...

"A ujourd'hui, en médecine, on manque d'un point de vue global. Est-ce que la flore intestinale est la clé? Je ne sais pas mais, en 20 ans, le nombre de publications sur ce sujet a explosé. On a de plus en plus de preuves que le microbiote est un composant essentiel de nos systèmes immunitaire, métabolique et neurologique. Mais aussi de son influence dans le développement des maladies du système entérique et du SNC. C'est spécifiquement prouvé, on n'a plus besoin d'en discuter", insiste la Dr Perle Rillon. L'homme vit avec son microbiote dans une vraie symbiose. Présent au niveaux intestinal, vaginal, respiratoire..., ce dernier assure diverses fonctions: neurologiques, fermentation des aliments, protection (barrière intestinale), maturation du système immunitaire, vision, régulation de la masse osseuse... L'axe cerveau-microbiote intestinal est le lieu d'une communication bi-directionnelle, médiée par les systèmes immunitaire, métabolique et neuroendocrinien et le nerf vague. " Les cellules immunitaires activées par les métabolites synthétisés par les bactéries produisent des cytokines qui agissent sur le cerveau par voie sanguine ou nerveuse, et créent une réponse immunitaire et/ou inflammatoire. Lorsqu'elles sont activées par les métabolites, les cellules endocrines produisent des hormones qui agissent sur le cerveau en modifiant l'activité des neurones. C'est dans cette voie que s'inscrivent par exemple les travaux du Pr Patrice Cani (UCLouvain) et du Pr Willem de Vos (Wageningen University) sur la bactérie Akkermansia qui intervient dans la perte de poids", précise-t-elle. " Enfin, les neurones du système nerveux de l'intestin, stimulés par les métabolites bactériens, activent le nerf vague jusqu'au cerveau. Les données suggèrent que le microbiote intestinal pourrait avoir un effet modérateur sur la réactivité de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Une activation directe de l'axe, par le nerf vague, entraîne la production de glucocorticoïdes dont les récepteurs sont nombreux sur les cellules microgliales. L'axe HHS, la réponse au stress et neuro-inflammatoire sont largement intriquées." " Depuis toujours, les scientifiques et les psychiatres ont eu le sentiment que le microbiote était en lien avec le cerveau, aujourd'hui on peut le prouver grâce aux Microbiome Genome-Wide Association Studies. Le déséquilibre dans la composition du microbiome (données génétiques du microbiote) influence le développement de certaines pathologies telles que les MICI, l'obésité, les diabètes (1 et 2), les maladies psychiatriques et neurodégénératives", explique la Dr Rillon. " L'axe cerveau-microbiome joue un rôle important dans les troubles du spectre de l'autisme. Dans la schizophrénie, des travaux montrent une influence de la nutrition dans l'amélioration des symptômes. Dans la dépression, le microbiote engendre une sécrétion de sérotonine entérique et circulante. Le Flemish Gut Flora Project, réalisé sur 1.000 patients déprimés, a retrouvé chez ceux-ci plus de dysbiose et d'inflammation que dans le groupe contrôle non déprimé." La psychiatre ajoute que, dans la dépendance alcoolique, la consommation d'alcool augmente la perméabilité intestinale, ce qui entraîne la translocation de produits des bactéries dans la circulation sanguine, l'activation des cellules immunes, une inflammation du foie et une neuroinflammation. " Le Dr de Timary (UCLouvain) a démontré l'influence directe de l'alcool sur la composition du microbiote: en l'absence de cette consommation, de l'éthanol est retrouvé dans les scelles. Il est produit par des bactéries sélectionnées par l'alcool, ce qui induit une réduction de la lipolyse et de la synthèse hépatique de bêta-hydroxybutyrate (qui a un effet neuroprotecteur)."La relation microbiote-maladies neurodégénératives est également de plus en plus documentée. " Dans le Parkinson, Filip Scheperjans (Finlande) a montré que le microbiote pourrait être un indicateur précoce de la maladie et qu'en prenant certains probiotiques (Lactobacillus acidophilus, L.reuteri et L.fermentum, Bifidobacterium bifidum), on observe une amélioration des symptômes moteurs et du mini mental state." En agissant sur ce qui influence sa composition comme l'accouchement par voie basse, l'allaitement ou la nutrition via les prébiotiques (FOS, GOS, inuline...) et les probiotiques. " Il faut varier l'apport en fibres, prendre des aliments riches en fructo-oligosaccharides/inuline (artichaut, asperge, oignon, ail...), en galacto-oligosaccharides (fenouil, butternut, pistache...)... Ensuite, on peut intervenir sur le sommeil, l'exercice, le stress", répond-elle. Différentes substances perturbent le microbiote: les xanthines (café, thé, chocolat), la nicotine (changements profonds de la flore nasale, orale et intestinale), les drogues et les médicaments (antipsychotiques, antidépresseurs, anxiolytiques, opiacés...). " Par exemple, les IPP modifient le pH gastro-intestinal et augmentent les proportions des bactéries de la flore orale. Ils inhibent la synthèse des acides aminés et influencent les voies de transformation des médicaments (entraînant par exemple une résistance aux macrolides)." " De nombreux travaux s'intéressent aux effets rétroactifs des traitements médicamenteux. Une étude montre ainsi que le traitement par fluoxétine engendre une croissance de Ruminococcus flavefaciens qui la métabolise et inhibe ses effets antidépresseurs." La transplantation fécale, déjà pratiquée en Chine au 4e siècle, est reconnue par les sociétés savantes européennes depuis 2013, souligne encore Perle Rillon: " À ce jour, elle est indiquée uniquement dans le traitement des rechutes des infections à C.difficile, dont elle permet la guérison dans 90% des cas. Mais elle pourrait également être intéressante dans le syndrome de l'intestin irritable, les MICI, la résistance à l'insuline, la sclérose en plaques, le cancer..." Enfin, le contact avec la nature est une façon simple d'enrichir son microbiote: en jardinant par exemple, en touchant les arbres et la terre... " Pour peu qu'on soit en ordre de vaccination antitétanique!", met-elle en garde.