...
Il est temps de reconsidérer l'inéluctabilité de la mort et d'appréhender le vieillissement comme une maladie guérissable, postulent le Pr José Cordeiro (co-fondateur de l'Université transhumaniste de la Singularité, diplômé du MIT et de l'INSEAD) et David Wood, écrivain visionnaire à succès et pionnier de l'industrie du smartphone, dans La mort de la mort. L'ouvrage est moins un livre qu'un projet socio-politique soutenu par plusieurs milliardaires de la Silicon Valley, dont Peter Thiel (PayPall), Sergey Brin et Larry Page (Google/Alphabet), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook) et Larry Ellison (Oracle). Google consacre en effet plusieurs milliards de dollars par an à la recherche sur l'immortalité et est le principal soutien de l'université de la Singularité. Biologiquement, la mort n'est pas une évidence. Celle des êtres vivants a été "inventée" par la Nature il y a environ un milliard d'années seulement par la reproduction sexuée qui demande aux porteurs des gènes de mourir pour mieux assurer leur descendance. Jusque-là, les êtres unicellulaires étaient plus ou moins immortels nonobstant la mort accidentelle face à un prédateur. Nos cellules germinales sont également potentiellement immortelles. A défaut de vivre indéfiniment, certaines espèces de plantes et d'animaux vivent extrêmement longtemps. La levure S. pombe ne vieillit quasi pas. Une algue a été découverte à Ibiza, longue de 8 km et âgée d'environ 100.000 ans. Certaines espèces d'arbres, comme le peuplier tremblant mâle, vivent 80.000 ans. Un figuier du Sri lanka a été planté en 288 avant J.C. Les hydres vivent quasi éternellement ainsi que certaines espèces de méduses si elles ne rencontrent pas de prédateurs. Certains endolithes comme les lichens vivent 10.000 ans et les endolithes marins se reproduisent seulement... tous les 10.000 ans. La praire d'Islande vit 500 ans, le sébaste de Rougheye, 205 ans, l'oursin de la mer rouge, 200 ans et la tortue boîte, 140 ans. Le requin du Groenland peut vivre 400 ans. Comment font-ils? C'est ce que les chercheurs en immortalité se promettent de découvrir. En attendant, nous devrions évoluer d'abord vers une "sénescence négligeable" qui porterait notre longévité à 200 ans puis un millénaire comme le célèbre Mathusalem et finalement, l'immortalité. "Un prix a été décerné par la Methuselah Foundation à des scientifiques qui ont réussi à prolonger la vie de souris jusqu'à l'équivalent de 180 années humaines mais l'objectif est d'arriver à 1.000 années humaines."Shin Kubota qui a étudié la méduse dite immortelle pense qu'elle offre des opportunités de recherche prometteuse pour l'être humain. Dès qu'il aura découvert comment elle s'y prend. Les vers planarias vivent presque éternellement grâce à la croissance continue de leurs télomères (enzymes dupliquant l'ADN et dont leur raccourcissement est la cause principale du vieillissement chez les humains). Un phénomène également observé chez les homards qui ne voient leur vie limitée que par les mues obligatoires de leur carapace. Une patiente célèbre, Henrietta Lacks, née en Virginie, USA, en 1920 est la première humaine à présenter des cellules biologiquement immortelles à tout le moins en laboratoire. "Les cellules cancéreuses qui portent son nom, HeLa, et qui prolifèrent anormalement vite possèdent une version active de la télomérase, qui empêche le raccourcissement progressif des télomères impliqués dans la mort des cellules (...) Les cellules cancéreuses produisent également l'enzyme télomérase pour augmenter la longueur de leurs télomères à l'extrémité des chromosomes, comme le font les cellules germinales et les cellules souches embryonnaires et pluripotentes." Une voie prometteuse pour l'accession à l'immortalité, selon les auteurs. Le vieillissement n'est qu'une énigme à résoudre et l'humain en a résolu bien d'autres, sachant que, comme l'a postulé August Weizmann au 19e siècle "la mort n'est pas inhérente à la vie mais elle fut plutôt une acquisition biologique ultérieure nécessaire au développement de l'évolution."Les auteurs identifient sept causes mortelles de sénescence des cellules auxquelles il faudra remédier: les déchets extracellulaires, la réticulation extracellulaire, les cellules dysfonctionnelles, les agrégats intracellulaires, les mutations mitochondriales, les mutations nucléaires et la perte de cellule et atrophie des tissus. Les causes du vieillissement sont au nombre de neuf, réparties en trois catégories: principales (instabilité génomique, réduction des télomères, altérations épigénétiques, perte de protéostase), antagonistes (dérégulation de la détection des nutriments, dysfonctionnement mithocondrial, sénéscence cellulaire) et intégratives (épuisement des cellules souches, altération de la communication intercellulaire). On en infère les sept "piliers" du vieillissement identifiés comme: l'inflammation, l'adaptation au stress, l'épigénétique et ARN réglementaire, le métabolisme, les dommages macromoléculaires, la protéostase, les cellules souches et régénération. Concrètement, outre l'exemple des souris ci-dessus, la manipulation des gènes du ver nématode a permis de multiplier son espérance de vie par un facteur sept, ce qui correspond pour l'humain à vivre 350 à 400 ans. Il convient selon les auteurs de considérer le vieillissement comme une maladie à traiter comme une autre. Les caisses d'assurance pourraient y investir pour améliorer les fameux QALY (années de vie gagnées ajustées à la qualité) tandis que l'industrie anti-âge deviendra vite la plus profitable du monde, devant l'industrie du médicament proprement dite. Des industriels nombreux s'activent déjà tel Craig Venter, également co-fondateur de l'Université de la Singularité, fondateur de Celera Genomics qui planche sur la bactérie synthétique Synthia. Il a synthétisé en 2016 un génome bactérien possédant seulement 473 gènes. Cynthia Kenyon, experte en vieillissement chez Calico (California Life Company, Google), a découvert que les neurones des animaux contrôlent leur longévité et qu'il suffit d'altérer certains gènes pour ralentir le vieillissement de l'animal tout entier. Le premier obstacle sur la route de ces pionniers (ou apprentis sorciers diront certains) est que les religions facilitent l'acceptation du vieillissement et l'inévitabilité de la mort. La première étape est que nous refusions l'idée de la mort comme inévitable ou même vertueuse. "La peur de la mort nous empêche de la faire disparaître, postule Thomas Pysczczynski. "Personne ne veut mourir, mais beaucoup de gens s'opposent à l'allongement de la durée de la vie humaine en inversant le processus de vieillissement." Il "suffirait" d'assurer aux futurs immortels que l'allongement de la vie se passera en bonne santé et d'apaiser leurs inquiétudes quant au fait que l'extension de la vie et contre nature ou consiste "à jouer à être Dieu". D'autres obstacles se dressent sur la route de l'immortalité comme les problèmes techniques: à chaque avancée (rallongement des télomères par exemple), on pourrait découvrir d'autres défis imprévus comme le développement de cancers ou de résistances de l'organisme lui-même. Mais n'est-ce pas le propre de la science médicale? La question du coût est sur toutes les lèvres. Sans doute ces techniques impliqueront des investissements phénoménaux mais pas forcément beaucoup plus que les 800 milliards de dollars par an dépensés dans la lutte contre la démence et certainement moins que les dépenses militaires mondiales annuelles de 7.000 milliards de dollars. Au fur et à mesure que le vieillissement sera vaincu, les coûts des maladies associées à la vieillesse baisseront. Les auteurs évaluent à 2046, l'année où le chemin vers l'immortalité va démarrer, en vertu d'une variante de la loi de Moore qui décrit les progrès scientifiques et technologiques actuels comme exponentiels (cf. le séquençage du génome). Dès la fin de la décennie 2020, l'allongement de la vie devrait commencer à faire son effet. Cette quête vers l'immortalité se fera en plusieurs étapes, la première sera d'atteindre une sénescence "modérée" qui nous conduira à vivre environ 200 ans, puis mille ans, puis, l'immortalité. "Il est probable que les personnes actuellement âgées de 50 ans et moins (ndlr: désolé pour nos lecteurs de plus de 50 ans), atteindront la 'vitesse d'évasion de la longévité' en 2029 (...) La Méthusélarité est définie comme le moment futur où toutes les conditions médicales qui causent la mort de l'homme seront éliminées et la mort ne se produira que par accident ou homicide."Les auteurs et les tenants de cette philosophie se défendent d'être des irresponsables. Éthiquement, les souffrances associées à la vieillesse (et notablement l'Alzheimer) sont bien plus inacceptables que l'idée de vivre éternellement. Par ailleurs, ils affirment que dans un premier temps, leur projet n'entraînera pas de surpopulation car la fin programmée du vieillissement permettra de lutter contre la dénatalité dans les pays riches, les premiers à bénéficier de ces nouvelles thérapies. J'ajoute que, l'immortalité pourrait correspondre à la conquête spatiale, Mars en premier, puis la galaxie puisque la longévité permet de faire des voyages intergalactiques de plusieurs milliers d'années. Les candidats au voyage sans retour videraient ainsi une Terre progressivement surpeuplée. En attendant, le "plan B" est la "cryopréservation". Plusieurs centaines de personnes fortunées sont d'ores et déjà cryogénisées dans des caissons à des températures proches du zéro absolu dans l'attente à la fois de la mort de la mort ou de la thérapie pour la maladie qu'il les a tués et, bien sûr, de techniques de réveil de l'hibernation encore balbutiantes. Là aussi, de multiples exemples animaux (certaines grenouilles et certains insectes coincés dans la glace) font entrevoir l'espoir de pouvoir réveiller les "cryopréservés" et les candidats à l'hibernation. En 2017, une petite fille est née d'un embryon cryopréservé pendant 25 ans. Le coût total de la cryopréservation s'échelonne entre 30.000 dollars (pour la seule tête) à 80.000 dollars (pour la tête et le corps), à la portée donc de la classe moyenne aisée. Les transhumanistes espèrent que leur vision obéira au processus de changement décrit dans le théorème de JSS Haldane: "C'est un non-sens. C'est un point de vue intéressant mais pervers. C'est vrai mais sans importance. Je l'ai toujours dit."