de réaliser des ajustements, en commençant par votre propre comportement." Le leadership commence par l'auto-leadership et cela commence par se regarder soi-même. Be aware of yourself. Une fois encore, Ilse Dapper utilise des métaphores médicales: "Pour élaborer un bon 'traitement' pour votre équipe ou votre organisation, il faut poser le bon 'diagnostic' et comprendre les 'symptômes'. Mais le regard que vous portez sur votre environnement est fortement influencé par toutes sortes de croyances, de préjugés et d'hypothèses, souvent inconscients. Comme Chris Argyris l'a démontré dans les années '80, ces dernières permettent de déterminer les données que vous examinez, et ces données sélectives conduisent à leur tour à de nouvelles croyances. Vous avez donc de plus en plus de préjugés, ce qui signifie que vous ne faites pas toujours un bon 'diagnostic'. Soyez-en conscient." En outre, trop souvent, nous ne prêtons attention qu'aux 'symptômes'. David McClelland a inventé le modèle de l'iceberg dans ce cadre: "Très souvent, nous réagissons à ce que quelqu'un dit et fait - ce qui est au-dessus de la surface, c'est-à-dire les symptômes. Et nous ne sommes pas conscients de ce qui se trouve sous la ligne de flottaison: vos valeurs, vos motivations - le 'diagnostic'.. Pour motiver quelqu'un à modifier son comportement - qu'il s'agisse d'un collègue, d'un patient ou même de vous-même - vous devez comprendre ses motivations et valeurs." Sachez également que vos valeurs et vos motivations peuvent être différentes de celles d'une autre personne. Ilse Dapper se souvient d'un médecin qui, lorsque les premiers vaccins contre le covid-19 sont devenus disponibles pour les prestataires de soins, a proposé à une patiente de lui administrer rapidement un vaccin restant. "À cette époque, de nombreuses questions concernant la sécurité circulaient dans les médias et la patiente a paniqué et a refusé, ce à quoi le médecin a réagi avec colère. Derrière ces symptômes se cachent les diagnostics: le patient accorde une grande importance à l'information et à la liberté de choix. Le médecin, quant à lui, était animé par l'ambition d'obtenir un bon résultat et par le désir d'offrir de bons soins à sa patiente. S'il avait été conscient de tout cela, il aurait pu prendre le temps de lui fournir plus d'informations." Ilse Dapper appelle ce qui vous pousse à agir d'une façon ou d'une autre l'internal self awareness. "Il y a aussi le monde des affaires, il existe l'évaluation à 360°, où votre supérieur et vos collègues vous donnent un feed-back. Une telle évaluation est encore peu établie dans le monde médical. En tant que médecin, il peut être intéressant de rechercher dans votre environnement de travail des personnes qui veulent vous faire évoluer, mais qui osent vous donner un feed-back honnête, ce qui vous permet de ne pas faire l'autruche et d'aller de l'avant." La prochaine étape est: be brave and be proactive. Pensez à la pointe de l'iceberg, dit Ilse Dapper: "Quelqu'un fait ou dit quelque chose, vous y réagissez, et c'est ainsi que commence un cercle vicieux. Si vous êtes conscient des diagnostics en jeu, vous pouvez éviter ce piège et choisir consciemment la manière dont vous allez réagir. Prenons le cas d'un collaborateur à l'accueil qui est de mauvaise humeur, pour qui tout ce qu'on lui demande est trop. Il serait tout à fait normal que vous deveniez aussi de mauvaise humeur. Être proactif signifie que vous êtes conscient de la mauvaise humeur du collaborateur, mais que vous choisissez vous-même comment réagir: l'ignorer, vous mettre en colère... ou accorder à cette personne une attention sincère et authentique." Stephen Covey parlait du circle of influence : nous n'influençons réellement qu'un nombre limité de choses. "Cependant, si vous êtes proactif au niveau de ce sur quoi vous avez une influence, comme votre propre comportement, vous constaterez que ce cercle d'influence s'agrandit considérablement", explique Ilse Dapper. "À long terme, cela vous permettra d'influencer des choses sur lesquelles vous pensiez initialement ne pas avoir d'influence, comme la culture d'un service ou l'expérience du patient. Et c'est cela le leadership. Be brave and inspire the other." Outre le self awareness, il y a aussi le social awareness: be aware of your environment. Votre équipe est-elle composée d'un certain nombre d'individus ou s'agit-il d'un groupe soudé? Les membres de l'équipe partagent-ils les mêmes valeurs? Qu'est-ce qui les motive? Une équipe très diversifiée comporte plus de risques de conflits, dit Ilse Dapper, mais en même temps: in sameness we connect, in diversity we grow. "Un bon leadership consiste à reconnaître les motivations sous-jacentes en soi et en chacun des membres de l'équipe et à rechercher une situation win-win. Dans laquelle chaque membre de l'équipe peut briller." Et comment faire en sorte que votre équipe devienne la meilleure équipe possible? "Après avoir analysé les motivations, vous avez non seulement une idée des points forts de l'équipe, mais aussi de ses points faibles. Que négligeons-nous en tant que groupe? Pensez par exemple aux relations publiques externes, à la gestion du personnel... Et que voulons-nous faire à ce sujet? Be brave for your team ...".En outre, il est également important de comprendre les valeurs de l'organisation dans son ensemble: "En effet, celles-ci doivent correspondre aux valeurs des membres de l'équipe si l'on veut que les gens restent motivés et fassent un effort supplémentaire." Et enfin, une équipe qui fonctionne bien et efficacement, dans laquelle tous les membres peuvent briller, a un effet contagieux sur les autres équipes et les autres organisations - et peut-être même bien au-delà. Le leadership devient alors comme une pandémie d'ondes positives. "Be contagious", conclut Ilse Dapper.