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C'est avec surprise que le monde de la prévention tabac a découvert que le nouveau gouvernement entendait augmenter le prix du tabac pour créer, un jour, une "génération sans tabac", dans le sens où les bébés qui naissent aujourd'hui pourrait arriver à l'âge de la première cigarette (en moyenne 14 ans) dans un monde débarrassé d'une drogue légale qui entraîne la mort de 14.000 personnes par an en Belgique et qui tue la moitié de ses consommateurs. L'accord gouvernemental Vivaldi cite explicitement une "politique anti-tabac volontariste et globale" qui passe par une réduction de l'attractivité et de l'accessibilité du tabac. Or, ainsi que le rappelle l'Alliance pour une Société sans Tabac, l'arme du prix surpasse tout autre moyen d'action contre le tabac, à condition d'être suffisamment franche que pour frapper les esprits. Depuis plusieurs années, le nombre de fumeurs semble avoir atteint un plancher d'irréductibles. Mais une augmentation de 10% du prix peut entraîner une réduction de l'ordre de 4% du nombre de fumeurs réguliers. L'ordre de grandeur de l'augmentation sera bien celle-là: l'an prochain, un paquet de cigarettes coûtera environ 7,50 euros (contre 6,80 actuellement). Le prix du paquet de tabac à rouler dépassera les 11 euros (contre 9,70). La Vivaldi ne cache pas qu'elle espère un effet positif sur les finances publiques, de l'ordre de 120 millions. En 2024 elle atteindra 480 millions. Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser des partis qui, depuis des décennies, s'y sont toujours refusé à franchir le pas? "La dernière fois qu'une telle augmentation a eu lieu, c'était en 1977, date des premières campagnes antitabac, quand le paquet est passé de 32 à 36 francs d'un coup", analyse Luk Joossens, expert du tabac pour la Ligue européenne des associations contre le cancer et auteur de "La guerre du tabac en belgique" (Boîte à Pandore). "Je pense que la première motivation a été de trouver de l'argent. D'un côté, les partis libéraux sont allergiques à toute nouvelle taxe. On a donc cherché des cibles qui n'apparaissent pas illégitimes." A tort ou à raison, une partie de l'opinion publique estime que les fumeurs font un choix et qu'ils doivent donc en être responsables. Que le paquet augmente pour que les sommes soient affectées à la santé publique est donc plus largement justifiable. Comme agir contre la fraude, supprimer certaines niches fiscales ou agir sur la fiscalité de la mobilité pour verdir le parc automobile... tout en engrangeant de l'argent frais. "Quant aux socialistes, depuis Demotte, ils s'étaient toujours montrés timides à une telle augmentation", se souvient Joossens. On se souviendra que Di Rupo, alors président, avait même reporté in extremis l'interdiction de la cigarette dans les cafés, au nom "des petits pensionnés qui n'avaient plus que cela dans la vie".Est-ce donc du côté des Verts que l'initiative est venue? D'après les négociateurs chez Ecolo, c'est bien le cas. "C'est effectivement nous qui avons demandé et obtenu de fixer l'objectif d'une génération sans tabac dans la déclaration politique du nouveau gouvernement, qui dit que {une politique anti-tabac volontariste et globale est essentielle. L'objectif que nous visons est une génération sans tabac en réduisant l'attractivité et l'accessibilité du tabac}. L'augmentation des accises en découlait naturellement", confirme Muriel Gerkens, ancienne députée Ecolo et spécialiste des questions de santé. Pour l'Alliance pour une Société sans Tabac, "le tabagisme est une addiction tenace qui provoque une immense souffrance personnelle et sociale. Dans notre pays, près de 40 personnes meurent encore du tabac chaque jour. Le tabagisme se classe ainsi au rang de première cause de mortalité évitable. 300.000 Belges souffrent d'une maladie liée au tabac. Et le tabagisme nous coûte environ 13 milliards d'euros par an. D'après la littérature scientifique, l'augmentation des accises est la mesure la plus efficace. Des prix plus élevés incitent en effet les fumeurs à arrêter et constituent un moyen de dissuasion supplémentaire pour les non-fumeurs et les jeunes. Ils réduisent en outre le risque de recommencer à fumer chez ceux qui ont renoncé au tabac et incitent les fumeurs à diminuer leur consommation".Et l'objection fondée sur le fait qu'une même augmentation frappe inéquitablement les populations les plus défavorisées? "Le tabac est l'une des principales causes des inégalités sociales en matière de santé. Cette addiction est plus fréquente chez les travailleurs peu qualifiés et à plus faibles revenus que chez les personnes à revenus plus élevés. La consommation de tabac étant particulièrement nocive pour la santé, la différence de comportement tabagique s'illustre aussi dans les écarts importants des chiffres de morbidité et de mortalité. Il en résulte des frais médicaux plus élevés, des incapacités de travail plus nombreuses et des pertes de revenus. Les groupes socioéconomiques défavorisés sont par ailleurs plus sensibles aux hausses de prix des produits du tabac. Ils sont donc plus enclins à modifier leur comportement. Une hausse des accises aura donc un effet sur la santé plus important chez les groupes socioéconomiques défavorisés, ce qui se traduira également par une réduction des dépenses", rétorque Sophie Adam, porte-parole de l'Alliance. "Le fait que nous insistons auprès des autorités depuis plus de dix ans pour qu'ils prennent une telle mesure a fini, je crois, par jouer un rôle décisif. Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Il y a aussi le fait que le paquet soit au Pays-Bas à 8 euros et en France à 10,40 euros. Nos deux grands voisins affichent donc des prix bien plus élevés et leurs gouvernements ont plusieurs demandé à la Belgique de combler cette différence, car elle impacte leurs commerces frontaliers. Bien entendu, il reste le cas du Luxembourg, avec un paquet à 5,40, mais nos frontières sont réduites et le pays ristourne une partie des taxes qu'il encaisse à la Belgique. Quant aux Anglais, ils feront sans doute moins la traversée de la Manche pour faire des provisions de tabac, à cause des barrières liées au Brexit", analyse Luk Joossens. Reste aux fumeurs à arrêter. Plus facile à dire... Mais la Sécu rembourse huit séances de tabacologue sur une année. Et certaines mutuelles vous rembourse même le tiers payant, voire certains produits comme des patches ou des gommes. La fondation contre le cancer propose également du coaching gratuit par téléphone. Les divers Centres d'aide aux fumeurs rendent un service comparable. Autant savoir.