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Le journal du Médecin: À l'horizon 2022 et au-delà, l'Inami s'est fixé des objectifs "chiffrés et mesurables" pour orienter les politiques de santé. Récemment, le KCE estimait justement que nous manquions en Belgique de tels objectifs "explicites". Pourriez-vous donner un exemple d'objectif chiffré qui "parle" aux médecins? Dr Pascal Meeus: Le rapport "performance du système de santé" a régulièrement mentionné justement le fait que l'évaluation de la performance serait facilitée si on disposait d'objectifs explicites et chiffrés. Le KCE (Centre fédéral d'expertise des soins de santé) a présenté une méthode pour y arriver dans un rapport en 2017. L'Inami s'est récemment lancé dans cet exercice sous l'égide du ministre de la Santé publique, Frank Vandenbroucke. Il s'agit dans le cadre de la fixation d'un budget pluriannuel de fixer des objectifs de soins de santé sur plusieurs années. Lors de la réunion inaugurale, j'ai présenté un exemple parmi d'autres: nous avons constaté que les personnes BIM vont moins fréquemment chez le dentiste. Si on parvient à les attirer chez le dentiste au même niveau de fréquentation que les assurés du régime général, elles bénéficieraient, comme les assurés du régime général, d'une meilleure couverture préventive qui diminueraient les interventions curatives plus lourdes à moyen terme. Tout le monde en sortirait gagnant, les assurés bien sûr, les prestataires et l'assurance, même si celle-ci doit consentir à un investissement à court terme. Toute la question est ensuite de mettre un plan en oeuvre pour y arriver. Quid si on ne les atteint pas, que ce soit au niveau national ou régional et communautaire? Est-ce que des sanctions sont prévues? Si non, quels correctifs permettraient d'atteindre ces objectifs une fois le constat qu'on ne les a pas atteints? Ces objectifs qui concernent le système des soins de santé ne concernent que l'Inami et il n'y a aucune coercition dans cette démarche. Travailler selon des objectifs est une manière d'aligner à long terme, tous les acteurs vers une direction définie conjointement. Si les jalons qui permettent de réaliser ces objectifs ne sont pas atteints dans un temps imparti, il faudra adapter le plan et les moyens pour y arriver. Pourquoi se fixer de tels objectifs? L'amélioration du système? Que vise-t-on exactement? Visez-vous un return on investment? Le but comme je viens de le dire est d'aligner les points de vue de tous à plus moins long terme et de s'en donner les moyens en définissant un budget pluriannuel qui sera affecté à la réalisation de ces objectifs. Le retour sur investissement, le ROI comme vous dites, vise à améliorer la performance globale du système de santé inspirées du "triple aim" de l' "Institute of health improvement" (IHI) devenu entre-temps en Belgique "quintuple aim", à savoir, investir dans ce qui va faire la différence en termes de résultats en termes d'impact sur la santé de la population, d'amélioration de la qualité des soins vécue par le patient, sans oublier l'accent sur l'inclusion sociale et les inégalités et en veillant à améliorer le bien être et le know-how des professionnels. Sur quelle base évaluez-vous la performance de notre système de santé? La performance du système de santé est évaluée à travers un prisme de valeurs sur lesquelles tout le monde peut s'accorder, à savoir que notre système de santé doit être accessible tant géographiquement que culturellement ou financièrement, équitable, délivrer des soins de qualité, tout en étant efficient et résilient pour en assurer la pérennité. Ces différents aspects sont analysés sur base d'un set d'indicateurs qui permet de porter un jugement sur la performance globale qui résulte de l'équilibre entre tous ces aspects. N'aurez-vous pas tendance à vous concentrer sur les objectifs qui "rapportent" le plus financièrement? Comment éviter le biais d'une vision à trop court terme? Il faut rester pratique et réaliste pour être convaincant. C'est pourquoi la stratégie s'inscrit dans une période 2022-2024. Tous les acteurs de la concertation de l'Inami (commissions d'accords et de convention) sont impliqués et peuvent faire des propositions d'objectifs, si possible pluridisciplinaires. Les propositions feront l'objet d'un rapport qui sera transmis au ministre par le comité d'assurance. Étant donné l'enthousiasme autour de ce processus, nous ne pourrons pas réaliser toutes les propositions dans ce laps de temps. C'est pourquoi ces propositions seront préalablement débattues dans une taskforce multidisciplinaire sur base de critères qui ne sont pas principalement financiers. Les propositions devront répondre à des problèmes et des enjeux concrets et apporter des améliorations pérennes qui peuvent faire une différence. Plus tard, si ce processus est couronné de succès, j'espère bien qu'on pourra le renouveler et le mener sur des périodes plus longues. De quels outils disposez-vous pour atteindre les objectifs fixés une fois le but circonscrit? Nous disposons bien entendu de l'arsenal classique de l'Inami pour améliorer le fonctionnement du système, mais nous veillerons à mobiliser les autres leviers si nécessaires, comme nous l'avons fait il y a quelques années le cadre de l'imagerie pour diminuer le niveau d'irradiation d'origine médicale ou dans une optique encore plus large "One Health" pour la politique de lutte contre l'antibiorésistance. Quelles lacunes l'Inami peut-il déjà pointer dans notre système? Comment atteindre des gains d'efficience pour pallier ces lacunes? Les nouvelles technologies sont-elles aussi prometteuses qu'on le présente? De nombreux rapport internationaux ou nationaux posent un diagnostic sur notre système de santé. En particulier, les rapports performance qui se succèdent tous les trois ou quatre ans depuis 2009, dont l'Inami est corédacteur avec le KCE, Sciensano et le SPF Santé publique, sont une bonne base de diagnostic. Ceux-ci montrent régulièrement des lacunes en terme d'inégalité notamment dans certaines niches de la population - j'ai cité plus haut par exemple les inégalités dans l'accès aux soins dentaires -, des lacunes dans certains secteurs comme la santé mentale, la prise en charge des personnes âgées, des gains potentiels d'efficience comme une meilleure utilisation des médicaments génériques dans le domaine du médicament. À côté des lacunes, les enjeux à affronter pointent aussi en filigrane comme le besoin de renforcer la première ligne et la continuité des soins, le défi du vieillissement, la prévalence croissante des maladies chroniques, les affections émergentes comme le Covid et l'intégration harmonieuse des progrès technologiques qui font la différence, pas seulement en terme de nouveaux traitements et de mise au point, mais aussi de gestion de l'information et d'aide à la décision. Certaines de ces lacunes peuvent être résolues par une prise de conscience des professionnels impliqués, d'autres nécessiteront des adaptations réglementaires et certaines des investissements. Ces solutions se traduiront toujours en gain d'efficience, à savoir une amélioration du rapport qualité/ coût et je parle ici de qualité dans son sens large, qui comprend la pertinence, l'efficacité, la sécurité et la continuité et l'intégration des soins, au moment adéquat, pour la plus grande satisfaction du patient. Quelles sont les principales disparités identifiées? Avez-vous un ou deux exemples qui parlent aux médecins? Je suppose que vous faites ici référence au site "healthybelgium", "Belgique en bonne santé" en français, qui permet de consulter le rapport performance et le rapport de l'état de santé de la population. Ce site comporte une troisième partie, où nous nous attelons à documenter les pratiques telles qu'elles existent aujourd'hui en Belgique et il est vrai que l'on peut constater de nombreuses disparités. Ces disparités soulèvent la question de savoir si tout assuré a les mêmes chances de disposer d'une prise en charge optimale. Certaines différences sont interpellantes, comme la pose de diabolos (drains transtympaniques) chez les jeunes enfants plus fréquentes au nord, les stress test cardiaques plus fréquents à l'est du pays, le choix différent entre le nord et le sud des techniques de chirurgie bariatrique, des taux d'hospitalisation de jour beaucoup plus élevés pour la cholécystectomie au nord est, des évolutions à la baisse à des vitesses plus ou moins rapide pour l'imagerie digestive, des pénétrations plus ou moins rapide selon les régions de certaines prestations comme les trajets de soins, le dossier médical, les prises en charges de AVC, etc. Ces disparités sont effectivement interpellantes et méritent que les professionnels s'y attardent afin de décider consciemment si elles sont justifiées et sinon d'y remédier, avec notre aide s'ils le souhaitent. Nous avons d'ailleurs lancé un appel aux sociétés scientifiques pour y travailler et les prestataires intéressés peuvent nous contacter et nous interpeller à l'adresse appropriatecare@riziv-inami.fgov.be.