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Le journal du Médecin: Vous évoquez la révolution artistique du Duché de Bourgogne: le ministère de la culture fut-il inventé par les Ducs? Bart Van Loo: C'est vrai qu'ils ont fait du mécénat deux points zéro et du soft power durant quatre générations. Leur chance est que, durant la guerre de Cent Ans, la France et l'Angleterre s'épuisent mutuellement. Existe une sorte de vide du pouvoir dont les Bourgogne vont s'accaparer bien qu'ils ne soient que ducs et pas rois, ceci avec splendeur et un bling-bling médiéval, de l'apparat, de sorte que tout le monde se dit "ces ducs sont vraiment des rois!" De plus, ils disposent de moyens pour se payer les grands artistes du moment qui affluent à la cour de Bourgogne plutôt qu'en France ou en Angleterre. Par ailleurs, au-delà d'un aspect de propagande, Philippe Le Bon et Le Hardi cultivent également un amour sincère de la beauté et de l'art "moderne": n'oublions pas que van Eyck qui change la face de la peinture, est un artiste contemporain. Ce sont des choix exceptionnels avec Sluter et van Eyck, les deux icônes de l'époque. Sluter en sculpture avec Philippe Le Hardi, van Eyck avec le Bon. Je cherche à réhabiliter Sluter car c'est l'équivalent de van Eyck en sculpture. Les Dijonnais devraient en être plus fiers et le "vendre" mieux. Ne devrait-on pas dès lors parler plutôt des primitifs bourguignons? Le Hardi en épousant Marguerite de Flandre peut faire appel aux plus grands artistes des Plats Pays qui n'existent pas encore, les attire à Dijon: on peut les considérer comme des ambassadeurs de ces régions qui à ce moment-là n'ont pas encore énormément de choses en commun. Ils vont travailler de concert, on va d'ailleurs pas mal parler le thiois, et, pour la première fois, le concept des Plats Pays va voir le jour, dans les arts, sous Philippe le Hardi, et par la suite sur le plan juridique, administratif et politique sous Philippe Le Bon, son petit-fils. Dans notre histoire, l'art précède la politique. Nous sommes nés dans les arts! Des quatre ducs, lequel préférez-vous? Le premier. Philippe Le Hardi est exceptionnel. Ce premier duc a forgé le mariage avec la Flandre en en faisant une réussite: c'est lui qui a réalisé le double mariage de ses enfants et agrandit de ce fait ses possessions. Et pourtant, Le Hardi est le moins connu: aucune biographie ne lui est consacrée. Lorsque je me suis lancé dans l'écriture de ce livre, j'ai acheté des chaussures de sport pour être bien chaussé durant les quatre ans de rédaction et de lecture: et j'ai fait graver d'un côté Philippe et de l'autre Le Hardi. Je l'ai fait en cours de route, tellement le personnage me fascinait. Chaque jour, je chaussais ces baskets et, par ce processus mental - on devient parfois fou lorsque l'on se plonge dans un tel travail, je marchais littéralement dans les pas de nos pères fondateurs. En tout cas, Le Hardi est un visionnaire... Quelque part, en effet. De plus, il met au point la nouvelle réglementation de la moutarde, et instaure définitivement le pinot noir en Bourgogne. Aujourd'hui l'office du tourisme de Dijon évoque pourtant plus la moutarde et le pinot noir que les Ducs. Vous décrivez la Bataille des Éperons d'Or non pas comme un combat linguistique, mais plutôt social? Ce n'est qu'au 19e qu'Hendrik Conscience, qui est un peu notre Alexandre Dumas, a romantisé totalement la bataille, mais sans but politique au départ, son oeuvre étant ensuite récupérée par les flamingants. Un exemple: du côté français de la bataille, des Néerlandophones se battaient, notamment le duc de Brabant, et, de l'autre côté, l'on comptait pas mal de Francophones. Des Douaisiens notamment, Flamands francophones se battaient du côté flamand: ils clamaient d'ailleurs "tos flamens estons". Peu importe notre langue, disaient-ils: nous sommes tous flamands et nous allons nous battre contre les Français. D'où tenez-vous cette façon de raconter l'histoire comme un roman? J'aime à la fois le romanesque et le factuel. Quand j'écris, il y a sur mes épaules un saltimbanque et un nerd. Mais de toute façon, je n'invente rien: je suis avec Jean Sans Peur sur le pont de Montereau, mais sur base de documents récemment redécouverts. Je souhaite raconter l'Histoire, mais sans la dénaturer, sans quasiment rien inventer: c'est quasiment oulipien. Raconter de façon entraînante, captivante, mais sans mentir. J'ai surtout voulu écrire un livre que j'aurais moi-même souhaité lire...