Un collectif bruxellois de douze réalisateurs a suivi une dizaine de médecins et soignants pendant la pandémie covid-19[1]. Des témoignages simples et poignants des vrais héros de notre temps. Une pierre dans le jardin des fantasmes et des "y avait qu'à".
...
Une heure quarante-cinq de témoignages, c'est lourd - peut-être quelques images d'archive auraient-elles permis de souffler un peu - mais en même temps c'était sans doute nécessaire... pour se rendre compte du vécu réel des médecins et soignants s'échinant à garder le cap pendant les longs mois de la pandémie covid et, de fait, à bout de souffle. La pandémie, comme le reportage, démarre plus ou moins officiellement le 11 mars 2020, l'OMS faisant foi, ainsi que le début du premier confinement. Au tout début, pas de panique. Chacun pense que cela va durer quelques semaines, deux mois tout au plus. N'est-ce pas ce que les autorités politiques communiquent au citoyen lambda? Peut-être en savent-elles davantage mais la vérité brute aurait pu provoquer une vague de suicides. Toujours avoir à l'oeil la psychologie des foules. Ainsi Mathieu, infirmier en soins intensifs, ne panique pas: "Cette maladie n'est pas facile mais les équipes sont soudées." La confiance (qu'on y arrivera) est de mise. "Dans trois semaines on pourra respirer."Mathilde revient sur sa toute première patiente covid: une vieille dame maghrébine de 80 ans. "Elle est très anxieuse car elle a du mal à respirer. Elle ne bénéficie pas d'une pension car elle a toujours travaillé au noir. Elle est placée dans les ''vieilles urgences'' qui ne bénéficient pas d'une alarme... Un moment, elle me prend par la nuque (seul endroit non protégé). J'ai un mouvement de recul. Puis j'en ai honte...""Les patients atteints sont à l'isolement total", précise Hizia. "La détresse humaine est totale. Par intermittence, ils nous voient arriver tels des astronautes, harnachés de vêtements de protection." Certains soignants témoignent qu'ils ne disent pas forcément à leurs proches qu'ils travaillent dans une unité covid. D'autres font chambre à part... Éric, chef infirmier dans une unité de soins intensifs, n'a jamais vu ça. "Je vis la peur au ventre mais je dois garder la face. On subit la pression. On est vraiment en première ligne." Il rappelle qu'infirmier, c'est son métier: il l'exerce pour payer ses factures et offrir des vacances à ses enfants et "pas pour ça". "Ces choses-là, on ne les dit pas à la famille."Kenneth, directeur médical et médecin urgentiste, avoue que d'habitude la gestion des émotions des autres n'est pas particulièrement son fort. Mais en tant que seul directeur présent, il a dû encaisser et déguster. Laureine, infirmière, constate chaque jour qu'un collègue tombe malade, déforçant un peu plus le staff déjà maigrelet (telles sont les normes d'encadrement). Elle est émue de voir que le public applaudit ses efforts et ceux de ses collègues. Mathieu craint de devenir obèse tellement le personnel reçoit du chocolat en cadeau (50 kg d'oeufs de Pâques), du couscous, des boissons énergisantes. "C'est gentil mais gargantuesque. On va tous finir diabétiques, c'est sûr."Laura, logopède dans une maison de repos, se voit demander de décaler son horaire et faire des "mises au lit", ce qui n'entre pas en principe dans ses compétences. "On n'a pas le temps de faire le tiers du quart [de ce qu'il faudrait]. C'est frustrant."Maurice, infirmier en soins intensifs, est habitué à la détresse. Mais ici cela dépasse tout ce qu'il a connu. "Je subis mais on n'a pas le choix. C'est comme à l'armée..."Tous passent leur temps à courir au lieu de marcher. S'habiller, se déshabiller. Les masques de protection qui grattent... Les patients covid arrivent de plus en plus nombreux. On augmente le nombre de lits mais le personnel disponible constitue un frein. Que n'a-t-on entendu qu'il suffisait de doubler ou tripler les lits qui sont de toute façon vides dans les hôpitaux? Kenneth témoigne de ce qu'une "grosse garde" lui est un jour tombé dessus: trois morts, Smur compris: une mère de 52 ans et deux hommes de 30 et 48 ans. Bien que blasé, il n'a pas l'habitude. Laureine accompagne un patient qu'elle sait proche du trépas. Et lui le sait aussi. Elle ne peut plus lui cacher la vérité. Grâce à la "piqûre magique" (morphine, ndlr), le patient mourra relativement sereinement sans souffrance. Hizia permet à une dame de dire adieu à sa mère uniquement par téléphone, en lui donnant un numéro fixe. Une patiente extubée se souvient que c'est son anniversaire. Les larmes coulent... Un soignant ne fêtera pas l'anniversaire de son fils qui a 20 ans tout rond. Trop occupé avec la pandémie. Vient la période de pénurie de matériels de protection: blouses, chasubles, salopettes. Un atelier de "couturières" (infirmières et collaboratrices administratives) se met en place dans l'hôpital. Elles confectionneront des blouses imperméables, réutilisables six fois, à l'aide de tissus de boîte d'emballages stériles. Ça marche! On peut les laver à 90°. La logopède est à nouveau sollicitée pour soulager une adorable petite vieille qui a une coulée de diarrhée. Le protocole? D'abord donner à manger, nettoyer ensuite. Un seul infirmier pour le change. Rien à faire. "C'est horrible... La patiente comprend et me dit ''merci''..."Avec les masques, Éric ne reconnaît plus ses collègues. Tout le monde pleure en travaillant. Au final, il y aura des syndromes post-traumatiques, c'est sûr. Une infirmière lit la carte blanche qu'elle a coécrit avec son frère médecin: "Les gens qui nous applaudissent ont voté pour les connards qui ont coupé les budgets." Allusion à "Sophie" (Wilmès) en charge du budget préalablement. Victime expiatoire... À la morgue, déjà deux corps en trop (sur 16 tiroirs réfrigérés). Bientôt on va réfrigérer la chapelle pour en mettre davantage. C'est prévu.