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On le sait: la Belgique est une terre d'humour, où l'autodérision dans le domaine artistique est parfois élevée au rang d'oeuvre d'art... qu'on se rassure de faire rire. Une fois encore, une institution belge s'acoquine à un musée d'outre-Quiévrain, le Pompidou pour changer - ce qui tourne en effet à la rigolade, pour proposer une exposition consacrée à l'humour dans l'art, qui aurait très bien pu s'inspirer de la Belgique visionnaire, superbe expo nationale du défunt Harald Szeemann présent d'ailleurs dans l'expo sous forme de personnage de cire. Mais bon, ne faisons pas la grimace, mais plutôt la risette et rangeons notre petit drapeau tricolore, puisque la veine humoristique remonte à quelques décennies avant la révolution belge avec l'invention des salons au début du 19e comme le démontre par exemple les dessins sarcastiques de Honoré Daumier décrivant un critique pavanant dans une expo. Le salon des incohérents en France et pas des indépendants présente une vénus de mille-eaux (bardées d'étiquettes d'eau de source) recrée dans les années 70 par Présence Panchounette tandis que la great zwanz exhibition de Bruxelles (faire appel à un commissaire français pour nous expliquer la Zwanze c'est en effet du plus comique) s'en prend au salon des vingts qu'elle moque. Ailleurs, l'âne Lolo peint avec sa queue une toile entre Turner et Cézanne intitulée Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique. Bien sûr Magritte est présent, c'est même lui qui introduit l'expo avec un personnage éclatant de rire montrant une pierre dans un paysage sur laquelle s'inscrit ces mots, ou une peinture du peintre debout au-dessus de la légende Personnage assis. Son titre? Le bon exemple... Quelques exemples également de sa non-peinture (mais était-ce de l'humour) durant la période vache (les voies et les moyens de 47) aux côtés de vulgarités kitschs assumées signées, Man ray ou Picabia ( Femmes au bull-dog). Ce dernier, un autre précurseur du détournement au même titre que Duchamp, expose dès 1919 un simple cadre vide, tandis que Maurizio Cattlan un siècle plus tard se moque de tout le monde, même du pape, et de lui-même notamment dans un La revoluzione siamo noi (imitant Joseph Beuys), qui voit sa réplique plastique accrochée par la veste à un porte-manteau. La même section met en exergue les potacheries du grand René notamment avec le facétieux Marcel Mariën, lequel envoie des cartes postales, des cartons d'invitations bidons à de faux vernissages et fait beaucoup rire les deux compères. Magritte rira beaucoup moins lorsque Mariën apposera sa trombine sur un billet de 100 francs belges dans un tract apocryphe intitulé grande baisse à l'occasion de la rétrospective du Casino de Knokke en 1962 annonçant que Magritte allait désormais vendre ses peintures au rabais. Comme quoi, l'on peut rire de tout, mais pas de n'importe qui. Marien est d'ailleurs l'un des "impayables" de l'expo, notamment lorsqu'il imagine une Vénus d'Amersfoort: le buste "retrouvé" dans la ville natale de Mondrian arborant les formes et les couleurs de l'artiste qu'il parodie. Cette "mondrianité" dépasse largement dans l'humour la version fourrure de Sylvie Fleury ou la simple imitation assumée de Ernest T... qui attira forcément les "amateurs" de l'art. Marcel qui était aussi un maître du jeu de mots doit beaucoup à un autre Marcel... Duchamp, lequel déploie dans la section mots exquis, ses notes autographes comme, E lle a chaud cul comme des ciseaux ouverts, tiré de son fameux LHOOQ (à décomposer). Ses ready-mades (au côté de ceux de George Brecht et son fameux Ouvre-bouteille bouteille dont l'intitulé sert de description) parfois drôles souvent nébuleux hors contexte ornent l'exposition comme son fameux urinoir (une édition des années 60 est exposée) refusé à New York en 1917. De façon très logique, le commissaire Nicolas Liucci-Gotnikov l'a placé au côté d'une merde d'artiste en boite de Manzoni, d'un trompe-l'oeil en forme de lunette de WC de Man Ray et d'une mosaïque étron-nante de l'espiègle comme Til, Wim Delvoye qui se décrit comme un humoriste raté. Pas tant que ça à voir dans la partie oeuvres à jouer ses action man, figurine à son effigie vendue en boite avec sa célèbre Cloaca... la machine à caca. Décidément, cette expo est parfois à pisser de rire. Celui qui fut son maître à ces débuts, Jacques Charlier est également présent à plusieurs reprises avec des oeuvres pop souvent pastiches ( Peinture à fond de balles, au premier degré). Autre liégeois tendance anar très présente dans la cité ardente, à participer à cet art de gai rire, le petit maître Jacques Lizène qui vient de disparaître et ses vidéos louant la vasectomie, ou ses toiles d'autopromotion qui se moque de façon conceptuelle de l'art qui l'est autant. Des artistes conceptuels qui tournent en dérision le monde de l'art, notamment Guillaume Bijjl qui avec son History of documenta wax muséum, transforme le grand événement quinquennal de l'art contemporain en spectaculaire musée Tussaud où trônent Lee Bayers, Bruce Nauman ou Harald Szeemann... Marcel Broodthaers, autre membre de l'union qui fait la farce nationale, vend des lingots d'or lors de la faillite de son musée d'art contemporain, dans une optique dérisoire et drôle (tout n'est pas comique: Erwin Wurm dessine le bâtiment du musée Guggenheim new-yorkais copulant avec le Pompidou, et celui-ci étant à son tour honoré par la Tate Modern). Baldessari quant à lui moque la faconde des livres d'art. Dans cette partie finale, l'expo pullule de vidéos longues montrant notamment le même Baldessari dénonçant la marchandisation (bien longtemps après le visionnaire Picabia qui n'avait pas besoin de vidéo pour cela) Paul McCarthy se moquant de lui-même et du milieu de l'art défilant dans son atelier, tandis que Blue bar de Valérie Mréjen illustre comment les vernissages sont l'occasion des gens de boire et parler sans se soucier aucunement de l'artiste ou de son travail. Un petit extrait du film The square n'aurait pas juré au milieu de tout cela.... Le qualificatif n'est pas pas anodin, tant ces performances sont longues et lourdes, étant entendu que, c'est bien connu: les plus courtes sont les meilleures, y compris en art. L'expo se termine sur les "maîtres bouffons" qui franchement ne font pas beaucoup rire: qu' Avida Dollar (Salvador Dali) fut un maître de la provocation est certes vrai, mais c'était surtout pour faire parler de lui plus que faire rire et assurer ainsi la promotion de son oeuvre. Quant à ses avatars, que furent et sont Warhol et Jeff Koons, ils ne sont même pas drôles, juste cyniques et sinistres. De la provoc sonnante et trébuchante. D'ailleurs, la sortie se fait à l'espace ING par la porte blindée d'un coffre, ce qui leur sied parfaitement à tous les trois, pour déboucher sur les toilettes et... l'urinoir. Bref, rira bien qui rira le dernier...