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Institution littéraire depuis plus d'un siècle, qui a souvent eu la particularité de rater de grandes oeuvres, comme Voyage au bout de la nuit ou Les particules élémentaires, l'Académie Goncourt ne s'était pas trompée il y a tout juste un siècle en attribuant son prix à Marcel Proust pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs.Une décision qui provoqua " une émeute littéraire ", sous-titre du passionnant ouvrage de Thierry Laget. Émeute est un peu fort, mais il est vrai que dans la presse et chez les candidats malheureux il y eut une vague de protestations, dans les journaux de gauche comme de droite.On reprocha notamment à l'Académie d'avoir privilégié les turpitudes mondaines d'avant-guerre d'un planqué de l'arrière bien né, au détriment d'un combattant, Dorgelès en l'occurrence, qui évoquait la vie des tranchées dans son roman Les croix de bois.S'il y eut bien quelques saillies antisémites, c'est surtout le fait d'avoir privilégié la formidable forme plutôt que le fond, lequel paraissait à certains bien léger vis-à-vis de l'hommage à rendre aux poilus. Ironie de l'histoire, l'un des plus grands défenseurs de Proust fut Léon Daudet, actif dans l'Action Française, journal antisémite s'il en est !Même alité, Proust sacrifia comme tous les autres candidats au Goncourt au jeu de l'intrigue " romancière " auquel il fallait bien recourir pour tenter de se voir octroyer ce prix.Le livre de Laget dresse un portrait vivant du Paris des lettres et des journaux dans l'immédiate après-guerre, période durant laquelle l'Académie Goncourt eut le courage de s'opposer à la volonté du plus grand nombre, pour couronner une oeuvre désormais considérée comme l'une des plus importantes de la littérature.Et si Proust l'emporta par six voix contre quatre, c'est aussi grâce aux Belges, les frères Rosny, dont l'aîné soutien indéfectible à l'auteur de la Recherche fut l'auteur de La guerre du feu.