Pourquoi le Centre de santé des Fagnes (CSF) a-t-il changé de direction générale ?
- Thierry Boxus, directeur général : A la veille de partir à la pension, Jean-Paul Levant, directeur général de l'institution durant 19 ans, a estimé qu'il fallait qu'un nouveau directeur prenne le relais au moment où le Centre de santé des Fagnes s'engageait à rejoindre le réseau loco-régional hospitalier Humani Santé Charleroi-Chimay. Je suis arrivé pour une période d'induction de deux mois, en mars et avril, en pleine crise du coronavirus. J'ai commencé véritablement mon mandat de directeur général de l'Association Intercommunale hospitalière du Sud Hainaut et du Sud Namurois le 1er mai. Cette période particulière m'a permis de voir le mode de fonctionnement des équipes au niveau de la stabilité des opérations et dans leurs capacités à réagir, à s'adapter et à se réinventer.
Ensuite il a fallu, en raison de la crise, quelques semaines pour prendre une série de décisions. Début septembre, l'équipe de direction médicale a été remaniée. Un nouveau médecin-chef a été nommé, le Dr Dr Kristien Van Acker. Elle est accompagnée par le Dr Ann-Christie Magain. Cette experte en gestion de projets médicaux est parvenue en neuf mois à installer - en collaboration avec la société Sapristic, spécialisée dans l'implémentation - le nouveau dossier patient informatisé (DPI) de Xperthis, et à gérer toutes les résistances au changement liées à cette intégration.
- Pourquoi avez-vous changé la direction médicale ?
- L'hôpital de Chimay est isolé, enclavé. Il éprouve des difficultés à recruter de nouveaux médecins et à les fidéliser. Or, ces praticiens recrutent eux-mêmes de nouveaux patients. Un objectif fondamental de notre stratégie est de rendre à tout le personnel la notion d'engagement et de renforcer sa relation avec l'hôpital. C'est en renforçant cet engagement que nous allons améliorer nos services infirmiers, médicaux, logistiques... Pour arriver à réaliser ces changements, il faut également revoir et renforcer la culture de l'entreprise.
Cette dynamique s'inscrit dans un axe de collaboration interhospitalière puisque les réseaux loco-régionaux viennent de se créer, dont Humani Santé Charleroi Chimay qui regroupe depuis le 21 février l'Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi (ISPPC) et le Centre de santé des Fagnes. Notre nouvelle direction médicale va pouvoir établir des programmes médicaux de qualité pour pouvoir collaborer avec d'autres hôpitaux.
" Nous avons géré le Covid de façon extraordinaire "
- Comment voyez-vous cette collaboration médicale avec les autres institutions ? Quels sont les atouts du CSF ?
- Dr Kristien Van Acker, médecin-chef : Grâce à mes expériences professionnelles antérieures, internationales, nationales et locales (lire encadré), je pense pouvoir amener les différents services de l'hôpital à travailler ensemble. On oublie parfois qu'un hôpital est un projet commun. Chacun doit y apporter sa pierre.
Nous soignons une population qui n'est pas celle de Charleroi ou de Namur. Les statistiques de comorbidités vasculaires ne sont pas bonnes. Nous devons répondre aux besoins locaux.
Par ma formation de médecin spécialisé en médecine tropicale, j'ai également pu durant la crise liée au Covid me rendre compte que nous ne parviendrions pas à bien prendre les patients en charge si chacun reste dans son silo. Nous avons créé, avec l'accord de la direction, un projet transversal. Nous avons réuni les médecins généralistes (l'AGRF) et les pharmaciens (l'UPSEM). Nous avons contacté les dix communes de la région pour leur demander de s'engager dans notre projet, baptisé SmasK. Au début de la crise, nous n'avions même pas le matériel de protection nécessaire pour nous protéger. Grâce à ce projet, nous avons pu créer des masques en tissu et des visières. La crise nous a donné une opportunité de créer des projets transversaux.
Grâce aux résultats que nous avons engrangés depuis que nous analysons notre fonctionnement, de nombreux médecins font part de leurs envies. Il est très important de créer une atmosphère de confiance, d'engagement et de qualité. Nous avons géré le Covid de façon extraordinaire. Il y a eu un engagement de tous les départements. Aujourd'hui, nous souffrons du post-Covid. Cette situation crée de l'instabilité. Nous devons poursuivre notre analyse pour identifier dans quels services nous manquons de médecins. Comme notre hôpital est seul et éloigné, nous vivons la même crise que les autres hôpitaux mais la situation est plus précaire, plus dangereuse.
- Manquez-vous de médecins dans votre institution ?
- Dr Kristien Van Acker : Dans certaines spécialités, nous manquons de spécialistes, entre autres, pour assurer la participation aux gardes légales.
- Thierry Boxus : Un hôpital a besoin d'un certain nombre de médecins pour faire tourner les services. Il n'est pas facile pour une institution de notre taille de respecter cette masse critique. Il n'est, par exemple, pas facile d'attirer chez nous trois neurologues. L'hôpital doit tout le temps se réinventer pour être attractif. Nous sommes, par exemple, occupés à développer de nombreuses initiatives en télémédecine, notamment pour les AVC en étant en contact avec le service de neurologie de l'hôpital Marie Curie.
- Votre hôpital accueille-t-il des spécialistes en formation ?
- Dr Ann-Christie Magain, directrice des opérations médicales : Nous sommes un hôpital de stage. Quatre services forment chaque année des stagiaires, en médecine interne, pédiatrie, chirurgie et urgences. Le retour des assistants est positif. L'accueil des étudiants et des assistants est une de nos priorités. Nous pouvons encore l'améliorer pour rendre notre hôpital plus attractif. L'apport des jeunes confrères est essentiel pour avoir de nouvelles idées et nous développer.
- Dr Kristien Van Acker : Il est très important de proposer des initiatives innovantes. Nous avons, par exemple, mis sur pied un programme multidisciplinaire de soins des plaies. Nous avons réussi à financer une infirmière de liaison qui organise de nombreuses formations externes. Cette dynamique a créé une cascade de soins dans laquelle sont impliqués les infirmières à domicile et les généralistes. Nous allons bientôt y ajouter la télémédecine. Cette action est importante parce que les plaies représentent un coût très important pour la sécurité sociale. En oncologie, notre hôpital fait également preuve d'un très grand dynamisme. Il est important pour nous de porter des projets innovants qui peuvent intéresser d'autres hôpitaux.
- Dr Ann-Christie Magain : Ce type de projet, associé à la télémédecine, peut être transposé pour d'autres pathologies, entre autres, celles qui impliquent la collaboration entre notre hôpital de proximité et les généralistes. D'autant plus que notre dossier informatisé permet de déployer ce type de fonctionnalité. Cette approche permet d'avoir un réseau local et un réseau loco-régional efficaces. Il faut se rendre compte que si notre hôpital n'existait pas des soins aigus seraient pris en charge avec beaucoup retard, au détriment du patient. Cette situation serait dramatique pour la population.
- Le CSF fait depuis le mois de février partie du réseau locorégional Humani avec l'ISPPC (Intercommunale de santé publique du Pays de Charleroi). Les deux hôpitaux ont des tailles très différentes. Comment voyez-vous cette collaboration ?
- Thierry Boxus : Nous avons organisé notre première réunion des directions générales et médicales du réseau Humani le 10 septembre dans notre hôpital pour construire notre programme médical. Notre premier objectif est de recevoir le soutien de l'ISPPC pour consolider notre offre médicale. Nous allons établir également les liens pour les transferts éventuels de patients aigus. Ensuite, nous développerons des projets communs. Nous pourrions, par exemple, avoir une approche innovante en gériatrie au CSF parce que cela répond à un véritable besoin de la population. Nous allons avoir de véritables discussions stratégiques avec notre partenaire.
- Comment se porte financièrement l'hôpital ?
- Thierry Boxus : Selon le rapport Maha (de Belfius), il n'est pas un mauvais élève, mais il peut faire mieux. L'hôpital a souffert en 2017 des changements au niveau des collaborations hospitalières. Les comptes en portent les stigmates. Les investissements se sont tout de même maintenus. Une nouvelle aile a d'ailleurs été construite. Par contre, les équipes ont été réduites. Il a fallu aussi assurer certains niveaux d'honoraires pour garder des médecins. Cette politique a affaibli l'hôpital. La crise du Coronavirus et la réduction de l'activité n'aident pas. Il est fondamental pour l'hôpital de rebondir.
Le CSF en quelques chiffres (de 2019)
- Chiffre d'affaires : 47.821.000 euros
- Consultations : 78.000
- Journées réalisées : 32.995
- Urgences : 17.315
- Nombre de lits : 144
- Nombre de travailleurs : 540
- Nombre de médecins : 85
- Bassin de soins : 46.646 habitants
Une expérience internationale et une expertise locale
" A la fin des années 80, lorsque je travaillais à l'Université d'Anvers, j'ai créé la première clinique du pied diabétique en Belgique. Forte de cette expérience, j'ai convaincu le gouvernement et l'Inami de créer de telles cliniques dans plusieurs endroits en Belgique. Aujourd'hui, ce projet est reconnu et bénéfice d'une convention Inami. Cette expérience extraordinaire m'a permis d'entrer dans des réseaux internationaux et travailler durant 15 ans au sein de la Fédération internationale du diabète et présider durant six ans D-Food International, organisation liée à l'OMS et IDF ", confie le Dr Kristien Van Acker, nouveau médecin-chef du CSF. " J'ai donc l'expérience nécessaire pour créer et gérer des équipes multidisciplinaires. Lorsque j'ai voulu m'installer dans cette région pour des raisons familiales, j'ai analysé la situation médicale et les besoins de la population. Je me suis rapidement rendu compte qu'il était important de décentraliser les soins en diabétologie en travaillant avec les médecins généralistes. En 2009, l'implémentation des trajets de soins diabète de type 2 n'avait pas été bien accueillie par les médecins francophones (lire en page 4). Après six mois de travail de terrain, nous étions devenus ici le champion pour les trajets de soins en Wallonie. Nous avons également créé des projets avec l'Observatoire de la santé du Hainaut. "