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Les mesures de confinement et de restriction des contacts sociaux pour endiguer la propagation du Covid-19 ont-elles bousculé les habitudes, les comportements et, éventuellement, la satisfaction de certains besoins ? Au point d'entraîner de nombreuses personnes dans l'alcoolisme, voire la consommation d'autres substances addictives, comme l'ont supposé certains médias et des experts qui se sont exprimés dans la presse ? Pour répondre à la question, le Pr Pierre Maurage de l'Institut de recherches en sciences psychologiques de l'UCLouvain et son équipe du Louvain Experimental Psychopathology Research Group ont lancé le 2 avril dernier une vaste enquête en ligne auprès des Belges francophones de 18 ans ou plus. Commentant les résultats obtenus à partir de plus de 12.000 questionnaires remplis dont près de 9.000 de manière complète, Pierre Maurage est formel : contre toute attente, le confinement pour endiguer la crise planétaire engendrée par le Covid-19 ne nous a pas rendus accros à l'alcool. " A contre-courant de cette idée largement répandue et diffusée, au risque de conforter celles et ceux qui auraient été tentés de boire plus que d'habitude, la consommation auto-rapportée d'alcool a été stable, voire en baisse. Seuls 25% des répondants décrivent une consommation en hausse, tandis que 46% indiquent qu'il n'y a pas eu de changement d'habitudes vis-à-vis de l'alcool et 29% rapportent même une baisse de leur consommation. " " Autre résultat impressionnant : l'enquête pointe une baisse généralisée de la consommation d'autres substances addictives. Elle est de 42% pour les cigarettes, 52% pour le cannabis, et 75% pour la cocaïne. Pour les drogues, le fait de ne plus faire la fête a un impact. Il est aussi plus difficile de s'en procurer pendant un confinement. Enfin, autre changement d'habitude, et c'est peut-être une autre forme de drogue, le temps passé devant un écran, principalement pour fréquenter les réseaux sociaux, a augmenté chez huit personnes sur dix. " Au-delà de cette tendance globale, Pierre Maurage constate que ce sont les motivations à boire qui déterminent le pattern de consommation et qui prédisent l'évolution de cette consommation durant le confinement. " Les facteurs démographiques jouent un rôle important. La diminution est par exemple plus importante chez les hommes qui ont plus d'occasions en temps normal de consommer de manière sociale, que ce soit dans les cafés, les buvettes de clubs sportifs..., et chez les plus jeunes. La réduction est très marquée chez les étudiants, et encore plus massive quand ils sont de sexe masculin. Une hausse plus fréquente est observée chez les personnes avec un niveau d'études plus élevé. " " Les facteurs contextuels tels que le fait d'être confiné à la campagne, l'isolement social ou l'ennui n'influencent pas significativement l'évolution de la consommation, au contraire de la modification de l'occupation professionnelle puisque la hausse est plus fréquente chez les personnes qui font du télétravail ou qui ne travaillent plus durant le confinement. Les personnes qui travaillent de chez elles s'autorisent plus volontiers un apéro ou un verre de vin avec le repas du midi. Et le fait de ne pas avoir de temps de trajet conduit plus facilement à se détendre devant un verre. " D'autres facteurs expliquent une hausse ou une baisse de la consommation. " Parmi ceux qu'on peut relier à la hausse, on retrouve les émotions négatives liées au confinement, telles que la peur, l'agitation, ou l'irritation ", souligne le Pr Maurage. " Le fait de boire permet de les réguler, ou d'augmenter les émotions positives, comme la détente et la joie. Les personnes rapportent aussi le stress dû au manque de revenus, au travail, à la famille, et à l'impuissance face à la crise, l'anxiété générée par le risque de contamination et les craintes concernant l'avenir. " " Quant à la baisse de consommation, elle se comprend par l'absence de contacts sociaux. En temps normal, il y avait parfois le petit verre réconfortant après une mauvaise journée au boulot, la sortie arrosée du samedi soir, avec les amis, ou l'apéro du dimanche en famille. Néanmoins, certains disent boire un peu plus à cause des... apéritifs virtuels entre amis. " Soulignons encore que cette enquête est d'autant plus fiable qu'elle repose sur un large échantillon stratifié et donc représentatif des caractéristiques de la population belge francophone en termes d'âge, genre, et niveau d'éducation. Les auteurs ont par ailleurs assuré un suivi longitudinal en demandant à chaque répondant de bien vouloir remplir une deuxième fois le questionnaire trois semaines après leurs premières réponses, et ils entameront une troisième session post-confinement, quand les bars ouvriront et les occasions de boire en société reprendront. Les résultats actuels sont dès lors à considérer comme préliminaires. Ils seront affinés par la suite et d'autres aspects seront exploités en vue de publications dans des revues scientifiques.