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Rien que le nom de "Spoutnik" (littéralement "le voyageur"), est une référence ironique au fait que le Spoutnik fut le premier satellite humain lancé autour du globe, en 1957, établissant la suprématie soviétique dans l'espace pour de longues années, en fait jusqu'aux premiers pas de l'homme sur la Lune, 12 ans plus tard. Une course gagnée de justesse, peut-être une semaine ou deux. De même, Poutine lance son annonce de manière impromptue. Il déclare, impassible, que le vaccin fournit assez d'anticorps tout en assurant une "médiation cellulaire stable". Avant de passer la parole à son ministre de la Santé, Poutine ajoute qu'il sait "personnellement" que le vaccin fonctionne bien, car une de ses filles fait partie des cobayes. Il faut croire que cela fait partie de l'âme russe : en 1768, pour donner l'exemple lors d'une campagne d'immunisation, l'impératrice Catherine faisait inoculer la variole à son ?ls Paul. " Elle a eu une petite poussée de fièvre à 38 °C le premier jour, les résultats sont excellents", souffle Poutine, le masque impassible. "C'est un formidable coup de bluff", jauge Jean-Michel Dogné, professeur de pharmacie à l'UNamur et expert chef de service de la sécurité des vaccins auprès des agences belge et européenne de sécurité des médicaments. "Poutine ne ment pas, mais joue sur les mots. Quasi le monde entier utilise le système des trois phases de tests pour un médicament. Seule la présentation et la publication de résultats probants sur des milliers de patients volontaires permet de prétendre à aboutir à mettre un produit sur le marché. Aucune transparence de ce type avec ce vaccin. Le système du vaccin russe présenté est différent. On ne parle pas de phase 3 avant l'autorisation de mise sur le marché, mais après dans ce cadre (prévue sur des milliers d'individus). Un seul opérateur est aux commandes, c'est l'état lui-même, via son Institut Gamaleya. Mais la réalité reste que deux groupes de 38 adultes volontaires et " en bonne santé " ont reçu une dose de Spoutnik V, à Moscou et Saint-Petersbourg. Mais on n'en sait guère plus".Si le directeur de recherche Denis Logounov, dans une interview à la revue... "Spoutnik", insiste sur le fait "qu'il ne s'agit pas d'une vaccination massive forcée. Chacun prend sa décision" et qu'il y aura une application qui permettra le suivi des volontaires et des hôpitaux où le vaccin sera proposé, c'est que l'image à projeter doit être définitivement positive. "Il y aura un relevé scrupuleux de tous les effets indésirables. Chaque volontaire pourra faire un petit rapport pour raconter comment se déroule la vaccination", poursuit Logounov. Le même donne des détails manifestement destinés à allumer un "contre-feu" au scepticisme général vis-à-vis du sommet russe : "La deuxième phase, qui évalue non seulement la sécurité, mais également l'efficacité. À ce stade, l'efficacité des vaccins est évaluée par leur immunogénicité. Autrement dit, dans la phase combinée 1-2, vous déterminez la sécurité et l'immunogénicité par une variété de paramètres. Au cours de la troisième phase seulement, l'efficacité épidémiologique est évaluée. Vous devez évaluer dans quelle mesure l'échantillon vacciné est plus protégé que ceux qui n'ont pas été vaccinés. Je voudrais également ajouter que les essais cliniques ne peuvent être lancés sans avoir terminé avec succès le programme obligatoire de recherche préclinique. Il s'agit d'études approfondies sur la sécurité et l'immunogénicité chez les animaux, sans lesquelles vous ne pouvez pas passer aux humains. Et tous les paramètres sont nécessairement étudiés sur un grand nombre d'espèces - rongeurs, lagomorphes, singes. Tout cela, en réalité, nous l'avons fait avant que la décision ne soit prise de commencer la recherche clinique.""Avec un étude de phase 1 menée sur 76 personnes, vous n'avez pas assez de puissance pour déterminer l'efficacité clinique et ce n'est pas l'objectif de ce type de phase 1. Certes, on peut déterminer la nature de la réaction immunologique et la production d'anticorps neutralisants. Mais contribuent-ils vraiment à une réponse immunitaire efficace cliniquement et sans effets secondaires ? Rien ne permet de le dire. Les Russes annoncent une durée de l'immunité de deux ans. Mais le virus n'est apparu que fin 2019. Comment allez-vous plus vite que le temps ? En fait, à ce stade du développement d'un vaccin, il y a deux façons pour établir son efficacité. La première c'est de vacciner un 'volontaire' puis de l'exposer au virus et de voir le résultat (challenge studies). C'est évidemment à risques. C'est réalisé dans le cadre d'étude préclinique. Théoriquement, personne ne se risquerait à faire encore ainsi dans un pays civilisé au 21e siècle, même si l'idée a été émise en mars-avril dans certains caucus afin d'accélérer le processus de développement, mais a été abandonnée comme non-éthique. L'autre manière, c'est de mener une phase 3 rigoureuse et aussi sûre que possible. Comme le fait le vaccin d'Astra Zeneca, celui qui est le plus avancé, mais aussi le Moderna, aux Etats-Unis. Le vaccin russe, lui, est loin derrière dans cette course. Et une phase 3 digne de ce nom serait en cours de lancement. Mais ce coup de bluff a attiré l'attention de 20 pays qui souhaitent travailler avec ce vaccin. C'est un tour de passe-passe habile."A ce jour, 169 candidats vaccins sont en cours de développement dans le monde dont 30 sont en études cliniques parmi lesquels six ont entamé la phase 3. La place de "premier vaccin sur le marché" réclamée par Poutine est réelle (puisqu'il s'agit du premier vaccin autorisé par une autorité régulatoire)... mais largement usurpée.