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Dans la foulée des événements d'abstinence pour le grand public - Dry januari et autre "Tournée minérale" - qui émaillent désormais chaque début d'année, peut-être vous êtes-vous retrouvé confronté à la question au cabinet, soit que vous soupçonniez certains patients d'être des consommateurs à risque, soit qu'ils vous en aient touché un mot de leur propre initiative. En médecine générale, on estime qu'un patient sur cinq au cabinet (voire un sur quatre) est touché par des problèmes d'alcool. Or, moins d'un patient dépendant sur dix (8%) est pris en charge. Il y a donc du pain sur la planche... Mais par où commencer? Avec quelle prise en charge? Comment notamment gérer les traitements médicamenteux du sevrage (benzodiazépines et vitamine B1) et les molécules du soutien de l'abstinence ou de la réduction de consommation (acemprosate, naltrexone, disulfiram, baclofen et namelfène)? "Les statistiques montrent que seul un patient dépendant à l'alcool sur dix établit un lien thérapeutique - ce n'est vraiment pas beaucoup", entame le Dr Éric Paquet, de la SSMG Cellule alcool et médecin au CHS L'Accueil (Isosl) à Lierneux. "Notre travail, à la Cellule alcool, est donc d'encourager les médecins à essayer de diminuer ce 'treatment gap', d'abord en se rendant compte que tous les troubles d'usage de l'alcool ne sont pas de la dépendance. Et la seule façon de s'en rendre compte, c'est de poser la question de la consommation. Une étude de la SSMG avait acté le chiffre d'un médecin sur deux qui posait cette question à son patient." Mais comment poser la question? Non pas "Est-ce que vous buvez de l'alcool?", "vu qu'en Belgique, aux yeux des patients, la bière est souvent notre boisson nationale!", souligne le Dr Paquet dans un clin d'oeil, mais mieux vaut dire, de façon bienveillante: "Vous arrive-t-il de consommer de la bière, du vin ou des alcools plus forts?" Si la réponse est affirmative, on embraie avec la question de la fréquence et des volumes pour établir la catégorie de mésusage (à moindre risque, à risque, nocive, avec dépendance). En cas de consommation à risque (> 14 unités d'alcool pour une femme et > 21 pour un homme), il faut "revenir en-dessous des seuils de consommation à moindre risque (< 10 UA par semaine hommes et femmes, < 4UA en une occasion, au moins deux jours sans consommation et strictement rien dans certaines situations, selon le CSS), ce que le patient qui n'est 'que' à risque n'aura généralement aucune difficulté à faire", analyse Éric Paquet. Risque qui peut parfois avoir entraîné un effet "nocif" comme un traumatisme, une oesophagite, de l'hypertension, un retrait de permis de conduire, ... "Sans dépendance, on ne va pas dire: 'Ne buvez plus'. Par contre, pour les patients dépendants, on n'a encore rien trouvé de mieux à l'heure actuelle que d'essayer de les accompagner vers l'abstinence." Certains de ces patients auront besoin d'un accompagnement médicamenteux pour ne pas avoir, physiquement, de complications à l'arrêt brutal de la consommation. "C'est en ce sens qu'a été réalisée notre fiche sur le sevrage à domicile", rappelle le Dr Paquet. Le travail du praticien consiste aussi à faire comprendre au patient qu'il s'agit d'une maladie chronique et non d'une question de volonté ou de principe ("ce n'est pas bien de boire"), et qu'il va donc falloir trouver de la motivation pour vivre avec ; les approches cognitivo-comportementale, systémique et autres sont des outils avérés. Les changements positifs d'une vie sans alcool, comme se sentir mieux dans sa peau et sa tête et ne plus devoir composer au quotidien avec l'obsession de la consommation - peuvent aider à tirer un trait définitif. Comment et quand faire appel au réseau? Le sevrage alcoolique nécessite souvent une stratégie globale et donc une approche multidisciplinaire, associant professionnels des soins de santé et accompagnement psycho-social. Cela augmente les chances de réussite du maintien de l'abstinence. "Le médecin traitant doit être au centre d'une prise en charge globale associant notamment un suivi psychologique, psychiatrique, addictologique, la participation aux réunions de groupes d'entraide tels que AA et Vie Libre, la fréquentation d'un hôpital de jour", conseille le Dr Paquet. Et la famille? "La soutenir est indispensable. En l'occurrence, la condition sine qua non d'un sevrage à domicile, c'est que le patient ne soit pas tout seul. S'il est venu seul à la consultation, on lui demandera de revenir avec quelqu'un de son entourage à qui on va expliquer les symptômes de sevrage, le traitement et ses effets secondaires, les risques potentiels (escaliers, p.ex.). Un proche peut parfois accueillir un patient qui vit seul, le temps des dix jours du sevrage. S'il y a un conjoint, il faut s'assurer qu'il n'est pas épuisé et encore capable de soutien, faute de quoi un sevrage en institution est préférable."Au programme, beaucoup de repos, une bonne hydratation (2l/jour et des boissons vitaminées) et bien s'oxygéner. "Personnellement, je demande au patient de m'envoyer un sms chaque matin pour me donner des nouvelles, ce qui me permet de voir directement si le sevrage tient la route. Je le revois généralement après une semaine." Et de conclure: "il faudrait pouvoir dépister les consommateurs à risque plus rapidement pour casser le continuum de consommation qui peut aller jusqu'à la dépendance. Là, je pense que les médecins généralistes peuvent prendre la main."