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Parisien d'origine, admirateur de Pasteur et de Cousteau, le biologiste Frank Zal a bourlingué (des États-Unis à Anvers, notamment) au cours de ses études avant de rejoindre le CNRS de Roscoff et de découvrir sur les plages bretonnes les propriétés oxygénantes de l'arénicole, petit ver des sables local. En en extrayant la molécule, ce fils d'ouvrier, devenu chef d'entreprise, se sert des propriétés oxygénantes remarquables de cet invertébré marin - l'apport du chercheur français se révélant digne de la découverte de la pénicilline selon le Pr Lantieri, pionnier mondial des greffes de visage. Dans son livre "Un trésor sous le sable", le scientifique devenu breton raconte son parcours vers les sommets de la recherche, le scepticisme, la jalousie, et jusqu'à l'espionnage auxquels il a été confronté. Le journal du Médecin lui tire les vers... du nez. Le journal du Médecin: Louis Pasteur a été une figure importante dans votre parcours, tout comme Jacques Cousteau...Pr Franck Zal: Petit, mon école parisienne se situait rue du Dr Roux, à côté de l'Institut Pasteur dont j'apercevais les laboratoires quand j'étais en classe. Par ailleurs, j'ai eu la chance de rencontrer Jacques Cousteau, il m'a fait rêver quand j'étais enfant et c'est lui qui m'a donné la feuille de route pour mon existence, en quelque sorte. Dans votre livre, vous écrivez que le principe de précaution est parfois trop prégnant... En France, ce principe est désormais inscrit dans la Constitution depuis les catastrophes des bateaux pollueurs, des marées noires de l'Amoco Cadiz notamment. Ce qui était logique. Sauf que ce principe de précaution prévu pour les catastrophes écologiques a été étendu à tous les secteurs de la société. Désormais, on n'accepte plus la prise de risque, le fait que nous soyons mortels: le principe de précaution est devenu la précaution par principe. Raison pour laquelle, lorsque vous consultez l'administration dans le cadre d'un projet, la réponse est d'office "non", car la personne en face de vous ne veut pas prendre le risque que potentiellement cela ne fonctionne pas: elle ne veut pas courir le risque, et donc souhaite se couvrir. Je prône le principe d'innovation responsable, le risque zéro est inatteignable. Dès lors, si l'on veut obtenir des résultats dans les innovations de rupture, il convient d'avancer et de prendre le risque de se fourvoyer. Or, aujourd'hui, on veut éliminer le risque, ce qui a pour conséquence de bloquer toute innovation. Au niveau de l'histoire des greffes, dans le passé, on a d'abord greffé des reins de chèvres sur des humains en échouant, mais en avançant. Lors des premières transfusions, on ne connaissait même pas le typage sanguin. Ce sont ces expériences qui ont permis de faire des avancées en médecin. La recherche française est très pauvre dites-vous, et peut être aussi trop fonctionnarisée, selon votre expérience... Lorsque je suis arrivé au CNRS, on m'a demandé d'être reconnaissant d'avoir ce poste de fonctionnaire à vie. Ce qui ne m'intéressait pas, si je ne pouvais pas travailler. Il fallait se débrouiller pour trouver de l'argent, le financement public étant trop faible, plutôt que de chercher. Le système marche désormais sur la tête puisqu'on crée des postes à vie, mais sans donner les moyens aux gens de travailler. Les laboratoires sont totalement indigents, au point que lorsque Sarkozy est arrivé au pouvoir, il a voulu attribuer des primes aux chercheurs en fonction du mérite. Mais ceux-ci n'en ont pas voulu, préférant les crédits aux primes... Désormais, vous êtes davantage entrepreneur que chercheur? Je suis toujours chercheur - on l'est toujours - mais j'encadre davantage des thésards par exemple. Je ne suis plus à la paillasse en train de faire des manipulations. Je dirige une équipe de recherche, je gère des étudiants en codirection de thèse, tout en conservant mon esprit critique. À mes yeux, il doit toujours y avoir une raison. Je suis un incorrigible cartésien, je veux toujours comprendre pourquoi et je suis toujours chercheur dans ma tête. Mais gérer une entreprise suppose bien plus que de faire de la recherche. Vous êtes biologiste, le fait de ne pas être médecin a-t-il été un handicap? Oui et non. Ce qui m'a intéressé dans mon parcours, c'est la transversalité. Je discutais l'autre avec le prix Nobel de chimie, Jean-Marie Lehn, et nous discutions chimie supra moléculaire. Je ne suis pas chimiste et encore moins un Nobel. Mais je pense avoir la capacité d'incorporer les interfaces: vous pouvez me parler de n'importe quel sujet, au bout de quelques heures, je pense parvenir à trouver le langage, les mots qui permettront d'effectuer l'interface. En fait, je suis un spécialiste de l'interface (Il rit): je peux parler à des médecins, à des chimistes ou à la femme de ménage. Je me mets à la place des autres, en tentant de comprendre leurs problématiques. L'innovation se fait toujours à l'interface des thématiques. D'ailleurs, on peut être un très bon chercheur dans son laboratoire et sa spécialité, qui publie dans Nature ou The Lancet, ce qui ne signifie pas forcément que l'on va innover. Le danger, désormais, est que tout le monde travaille en silo. Vous êtes parisien d'origine vivant en Bretagne, vous témoignez de l'importance de cette région dans le développement économique de votre projet et pas seulement dans la recherche sur les vers marins...Les Bretons sont des taiseux, ils ne parlent pas beaucoup, mais ils agissent. Lors de la crise des subprimes, Sarkozy a promulgué la Loi Tepa (travail, emploi, pouvoir d'achat), cherchant à relancer l'économie locale. Le tout premier réseau de Business Angels à se constituer en France suite à cette mesure a vu le jour dans le Finistère. Il existe une diaspora bretonne, des personnes qui se mobilisent pour développer leur territoire. Sans doute parce que la région est à l'extrémité ouest en France. L'histoire qui circule voudrait que dans le monde, quand deux Bretons se rencontrent, ils créent une association... bretonne.