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L'institution hospitalière bruxelloise dispose d'une "Clinique du psoriasis" qui allie l'expertise de pas moins de 14 dermatologues, en collaboration avec le Dr Serge Steinfeld, chef du service de rhumatologie, pour les aspects articulaires de la pathologie. Une infirmière de référence spécialisée assure par ailleurs la liaison entre médecins et patients pour écouter, informer et éduquer aux différents traitements. Plus de 70% des patients qui souffrent d'un psoriasis présentent au moins une comorbidité. Par ailleurs, entre 20 et 40% d'entre eux connaîtront une arthrite psoriasique. Si la maladie touche principalement la peau, c'est une pathologie globale, qui peut également affecter les articulations de façon spécifique. Et la sévérité du psoriasis n'est pas forcément en lien avec l'atteinte articulaire. "En tant que médecin, si on voit un patient qui a notamment des atteintes au niveau des ongles, une forte atteinte au niveau du cuir chevelu, il faut y penser plus spécifiquement et, dans son anamnèse, poser la question d'éventuelles douleurs articulaires, notamment au niveau des extrémités, et ce, même chez des patients jeunes. Parfois, des patients qui ont de petites atteintes au niveau des ongles, et rien d'autre, vont développer un doigt rouge gonflé, signe d'arthrite psoriasique", constate le Dr Hugues Fierens dans sa pratique.Une facette moins connue de la maladie auprès de la communauté médicale, et même parfois des dermatologues, est la prévalence importante de maladies cardiovasculaires et d'anomalies métaboliques chez les patients psoriasiques. Ce facteur est, lui, corrélé à la sévérité de la maladie. Pourquoi? "En cas de maladie psoriasique sévère, on a un terrain inflammatoire chronique important, qui est un facteur de risque indépendant pour les maladies cardiovasculaires", précise notre interlocuteur. Selon une étude anglaise, les patients atteints de psoriasis modéré à sévère auraient une espérance de vie inférieure d'environ six ans, principalement à cause de pathologies cardiovasculaires - infarctus du myocarde, problèmes cérébraux - causées par l'inflammation. "Avoir un psoriasis sévère augmente de 40% le risque d'avoir une maladie cardiovasculaire", chiffre le Dr Fierens. Il est donc essentiel de repérer d'éventuels autres facteurs de risque CV qui viendraient se surajouter. "On voit pas mal de patients psoriasiques qui présentent un syndrome métabolique, avec diabète de type 2, troubles lipidiques, hypertension artérielle, obésité...", ajoute-t-il. Le psoriasis est-il à l'origine des troubles cardiovasculaires? Rien n'est encore établi, mais l'association est claire en pratique clinique. "Et donc c'est important d'y penser pour le suivi des patients, puisqu'on a réellement un risque vital avec ces maladies cardiovasculaires..."Autre comorbidité qui a un fort impact sur la qualité de vie du patient, la dépression, qui toucherait, selon les études, jusqu'à 60% des personnes. En lien avec la visibilité de cette maladie dermatologique qui affecte l'image de soi? Les études ne permettent pas de répondre, mais il pourrait y avoir un contexte psychologique particulier lié à la maladie. "Le fait de traiter les patients et de soulager les symptômes améliore l'image qu'ils ont d'eux, mais ne résout pas tout. Ces patients ont plus de difficultés à exprimer leurs émotions dans un contexte de maladie psychosomatique", analyse le Dr Fierens.Les traitements augmentent cependant la qualité de vie de nombreux patients. "Vu l'impact très important de notre peau au regard des autres, quand on arrive à soigner des patients avec un psoriasis très invalidant, ils retrouvent le sourire et nous disent qu'ils sont heureux, qu'ils peuvent, par exemple, retourner à la piscine. C'est très important au niveau de la confiance en soi, de la relation aux autres, ou encore de la relation de couple quand les atteintes sont aussi présentes au niveau génital."La palette de molécules actuellement disponibles permet de prendre en charge la majorité des patients, et avec d'excellents résultats. Connus depuis longtemps, les traitements biologiques de type anti- interleukines 17 et 23 bloquent la voie physiopathologique majeure du psoriasis. "Ces molécules, remboursées, sont réservées aux dermatologues qui en ont l'expertise, pour le psoriasis sévère et après avoir essayé différents traitements au préalable (UVB, neoral et méthotrexate)", clarifie le Dr Fierens. "On obtient des blanchiments complets chez une majorité de patients, donc une disparition complète des plaques."S'il subsiste parfois une crainte de prescrire ces biothérapies, elle n'est pas justifiée selon notre expert, car leur profil de sécurité est maximal. "On note une petite augmentation des infections des voies respiratoires supérieures, mais nous proposons en prévention le vaccin antigrippe et, pour les patients fragilisés, le vaccin antipneumococcique." Par ailleurs, certaines études montrent que les anti-IL17 diminueraient le risque de comorbidités, dont les maladies CV, avec une diminution des plaques artérielles calcifiées grâce au blocage de l'inflammation. Les anti-IL17, privilégiées quand il y a atteinte articulaire, s'injectent toutes les deux à quatre semaines, voire tous les deux mois pour l'une des molécules. Les anti-IL23 s'administrent tous les deux ou trois mois. "Cette demi-vie plus longue est intéressante pour les patients sans (risque d') atteinte articulaire", note le dermatologue. "L'intérêt des anti-IL23 est aussi leur action sur les lymphocytes B à mémoire cutanée: chez les patients bons répondeurs - rapides, et avec une disparition complète des plaques -, on va pouvoir augmenter les intervalles entre injections sans récidive. Certains ont des injections tous les six mois seulement, et sans plus aucune plaque."Quid des patients qui n'ont pas de scores de sévérité élevés et échappent donc aux critères de remboursement, mais qui subissent un psoriasis invalidant parce qu'il touche le visage, les mains ou les parties génitales?"Nous avons deux 'petites' molécules, l'aprémilast et le deucravacitinib, qui inhibent deux voies particulières", explicite le Dr Fierens, "le premier est uninhibiteur de la phosphodiestérase 4 (PDE4) et l'autre, un inhibiteur sélectif de la tyrosine kinase 2 (TYK2) très ciblé. Ce sont des molécules par voie orale, qui offrent un grand profil de sécurité et remboursées pour des patients ayant de petits scores Pasi". Un calcul d'échelle dite 'DLQI' est réalisé pour ces patients chez qui le psoriasis a un impact important sur la qualité de vie, même s'il n'est pas sévère, leur permettant de ne pas avoir à souffrir les éventuels effets secondaires des autres traitements s'ils doivent être donnés de façon chronique. "Il y a beaucoup de recherches pour le moment dans le psoriasis, et les molécules dans le pipeline sont prometteuses", se réjouit le spécialiste, "notamment des interleukines par voie orale."S'il n'y avait qu'un message à retenir à l'occasion de la Journée mondiale, c'est qu'il n'y a plus de fatalité face à cette pathologie, tient à souligner le Dr Fierens: "On ne peut plus dire au patient: "Écoutez, Monsieur/Madame, vous avez un psoriasis et on ne peut pas en guérir, il faut faire avec..." Non, ce n'est pas vrai. Ces dernières années, on vit un moment où on a une explosion de nouvelles thérapeutiques, avec une sécurité très importante, ce serait triste que des patients n'en bénéficient pas. Dans le cadre de la Clinique du psoriasis, je vois régulièrement des patients qui présentent un score de sévérité élevé et qui pourtant, n'ont toujours pas de traitement..."